Chapitre 2 : L’approche de la psychologie du travail sur la question de la santé au travail

Le contexte actuel d’intensification du travail et les enjeux liés au maintien dans l’emploi complexifient l’articulation des sphères du travail et de la santé, en les plaçant dans une relation, de plus en plus prononcée, d’incompatibilité. Dans les rapports santé-travail s’intercalent des processus de régulation construits par les individus et les collectifs de travail. L’individu tente à chaque instant de maîtriser la compatibilité des ces rapports et, pour cela, modifie son interaction à l’organisation. Par conséquent, nous cherchons à interroger les différents processus régulateurs à l’œuvre dans la construction de la santé au travail du point de vue de l’individu et du collectif de travail. Nous proposons d’articuler cette question au travers des différents courants théoriques auxquels se réfère la psychologie du travail. Nous précisons dès à présent que nous parlerons de santé psychique et non de santé mentale dans la mesure où cette première notion nous paraît englober une part plus importante de phénomènes relatifs à l’interaction entre la santé et le travail, notamment en ne dissociant pas les atteintes causées dans le corps et dans « l’esprit ». La notion de santé psychique permet d’intégrer des atteintes psychiques qui peuvent se révéler dans le corps. Néanmoins, la plupart des études réalisées sur l’intervention dans le domaine de la prévention insiste particulièrement sur la notion de santé mentale.

Dans notre conception de la psychologie, les êtres humains sont pris comme des êtres sociaux qui se construisent en interaction avec d’autres êtres humains ou groupes. La psychologie du travail contextualise les processus psychiques de construction des individus en introduisant dans l’étude les espaces du travail et des organisations, concernés par la réalisation d’activités humaines. Le « travail » et « l’organisation » sont « des lieux et des activités où les humains engagent et expriment toutes leurs caractéristiques psychologiques » (Sarnin, 2007, p. 8). Le travail, plus qu’un lieu ou un contexte particulier où se rencontrent des individus, est un espace, un objet que les individus vont investir pour produire du contexte (Clot, 2006 ; Clot & Litim, 2008). Cette production psychologique devient un moyen de vivre malgré les contrariétés qui affectent l’activité. Pour Lhuilier & Litim (2009) « la psychologie du travail est traversée par des épistémologies, des théories et des méthodologies très différentes voire contradictoires. Et ces différences vont peser sur la construction des points de vue sur le rapport entre santé-travail » (p. 86). Nous nous orientons vers une psychologie du travail qui traite des questions de santé et de souffrance psychique en lien avec le travail. Trois grandes approches abordent cette question des difficultés psychiques éprouvées par les individus salariés et se révèlent sur certains points divergentes. Tout d’abord, les courants de la psychopathologie du travail et de la psychodynamique du travail qui étudient, à partir d’une approche qualitative, les processus et enjeux psychiques à l’œuvre dans le travail, en plaçant au centre de sa réflexion le concept de défense. La psychodynamique du travail a marqué significativement la compréhension des rapports entre souffrance et travail. Ensuite, les courants anglo-saxons ont construit des modèles explicatifs des processus du stress professionnel, en analysant les différents facteurs susceptibles de générer du stress ainsi que les éléments pouvant modérer la réaction de stress. Enfin, le courant de la clinique de l’activité vise à comprendre les processus psychiques en jeu dans l’activité. Elle place au centre de sa pensée l’activité, qui devient la santé lorsqu’un pouvoir suffisant est laissé aux individus pour agir et produire du contexte. Nous reprenons dans ce qui suit ces différentes conceptions de l’interaction individu-organisation-travail et des liens avec la santé.