L’association entre le travail et la souffrance psychique a été formulée tout d’abord par la psychodynamique du travail. Elle se définit comme l’analyse psychodynamique des processus intersubjectifs mobilisés par les situations de travail (Molinier, 2006). Ce sont les conflits qui surgissent de la rencontre entre un sujet, porteur d’une histoire singulière, et une situation de travail qui se définit indépendamment de lui, qui va faire naître cette dynamique. Le travail a donc été mis en lien avec les vécus de souffrance mais également de plaisir. Dejours, qui incarne ce courant, a ainsi fortement marqué le débat et la prise en compte des liens entre travail et santé. Il renvoie la souffrance à ce « choc entre un individu, doté d’une histoire personnalisée, et l’organisation du travail, porteuse d’une injonction dépersonnalisante » (1980, p. 41). Il définit ainsi la souffrance au travail comme le vécu dépressif qui naît lorsque le rapport individu-organisation est bloqué et lorsque l’individu ne perçoit plus d’évolution positive de sa situation.
D’autres auteurs (Loriol, 2005 ; Diet, 2005), ont commenté également la question de la souffrance au travail. Loriol (2005) distingue la souffrance « sociale », celle qui résulte de conditions de vie ou de travail dégradantes pour l’individu, et la souffrance « morale » ou « éthique », lorsque le système conduit le salarié à agir contre ses convictions. Pour lui, « contrairement au travailleur « stressé », celui qui souffre n’est pas considéré comme un cas pathologique à gérer. Sa souffrance pourrait même être saine dans la mesure où elle témoigne de sa réaction face à l’inacceptable, l’intolérable » (p. 37). De ce point de vue, une situation potentiellement génératrice de souffrance intervient quand elle ne correspond pas à des événements que les membres d’une profession estiment normaux, possibles et/ou valorisants de réaliser. C’est donc plus dans le conflit vécu entre la nature du travail et la représentation qu’on se fait de soi que surgit la souffrance. Parfois, les ressources du collectif vont permettre de remédier à la souffrance. Enfin, « le sens de l’action de travail, ce qui est vécu comme acceptable et ce qui est au contraire vécu comme pénible, fait l’objet d’un travail de définition par le groupe de travail » (p. 38)16. Diet (2005), en s’intéressant à la souffrance des enseignants, pense que la souffrance au travail « s’exprime désormais dans et par tous les symptômes et toutes les pathologies engendrés par les nouvelles logiques sociales à l’œuvre dans le monde hypermoderne » (p. 97). Selon lui, c’est dans l’anomie à l’œuvre que les souffrances trouvent leur origine la plus méconnue. Les valeurs fondatrices sont détruites, les repères et conteneurs symboliques sont déstabilisés, les finalités, les modalités et les contenus sont transformés. L’identité professionnelle se trouve perturbée, tout comme les possibilités d’investissement d’un métier peu reconnu et dans lequel on a peine à se reconnaître comme sujet de son action (Ibid.).
La psychodynamique a introduit un concept clef pour mettre en relation les contraintes du travail et la souffrance : celui de défense et plus précisément de « stratégie défensive » (Dejours, 1980, p. 23) déployées par les individus et les collectifs en milieu de travail pour rendre compte de la normalité préservée (Dejours, 1995). Ce concept fait le lien entre la normalité et la maladie.
Pour les infirmières par exemple, la gestion de l’agressivité et la violence des malades sont très mal vécues parce qu’elles viennent nier la mission d’aide et le dévouement de l’infirmière. En revanche, le contact avec la souffrance des malades, bien que difficile à gérer, leur permet de justifier pleinement leur rôle. A l’inverse, les policiers acceptent et même recherchent d’une certaine manière la confrontation à la violence. C’est dans cette confrontation qu’ils éprouvent le sentiment de faire le « vrai » travail d’un policier. Ils rechercheront, en revanche, à mettre à distance la souffrance des victimes (p. 38-39).