I-2.1.3.1. Le stress professionnel dans les courants anglo-saxons

Davezies (2001) retrace l’évolution du concept de stress tel qu’il est utilisé dans trois champs disciplinaires où il possède une signification particulière : la biologie, la psychologie et l’épidémiologie. Tout d’abord défini en référence aux réactions mises en œuvre par l’organisme face à toute agression (Selye, 1976), il a ensuite été abordé comme une réaction comportementale en donnant une place significative aux possibilités de contrôle que le sujet possède sur la situation, moyens de réguler les effets de stress. Par conséquent, ce qui est devenu central dans la compréhension des mécanismes du stress est la possibilité de l’individu de modifier, par son comportement, la situation agressive. Le stress était également défini comme une réponse émotionnelle en grande partie liée à l’évaluation que le sujet faisait de la situation et dépendante de processus cognitifs socialement influencés (Schachter & Singer, 1962). Le concept de « stress perçu » est alors apparu dans le domaine de la recherche (Lindsay & Norman, 1980). Il n’a plus été considéré exclusivement à partir de conditions objectives mais également de la perception qu’a le sujet de l’équilibre ou du déséquilibre entre les exigences auxquelles il doit répondre et les ressources qu’il est capable de mobiliser (Lazarus & Coyne, 1980). De plus, il a enfin été envisagé comme un processus déterminé par la capacité à faire face (coping) à la situation et est médiatisé par des processus émotionnels, cognitifs et sociaux. Enfin, l’épidémiologie s’est ensuite appropriée ce concept pour l’étudier dans toutes ses dimensions psychosociales en parlant du stress professionnel. Ces études ont donné lieu à différents travaux constituant peu à peu différentes approches du stress, dont la plus connue est celle de Karasek & Theorell (1990), qui sont à l’origine du modèle « Demande-Contrôle ». Ces derniers ont ainsi fait évoluer les connaissances sur les relations entre santé et dimensions psychosociales du travail (Davezies, 2001).

Les approches interactionnistes ont souligné l’importance de l’écart entre la situation et l’individu à l’origine du stress vécu, plus précisément du déséquilibre entre les exigences des conditions de travail et les caractéristiques individuelles pour y répondre. Bien que cette approche souligne à la fois les facteurs environnementaux, individuels et leur interaction, elle ne permet pas de saisir la manière dont l’individu s’adapte aux situations auxquelles il est soumis. Elle distingue donc trois domaines d’influence : l’environnement, le contexte et l’individu20. Karasek & Theorell (1990) vont introduire deux caractéristiques du travail dans l’explicitation du phénomène du stress professionnel : la demande et le contrôle dans la mesure où les travailleurs, pour répondre aux exigences du travail, en terme de quantité, de complexité et de contrainte de temps, disposent d’un degré d’autonomie ou de contrôle plus ou moins important. Le niveau d’exigence ne suffit plus pour expliquer les effets du travail sur le comportement et sur la santé. Ces effets vont dépendre du degré d’autonomie21 dont dispose le travailleur. Ainsi, le stress est perçu comme un élément pouvant fragiliser l’individu et également, lorsqu’il permet la recherche de réponses adéquates, comme un élément qui peut contribuer à la construction de compétences, au développement du sujet et à la préservation de sa santé.

Plus tard, Karasek & Theorell (1990) ont introduit une troisième composante : le soutien social ou ou social support, que le salarié peut recevoir de ses collègues ou de ses supérieurs. Cette notion, difficilement définissable étant donné la multitude des positions de chacun des spécialistes, peut regrouper l’ensemble des interactions sociales permettant au travailleur d’accomplir sa tâche. Cazabat, Barthe & Cascino (2006) la définissent comme l’ensemble des interactions sociales et coopératives qui existent entre le travailleur, ses collègues et ses supérieurs. Le soutien accordé par la hiérarchie, par les collègues va jouer un rôle de modérateur pour atténuer l’effet négatif des demandes liées à la tâche. On distingue également le support instrumental, tangible, informationnel et émotionnel (Bruchon-Schweitzer, 2002). Indépendamment des deux autres dimensions, l’absence de soutien social accroît la fréquence des manifestations de souffrance psychique, des maladies cardiovasculaires et des pathologies ostéoarticulaires (Davezies, 2001). Enfin, plusieurs études ont mis en évidence que les trois caractéristiques identifiées par le modèle de Karasek & Theorell (1990) peuvent affecter la santé. Les situations de travail marquées par des demandes élevées, une faible autonomie et un faible support social prédisposent les travailleurs à divers problèmes de santé. L’association de fortes exigences et d’une faible autonomie s’accompagne d’une augmentation très nette des maladies cardiovasculaires, de pathologies ostéoarticulaires, des signes de souffrance psychique et des manifestations dépressives (Ariëns, van Mechelen, Bongers, Bouter & van der Wal, 2001 ; Bongers, de Winter, Kompier, Hildebrand, 1993 ; Houtman, Bongers, Smudlers & Kompier, 1994 ; Karasek & Theorell, 1990). A l’origine non seulement de troubles musculo-squelettiques (TMS), le stress peut également favoriser le développement de troubles psychosomatiques (Cohen, 1992). Ses conséquences peuvent être de nature psychologique, comportementale, physiologique et organisationnelle (Cooper, Dewe & O’Driscoll, 2001 ; Jex & Beehr, 1991).

Ce modèle a ensuite été complété, à partir des travaux menés par Siegrist (1996), d’une quatrième dimension, celle de la reconnaissance. Ce modèle, appelé modèle « Efforts-Récompenses », souligne l’importance de la rétribution que reçoit le travailleur en échange de ses efforts. Cette rétribution est évaluée à partir de trois niveaux : l’estime, le statut et les gratifications monétaires. Davezies (2001) insiste sur les effets de l’absence de réciprocité perçue liée au déficit de cette rétribution puisqu’il a été mis en évidence qu’elle augmentait significativement la probabilité de survenue de pathologies cardiovasculaires (Neidhammer & Siegrist, 1998 ; Peter & Siegrist, 2000) ainsi que de manifestations dépressives (Tsutsumi, Kayaba, Theorell & Siegrist, 2001).

Lazarus (1995) reconnaît finalement quatre variables dans l’analyse du stress professionnel : la présence d’un facteur de stress, ou « stresseur », externe ou interne, l’évaluation psychologique ou biologique afin de distinguer menace ou bénéfice, les stratégies d’ajustement (coping) pour faire face aux agents stresseurs et la réaction de stress. Nous retiendrons en particulier la définition de Rascle (2001) pour laquelle le stress professionnel constitue un ensemble de processus relativement complexes, comprenant à la fois des caractéristiques du contexte professionnel et de l’individu qui aboutissent à des issues dysfonctionnelles. Les caractéristiques individuelles font référence au degré de vulnérabilité, à la perception de l’intensité du stress et du contrôle, et à l’efficacité des stratégies d’ajustement. Nous préciserons dans ce qui suit les éléments se référant au concept de coping.

Notes
20.

D’où les types d’intervention possibles : ergonomiques pour modeler l’activité à partir des caractéristiques contextuelles et environnementales ; la sélection et la formation pour les caractéristiques individuelles.

21.

L’autonomie recouvre ici la capacité à peser sur les décisions et la possibilité de choisir les modes opératoires et d’en expérimenter de nouveaux (Davezies, 2007).