Il est donc nécessaire de s’intéresser plus largement au stress professionnel non plus comme une manifestation symptomatique en réaction au déséquilibre entre l’individu et son environnement mais de l’interroger comme l’expression d’un malaise social plus large. Buscatto & al. (2008), en s’interrogeant sur le sens contemporain du terme, pensent qu’il permet d’exprimer le malaise des professionnels ou les contradictions d’un emploi. La notion de stress peut faire l’objet de différentes mobilisations possibles dans les contextes de travail et répondre ainsi à des usages sociaux partagés. Le stress constituerait ainsi un véritable langage social (Ibid.). Il peut être mobilisé, dans un secteur particulier, dans des sens et pour des objectifs extrêmement hétérogènes (Sarfati, 2008). De plus, médecins et psychologues n’échappent pas totalement aux influences culturelles et idéologiques en place dans une société (Loriol, 2008). Les discours sur le stress sont fondés par les représentations sociales largement partagées dans une société donnée et à une époque donnée22. Faire référence à la construction sociale du stress comme catégorie et usage social ne signifie pas que les individus n’éprouvent pas de difficultés dans leur travail mais parler de son stress pour un salarié ou un collectif, c’est à la fois présenter une certaine image de soi, revendiquer la prise en compte d’une difficulté et donner un sens concret à la difficulté éprouvée. Par conséquent, l’expression du stress peut être un élément de la rhétorique professionnelle (Boussard, 2008) car, « ce qu’un groupe professionnel dit de sa souffrance est aussi une façon pour lui de donner à voir sa définition de ce qu’est le travail et comment il doit être fait » (p. 200). Même s’il s’agit d’une production collective ritualisée, cette notion est porteuse d’une conception individualisante. Elle peine à dire ce dont souffrent les salariés, à savoir la fuite d’un collectif à même de compenser les tensions de l’organisation (Hanique, 2008). Cette notion, si parlante, ne parvient pas à signifier pour autant. Voir dans le stress non plus un symptôme individuel mais celui d’un collectif exprimant son malaise donne à penser que c’est au travers des représentations sociales traduites dans un langage que se lient et se lisent les relations entre la santé et le travail. Les effets pathogènes des milieux professionnels sont largement étudiés : souffrance au travail, stress, burn out, fatigue au travail, harcèlement, etc. La notion de stress permet de désigner ces nouvelles tensions psychiques et sert en quelque sorte de « notion-enveloppe » (Aubert & Pagès, 1989). L’usage social de cette notion est à relier à l’insatisfaction, la frustration et la fatigue (Lhuilier, 2006).
Malgré les milliers de publications dont il fait l’objet, le stress ne trouve pas de définition universelle, consensuelle et est encore considéré comme un objet « fourre-tout » aux contours particulièrement imprécis, même chez les scientifiques (Lancry, 2007 ; Loriol, 2008). Cette notion ne permet pas de cerner les dissociations, sur le plan psychique, des vécus d’impuissance, du ressentiment, de la mélancolie ou de l’euphorie professionnelle (Clot, 1999a). Pourtant, c’est bien le stress qui orientent les principales stratégies d’intervention en matière de prévention.
Le dernier courant théorique auquel nous nous référons pour comprendre les liens qui s’établissent entre le travail et la santé, et la manière dont s’élaborent les réponses des individus et des collectifs en réaction à des situations de travail qui les déstabilisent dans leur santé, est celui de la clinique de l’activité. Nous situons notre approche des liens santé-travail plus particulièrement dans celle de ce courant et de l’interprétation que nous en faisons. En effet, ce courant apparaît une source inépuisable d’interprétations de la réalité qui s’impose à l’homme engagé dans son activité professionnelle. Nous mettrons l’accent seulement sur quelques points spécifiques pour expliquer comment elle étaye notre réflexion.
Autrefois, renvoyant aux tensions nerveuses ressenties par les classes supérieures, ensuite, à la « neurasthénie » des hommes d’affaires, puis à la « maladie des dirigeants » (Loriol, 2006), le stress qualifie aujourd’hui la situation des cadres sous pression. De plus, la notion de « harcèlement moral » montre comment un malaise ressenti fortement peut trouver dans une nouvelle étiquette un moyen de s’exprimer (Loriol, 2008).