I-2.1.4.3. La santé au travail et le concept de pouvoir d’agir

En clinique de l’activité, la santé prend sa source dans l’expérience de maîtrise de la maladie (Clot, 2008) car elle cherche à s’approprier la maladie (Clot, 2001). A la différence de la normalité défensive, elle est « la transformation de la maladie en nouveau moyen d’exister, […], d’un vécu en moyen d’agir » (Clot, 2008, p. 97). La santé n’est pas l’oubli de la maladie, « mais l’accession de celle-ci à une autre fonction dans la vie du sujet, un nouvel usage de la maladie » (Ibid., p. 97-98). Elle peut offrir au sujet qui a surmonté cette épreuve une nouvelle disponibilité de la pensée et du corps. A partir de là, Clot (2008) évoque deux développements distincts : celui de la maladie dans l’histoire du sujet et celui de l’histoire du sujet dans la maladie. La maladie peut donc devenir une occasion de développer d’autres ressources insoupçonnées chez la personne (Lhuilier & al., 2007). En effet, stratégies construites pour rendre compatibles la maladie, le traitement et le travail peuvent être sources de plaisir pour le sujet dans la mesure où elles correspondent à un accroissement des marges de manœuvre. L’individu puise dans ses ressources, identifie celles disponibles dans son environnement pour développer des savoir-faire tacites, résister aux effets de la maladie et ainsi poursuivre malgré tout le développement de soi (Ibid.). La maladie devient en quelque sorte une expression de la vie (Clot, 2001, 2008). La clinique de l’activité analyse les rapports entre santé et maladie pour expliquer la manière dont les individus répondent aux situations de travail et reprennent en main l’objet de leur action.

Ainsi, il est question de développement du pouvoir d’agir sur le monde et sur soi-même, collectivement et individuellement. Si l’activité est la santé, c’est parce que l’activité est le lieu où le sujet peut trouver un sens à son existence en agissant sur l’activité pour produire du contexte. Lorsque les individus ne sont plus capables d’être à l’origine des contextes dans lesquels ils sont engagés, « ils survivent dans des contextes professionnels subis sans plus vraiment pouvoir se reconnaître dans ce qu’ils font » (Clot & Litim, 2008, p. 102). L’activité est « désaffectée », « désenchantée »(Ibid.) elle prive l’individu de son pouvoir d’agir, le conduit à se défendre de toute initiative. La souffrance émerge d'un développement empêché, d'une amputation du pouvoir d'agir (Clot, 1999a). Elle est un empêchement « qu’il faudra endurer dans l’épreuve et l’effort pour exister en dépit de cette entrave, au risque d’y perdre sa santé mais aussi d’en sortir grandi » (Clot, 1999a, p. 188). L’action contrariée, comme amputation du pouvoir d’agir dans le travail ayant des incidences psychiques, paraît être le ressort des souffrances endurées dans le monde du travail contemporain (Clot, 1997, 1999a, 2008 ; Clot & Litim, 2008 ; Lhuilier & Litim, 2009). On comprend donc que ce ne sont pas les épreuves du travail qui sont pathogènes, mais l'impossibilité de les surmonter. Mais face à ces épreuves du travail, les individus ripostent en s’apuyant sur la force qu’ils puisent dans le collectif. La riposte suppose toujours l’élaboration du danger vécu, au sein d’un collectif qui peut alors lui donner un sens dans une histoire (Clot, 2001).

Nous avons voulu montrer, qu’entre la santé et le travail, s’intercalent des modes de régulation qui déterminent l’interaction entre l’individu et l’organisation. Dans cette interaction, le collectif joue un rôle clef. L’ergonomie s’est particulièrement intéressée à ces processus de régulation et s’est portée vers le concept d’autonomie laissée par l’organisation dans la mise en œuvre de ces stratégies. Elle devient l’espace que le collectif investit pour trouver des astuces et faire face aux situations de travail. La psychodynamique du travail, quant à elle, donne au collectif un rôle déterminant pour l’identité et la reconnaissance. Les approches du stress lui attribuent un rôle majeur dans le soutien social. Il peut relever de comportements explicites d’entraide ou nourrir un sentiment chez l’individu de pouvoir compter sur le soutien de son entourage professionnel. Enfin, pour la clinique de l’activité, le collectif possède une fonction psychologique pour le sujet. Le collectif incarne le genre professionnel et il est la référence pour se distinguer. Lieu social et symbolique où circulent les référents du métier, taillés dans l’expérience du réel, et qui risquent toujours d’être menacés par l’organisation du travail. Il est une ressource pour l’action individuelle, l’étalon à partir duquel s’évaluer et le ressort pour la développer et s’affranchir. Aujourd’hui, les individus sont tenus de se singulariser, d’affirmer leur style, alors que dans le même temps, l’organisation du travail les contraint à être interchangeables.