L’isolement nouveau instauré dans les contextes professionnels compromet les formes de reconnaissances inter-subjectives dans le travail puisqu’elles supposent de posséder des temps et des marges de manœuvres favorables à la discussion et à la coopération (Debout & al., 2009). Les travaux menés en psychodynamique du travail mettent l’accent sur l’importance des reconnaissances transmises par la hiérarchie et par les pairs qui vont rendre possible la coopération. Reconnaissance des efforts, de la « tricherie » (Dejours, 1992, p. 179) nécessaire à la poursuite de l’activité mais également reconnaissance de l’ « utilité » et de la « beauté » de l’œuvre (Ibid., p. 197). Pour résoudre les incohérences, les travailleurs doivent réaménager constamment l’organisation de leur travail et donc prendre des risques en engageant leur responsabilité dans la tricherie. C’est par l’initiative, la créativité et la coopération qu’ils vont être capables de dépasser les incohérences. Et lorsque la tricherie est reconnue par l’encadrement, elle sera source de plaisir. Sans cette reconnaissance, la tricherie conduit à des conflits, détruit les liens de confiance et de coopération, et favorise le développement de la « la tactique du secret » (Dejours, 1992, p. 180).
La coopération, un moyen pour transformer la souffrance en plaisir, repose sur les liens que construisent les travailleurs en vue de réaliser une œuvre commune. Elle implique des règles communes, le « désir de coopérer » (Ibid., p. 196) et des relations de confiance mutuelle rendues possibles si les manières de faire dans le travail sont visibles. Ces liens symboliques et stables supposent également des relations d’intercompréhension, d’interdépendance et d’obligation. La coopération est ce qui fonde un collectif de travail (Ibid.). C’est pour tout cela que la psychodynamique du travail place la coopération au centre de son intervention, qu’elle instaure dans l’organisation des conditions de débat et d’ouverture pour que les pratiques soient partagées et que la tricherie soit reconnue. Le couple contribution-rétribution25 est la clef de la mobilisation des subjectivités nécessaires à la formation d’une volonté commune et de liens de coopération. Cette rétribution est symbolique et elle prend la forme de la reconnaissance : la reconnaissance comme gratitude et comme l’aveu de la réalité des conditions de contribution à l’organisation du travail et donc aux insuffisances de sa conception.
Enfin, la reconnaissance passe par deux types de jugement décrit par Dejours (1992, 2002) : le jugement d’utilité et le jugement de beauté. Le premier porte sur l’utilité technique, économique ou sociale de la contribution du sujet à l’organisation du travail et est accordé par la hiérarchie, les subordonnés et quelque fois par les clients ou divers destinataires ; le second porte sur la conformité de la contribution du sujet aux règles de travail, de métier et est proféré par les collègues, les pairs qui connaissent le métier. Ce « jugement des pairs » procure au sujet le sentiment d’appartenance au collectif. A côté de ce « jugement des pairs », il existe le « jugement d’originalité » (Dejours, 1980) qui s’inscrit dans le mouvement inverse, c’est-à-dire la reconnaissance de ce qui fait la différence entre le sujet et ses pairs dans le travail réalisé26. En psychodynamique du travail, le sujet peut rapatrier la reconnaissance du travail pour l’articuler à son identité, laquelle constitue « l’armature de la santé mentale » (Dejours, 1998, p. 41). L’identité est un vécu subjectif où le travail et sa reconnaissance par autrui occupent une place centrale (Molinier, 2006), et les liens sociaux qui permettent le développement de la coopération et l’expression de la reconnaissance sont à la base de la construction de l’identité en situation de travail (Dejours, 1992). Ici, la reconnaissance est celle d’autrui. Mais elle peut également être articulée au rapport subjectif que le sujet entretient avec ce qu’il fait chaque jour au travail car c’est lorsqu’il ne s’y reconnaît pas, que cette perte de reconnaissance dans le travail se transforme en une plainte de perte de reconnaissance d’autrui (Clot, 2008).
La psychodynamique du travail souligne donc l’importance des processus collectifs dans la construction de la santé et de l’identité. Les approches du stress mettent, quant à elles, l’accent sur le rôle que tient le collectif de travail dans le soutien social qui facilite la mise en forme de régulations.
Il parle de contribution à l’organisation du travail et à sa réalisation dans la tricherie.
On peut rapprocher ce type de reconnaissance au concept de « style » chez Clot (1999a, 2008), à la différence que Clot la rattache ensuite au « genre », qui peut être chez Dejours le « jugement des pairs ».