I-2.3. Santé psychique au travail et problématique de l’intervention en prévention

L’intérêt et les enjeux que comporte le rapport entre la santé et le travail sont relativement récents sur la scène publique, sociale et politique, mais il ne s’agit pas d’un « objet nouveau de considération » (Lhuilier & Litim, 2009, p. 85). Ce lien qui s’établit entre le travail et la santé est complexe. La santé constitue un moyen de plus en plus répandue dans lequel les individus puisent pour « tenir » (Debout & al.,2009). Elle est à la fois le moyen grâce auquel le travail est possible et le produit de l’activité. Elle est indéterminée et peut être utilisée à des fins personnelles. De plus, travailler implique une participation mentale constante et inéluctable (Teiger, 1993), un compromis à trouver entre une intention inscrite dans une histoire et un projet, des contraintes exogènes et endogènes (Molinier, 2006) et des obstacles qui empêchent le développement de l’activité (Clot, 2006). Le travail est un « exercice de liaison sociale au réel » (Ibid., p. 167) car, pour faire face à ce qui n’est pas donné par l’organisation prescrite du travail (Dejours, 1980), les travailleurs inventent et réinventent des manières de faire partagées et insolites. Et, parce qu’il est un espace potentiel où s’exprime la singularité et le lien à l’autre, il est devenu « un opérateur décisif de contenance de la vie individuelle » (Clot, 2006, p. 166). Les différentes approches théoriques, même si elles se fondent sur des cadres théoriques différents, peuvent se rejoindre sur les éléments qui vont être à la source des processus de souffrance au travail (Vézina, 1999). Les rôles que jouent la reconnaissance et le soutien social sont des éléments qui fédèrent ces approches. Elles mettent en avant, en effet, l’idée d’un conflit entre l’individu et l’organisation (Clot, 2008 ; Dejours, 1980) ; ou bien celle d’un déséquilibre entre les exigences de la tâche et les ressources dont peut disposer l’individu pour y répondre (Karasek & Theorell, 1990). La santé des individus est altérée non pas par les conditions de travail mais par une forme d’organisation qui empêche de penser l’activité (Santiago-Delafosse, 2005). La souffrance émerge d’un développement empêché du sujet dans le cadre de l’organisation du travail prescrite (Clot, 1995 ; Lhuilier, 2006). Elle contient de nombreuses manifestations et peut prendre la forme d’un désinvestissement de la situation de travail, de dépression et de décompensation et aller jusqu’aux tentatives de suicide (Sarnin, 2007). Les liens entre la santé et le travail semblent, dans certains cas, également marqués par la violence et les plus grands risques de violence au travail concernent les femmes et les travailleurs les plus jeunes (Fougeyrollas-Schwebel, Houel & Jaspard, 2000). Plus particulièrement, les violences subies par les femmes exprimeraient leur position de dominées, « ce qui n’exclut pas de leur part des réactions, y compris violentes, à cette situation » (p. 146). Ensuite, la distinction entre le réel et et le prescrit est au centre de la clinique du travail, en psychodynamique du travail ou en clinique de l’activité. Celle-ci voit d’ailleurs dans la confrontation au réel un moyen de ne pas reproduire à l’identique et à l’infinie, de développer le pouvoir des individus et des collectifs dans l’action et la création (Lhuilier, 2006). Enfin, du point de vue des aspects qui participent de la construction de la santé au travail, ces modèles théoriques se rejoignent sur la question du collectif. La santé, qu’elle soit comprise comme le résultat d’une exposition à des contraintes de travail pathogènes, synonyme de normalité ou d’idéal, elle s’appuie sur le collectif de travail pour y parvenir. L’appui au collectif s’actualise dans les comportements que les individus mobilisent en situation de travail. Ces comportements s’inspirent de normes que les individus partagent et qui sont inscrites dans des types de réponses, qu’il s’agisse de stratégies collectives défensives, d’ajustement, de coping ou de ripostes. Nous proposons de reprendre sous forme de tableau ces différents acquis.

Tableau 1 : La mise en rapport des courants théoriques de référence
  La psychodynamique du travail Les théories du stress professionnel La clinique de l’activité
Fondements théoriques La théorie psychanalytique Les théories cognitivo-comportementalistes La théorie historico-développementale

Disciplines associées
L’ergonomie francophone et la sociologie du travail La biologie, l’épidémiologie et la psychologie L’ergonomie francophone et la psychopathologie du travail
Origines de la dégradation de la santé psychique au travail Le conflit individu-organisation Le déséquilibre individu-environnement L’amputation du pouvoir d’agir et l’empêchement
Mécanismes de réponse Les stratégies de défense Les stratégies de coping La riposte
Les ressources de la santé psychique au travail La reconnaissance et la coopération Le soutien social et la reconnaissance Le fonctionnement psychologique du collectif
Définition de la santé et des liens santé-travaiil La normalité L’adaptation La santé
Les modes d’intervention Création d’espace de discussion Les trois niveaux de prévention L’auto-confrontation croisée et le sosie

Ainsi, différentes dynamiques individuelles et collectives entrent en jeu dans la construction de la santé psychique au travail. Il est nécessaire que la pratique de la prévention en tienne compte. Dans le chapitre qui suit, nous proposons de mettre en relief comment la prévention est agie dans l’organisation pour parvenir à intervenir efficacement sur ces problèmes de dégradation de la santé psychique au travail. Nous avons vu comment les théories modélisent les rapports santé psychique-travail et individu-organisation. Voyons ce qu’il en est de l’intervention en matière de prévention. La littérature concernant l’intervention est moins dense mais les conclusions des études sont relativement homogènes et s’entendent relativement sur les conditions qui peuvent ou pas garantir la réussite d’une intervention et son efficacité.