I-3.1. La prévention des problèmes de santé psychique au travail : définitions et enjeux

La prévention de la santé psychique dans les organisations devient un défi majeur (Vézina & al., 2006). Elle devient également une question de plus en plus préoccupante sur la scène mondiale. De nombreux pays d’Europe se sont emparés du problème en mettant à l’ordre du jour des politiques, des initiatives et des recherches traitant de la question (Cartwright & Cooper, 1996 ; Cox, Leka, Ivanov & Kortums, 2004 ; MacKay, Cousins, Kelly, Lee & McCaig, 2004 ; Oeij & Morvan, 2004 ; Schaufeli & Kompier, 2001). D’un côté, il a été démontré depuis plusieurs années que les problèmes de santé psychique sont l’une des principales causes de morbidité chez les individus et que, bien que difficile à démontrer, elles peuvent en partie trouver leur origine dans le travail (Vézina, Cousineau, Mergler, Vinet & Laurendeau, 1992). D’un autre côté, de nombreux chercheurs estiment que la prévention est la façon la plus efficace de les combattre et de construire des processus organisationnels protégeant la santé psychique (Brun, Biron, Martel & Ivers, 2003 ; Foucher, 2003 ; Neboit & Vézina, 2007 ; Vinet, 2004). Plusieurs expériences ont, par ailleurs, montré que la prévention du stress représente un moyen par lequel une organisation peut non seulement réduire ou limiter les coûts pour ses salariés malades, mais peut aussi maintenir positivement et améliorer la santé de l’organisation et sa productivité (Cooper, Linkkonen & Cartwright, 1996). D’autres études, qui se sont concentrées sur les pratiques organisationnelles à succès, ont mis en évidence plusieurs dimensions favorisant le profit et la santé psychique27. Néanmoins, les chercheurs et les organisations ne sont pas encore pleinement en mesure d’identifier, d’analyser et de démontrer l’efficacité des programmes de prévention du stress au travail et de la santé psychique plus largement (Cooper & al., 2001 ; Goetzel, Ozminkowski, Sederer & Mark, 2002 ; Shannon & Cole, 2004).

Par ailleurs, la prévention de la santé psychique au travail est principalement abordée sous l’angle du stress professionnel. Bien que nous ne nous intéressions pas spécifiquement à ce problème mais à celui de la santé psychique de manière générale, nous prendrons appui sur les travaux qui portent sur le stress. Ils restent, malgré le fait qu’il n’en existe peu, largement majoritaires. Cette spécialisation sur le processus du stress peut paraître beaucoup plus « naturelle » ou plus logique pour les pays anglo-saxons que pour la France qui parle davantage de santé mentale, psychique ou de souffrance au travail. Faire référence au concept de santé psychique ou mentale a le mérite d’englober différents états et troubles psychiques, qui inclut de multiples origines, caractéristiques et effets (Brun & al., 2003 ; Thomas & Hite, 2002). Ce concept se définit ainsi comme un domaine d’études s’intéressant à la santé psychologique d’un individu et à son bien-être en lien avec son travail. Néanmoins, la nature de ce concept est suffisamment imprécise pour conduire certains chercheurs (Harvey & al., 2006)28 à circonscrire leur perspective en parlant de stress occupationnel. De plus, Lhuilier & Litim (2009) pensent que si la référence au stress tient une place centrale, c’est « parce que les modèles du stress successifs ont toujours eu une double perspective d’adaptation et de mesure » (p. 89). Pour elles, le stress est « une catégorie de sens commun, et son usage intensif montre qu’il est devenu une voie d’entrée privilégiée pour repérer les modalités de mise en forme de la plainte relative au « mal-être » au travail et ses modalités de traitement » (Ibid.). Voici pourquoi la littérature concernant l’intervention organisationnelle fait principalement référence au stress, duquel découle une bonne ou une mauvaise santé (Smith, Sulsky & Uggerslev, 2002).

Ainsi, Geurts & Gründemann (1999) définissent par « démarche de prévention du stress au travail » toute action ayant pour objectif la réduction ou l’élimination des « stresseurs » présents dans l’environnement de travail, la réduction ou l’élimination des problèmes de santé liés au travail, de l’absentéisme et des incapacités permanentes, ou encore l’amélioration ou la promotion de la santé au travail. Nous garderons cette définition bien qu’elle ne fasse pas référence explicitement à la question de santé psychique. Nous n’envisageons pas de substituer la santé psychique au stress, et notre second chapitre a insisté sur le sens que nous donnions à la santé. Toutefois, dans le cadre de l’intervention, et conformément aux finalités de la prévention primaire, les objectifs visés par la prévention de la santé psychique au travail doivent viser la réduction ou l’élimination des causes de dégradation de la santé psychique dans le milieu professionnel.

Notes
27.

Ces dimensions sont la sécurité d’emploi, les équipes semi-autonomes et la décentralisation du processus de décision, la formation étendue, la réduction des distinctions de statut et des barrières, ainsi que le partage étendu des informations concernant les finances et la performance à travers toute l’organisation (Pfeffer, 1998, in Vézina & al., 2006).

28.

Notamment les rédacteurs d’une synthèse sur les différentes approches au niveau international des interventions organisationnelles sur la question de la santé psychique au travail.