I-3.1.1. Les niveaux de prévention et le choix des stratégies d’intervention

I-3.1.1.1. Les différents niveaux de prévention

Le besoin d’intervenir sur les problèmes liés à la santé psychique au travail a nécessité que l’on simplifie un processus complexe. La prévention du stress au travail repose ainsi sur un découpage de son processus. Il fallait structurer mentalement un processus psychique qui se manifeste dans des réactions physiologiques et émotionnelles et en réponse à un environnement qui le modifie continuellement. Ce système de découpage simplifie et homogénéise certes une réalité de nature psychologique. Mais il est nécessaire pour penser l’action susceptible de le prévenir.

Ainsi, différents niveaux de prévention sont considérés. Ces niveaux (primaire, secondaire et tertiaire) sont complémentaires et peuvent intégrer une politique globale de prévention. Dans la mesure où la littérature est principalement alimentée par la problématique du stress professionnel, les stratégies d’intervention vont alors cibler différents segments de ce processus en particulier (Cooper & Cartwright, 1994 ; Harvey & al., 2006 ; Murphy, 1988). La prévention primaire va cibler les « stresseurs », la prévention secondaire le stress lui-même, son expérience et sa perception, et la prévention tertiaire les conséquences de ce stress.

Plus précisément, la prévention primaire est définie comme un niveau qui vise à réduire ou éliminer la présence d’agents psychosociaux pathogènes en milieu de travail (Vézina & al., 2006), à promouvoir un environnement professionnel favorable et capable de procurer un certain soutien (Cooper & Cartwright, 2000). Ce premier niveau repose donc sur la construction de stratégies collectives visant à modifier l’organisation du travail. Ensuite, la prévention secondaire met l’accent, non plus sur l’organisation mais sur l’individu (Murphy, 1988) et a pour objectifs d’aider les salariés à gérer les exigences du travail plus efficacement en améliorant leurs stratégies d’adaptation aux stresseurs ou en soulageant les symptômes du stress à l’aide d’exercice de relaxation par exemple. Cet apprentissage s’effectue généralement dans le cadre d’une formation. Enfin, la prévention tertiaire fait référence aux processus de traitement, de rééducation, de réhabilitation et de rétablissement des individus ayant souffert ou souffrant de troubles générés par le stress (Cooper & Cartwright, 1997). Parmi les interventions possibles, on trouve notamment des stratégies de type PAE (programmes d’aide aux employés) qui favorisent le retour à la santé en prenant appui sur le soutien professionnel et qui interviennent sous forme de thérapies, d’accompagnement individuel, de débriefings et de traitements médicaux (Harvey & al., 2006). Loin de suffire pour prévenir les atteintes à la santé psychique au travail, ce type d’intervention est néanmoins essentiel pour prendre en charge le sujet « souffrant ». Les modèles théoriques de prévention du stress peuvent donc mettre l’emphase soit sur l’individu, soit sur l’organisation, soit sur l’interface individu-organisation (DeFrank & Cooper, 1987).

Il paraît clair qu’une politique organisationnelle exhaustive et efficace du stress doit intégrer ces trois dimensions (Cooper & al., 1996). Combinées, elles contribuent à renforcer les ressources physiques et psychologiques des salariés. Toutefois, les études réalisées sur les impacts des stratégies préventives montrent la dominance des programmes de prévention secondaire et tertiaire (DeFrank & Cooper, 1987 ; Giga, Noblet, Faragher & Cooper, 2003 ; Murphy & Sauter, 2003 ; Van Der Hek & Plomp, 1997 ; Van Der Klink, Blonk, Schene & Van Dijk, 2001). Ces interventions sont généralement associées à une baisse des manifestations psychologiques et physiologiques du stress mais ces effets positifs ne seraient que de courte durée et d’ampleur limitée (Murphy & Sauter, 2003). Ces interventions ne modifient pas l’organisation du travail puisque leurs cibles sont les conséquences du stress plutôt que les sources du problème. Les interventions orientées sur l’individu n’ont généralement pas d’impact sur la satisfaction au travail et la productivité, alors que celles centrées sur l’organisation ont des effets positifs sur la santé de l’individu et sur la performance de l’organisation (Giga, Noblet, Faragher & Cooper, 2003). La prévention tertiaire est considérée comme la moins efficace mais la plus utilisée (Kompier & Cooper, 1999). Elle peut toutefois aider les travailleurs à modifier leur approche des situations stressantes et à mieux réagir face à la souffrance éprouvée (Berridge, Cooper & Highley, 1997). Enfin, les stratégies de niveau primaire semblent les plus efficaces (Brun, Biron & Ivers, 2007 ; Burke, 1993 ; Cooper & Cartwright, 2000). On observe, en effet, une amélioration significative au niveau des indicateurs de bien-être, notamment de la détresse psychologique, de l’absentéime et de la productivité (Bond & Bunce, 2001 ; Brun, Biron & Ivers, 2007 ; Lourijsen, Houtman, Kompier & Gründemann, 1999 ; Nielsen, 2002). Et, en agissant sur les causes, elles ont un impact efficace et durable (Kompier & Kristensen, 2005). En France, les actions mises en œuvre par l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail), par exemple, s’inscrivent dans cette approche29. Il est donc essentiel que les interventions ciblent les situations de travail pouvant représenter un risque pour la santé psychique (Burke, 1993 ; Hurrell & Murphy, 1996) et adoptent pour cela une stratégie de prévention qui s’oriente sur l’organisation.

Notes
29.

Celle-ci axe d’ailleurs la prévention des risques psychosociaux sur la question du stress au travail. Ce réseau accompagne les organisations à développer la prévention, et situe les enjeux de la prévention autant dans la préservation de la santé que de la performance de l’organisation, en déroulant ainsi une approche organisationnelle prenant en compte la réalisation du travail et ses conditions.