I-3.1.1.2. La prévention primaire : intérêts et obstacles

Une stratégie de prévention primaire repose avant tout sur la reconnaissance du problème (Brun & al., 2007). De plus, elle nécessite d’impliquer le collectif. Son objectif principal étant d’éliminer le risque à sa source, elle requiert la poursuite de changements dans l’organisation (Elkin & Rosch, 1990), notamment aux niveaux de la politique de gestion du personnel, des modalités de communication et des postes de travail. Sa réflexion est orientée vers la cohérence et l’amélioration de l’autonomie et son action varie en fonction des facteurs de stress en cause dans une organisation. Une telle stratégie peut se construire progressivement et débuter par la construction d’un diagnostic préalable ou d’une évaluation du stress permettant d’en identifier les facteurs et leurs conséquences. Elle constitue souvent la première étape de l’intervention primaire (Cooper & Cartwright, 2000). L’évaluation, et les résultats qu’elle fournit, permettent de diriger de manière pertinente les ressources de l’organisation pour ensuite intervenir efficacement. Elle est généralement réalisée à l’aide d’un questionnaire distribué aux salariés. Celui-ci s’attache à identifier les sources de stress ainsi que les individus et groupes les plus vulnérables, le niveau de satisfaction vécue dans le rapport au travail. Il cherche à apprécier les différentes manières de réagir au stress et à évaluer la santé physique et psychique (Ibid.). Cette méthode peut être renouvelée dans l’organisation et ainsi permettre d’observer régulièrement le niveau de stress, l’évolution de la santé des salariés dans la durée et de définir un seuil de référence qui pourra être un appui à de futures interventions30.

Malgré des résultats qui vont dans le sens de l’efficacité, ces stratégies ne sont pas pour autant répandues (Hansez & de Keyser, 2007 ; Hansez, Bertrand & Barbier, 2009)31. Elles nécessitent d’impliquer les différents acteurs et engagent leur volonté d’agir sur les sources du problème. L’objectif qu’elles visent, celui de modifier l’organisation, semble à la fois la clef de la réussite et le principal frein à leur utilisation. En effet, tous les employeurs ne sont pas prêts, ni à remettre en question l’organisation, ni à procéder à des changements si nécessaires soient-ils (Brun & al., 2003). Enfin, certains auteurs (Askenazy, 2006 ; Davezies, 2001 ; Ivancevich, Matteson, Freedman & Phillips, 1990 ; Loriol, 2005 ; Neboit & Vézina, 2007 ; Vézina & al., 2006) se sont intéressés aux raisons qui continuaient d’empêcher cette implication. Ivancevich & al. (1990) y voient une responsabilité des praticiens de l’intervention, conseillers, psychologues cliniciens, médecins, sans doute plus à l’aise dans des actions de type individuel. Mais les raisons qui poussent les organisations à faire appel à ce type de praticiens peuvent également être interrogées.

Cependant, même si cela semble évident, il n’existe que peu d’études qui ont évalué l’impact des interventions de niveau primaire sur les salariés et l’organisation. Les seules études disponibles font part de conclusions « souvent ambiguës et difficiles à interpréter » (Brun & al., 2007, p. 8) et ne sont pas toutes concordantes (Briner & Reynolds, 1999). Ce manque de données solides peut provenir des difficultés méthodologiques liées à ce type d’intervention. Malgré les avancées, les quelques études s’intéressant à l’efficacité des stratégies de prévention primaire ne permettent pas encore de fonder des évidences scientifiques permettant d’identifier les stratégies les plus efficaces et d’en connaître les conditions de mise en œuvre garantissant l’atteinte des résultats visés (Cooper & al., 2001 ; Shannon & Cole, 2004). Le manque de preuves scientifiques permettant d’identifier les stratégies et interventions les plus efficaces explique d’une certaine manière la dominance des programmes d’interventions centrés sur l’individu (Brun & al., 2007). D’autres explications ont été apportées pour comprendre cette sous-utilisation de la prévention primaire.

Notes
30.

L’Occupational Stress Indicator (Cooper, Sloan & Williams, 1988) est un des instruments diagnostiques qui peut être utilisé. L’objectif principal est d’identifier les causes du problème pour ensuite construire des actions efficaces pour intervenir « à la source ».

31.

Toutefois, Geurts & Gründemann (1999) ont montré que contrairement aux autres études disponibles dans la littérature, les interventions les plus fréquentes étaient primaires et orientées vers les conditions de travail. Mais ils observent plus particulièrement qu’il s’agissait principalement d’interventions visant à réduire les stresseurs physiques plutôt que les stresseurs psychosociaux.