I-3.1.2.1. La fonction des cadres institutionnels

Le premier cadre institutionnel qui oriente la posture de l’organisation face à ce problème est défini par les règles législatives qui instituent les orientations à respecter pour garantir la santé psychique des salariés. Prévenir le stress au travail est avant tout une prescription réglementaire (Guillemy, 2007). En effet, la plupart des pays occidentaux ont, depuis plusieurs années, adopté des législations donnant aux employeurs « le devoir d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects reliés au travail » (EU Framework directive – 89/391/EEC). Les employeurs sont tenus, à partir d’une « politique de prévention globale et cohérente », d’ « éviter le risque », de « combattre les risques à la source » et d’ « adapter le travail à l’individu ». Dans ce but, la Commission européenne a publié, en 2002, des recommandations permettant d’orienter le travail de prévention des organisations (European Agency for Safety and Health at Work, 2002). De plus, les processus organisationnels de construction de la santé au travail sont orientés et cadrés par des dispositifs mis en place par l’institution. Ces dispositifs institutionnels de santé (CPAM32, médecine du travail, CHSCT33, INRS34, etc.) donnent des cadres institutionnels pour que l’organisation maintienne du mieux possible l’intégrité physique et psychique des travailleurs. Parmi ces outils, le « document unique » permet le recensement de l’ensemble des risques professionnels de chaque organisation ainsi que les mesures de prévention correspondantes. Enfin, le National Institute for Occupational Safety and Health(NIOSH) concourt également au développement d’outils favorisant la prévention. Des chercheurs ont d’ailleurs formulé différentes recommandations visant à réduire le stress au travail et à améliorer l’impression de stabilité de l’emploi, à diminuer l’ambiguïté des rôles, et ainsi atténuer les tensions professionnelles et les troubles psychologiques associés (Sauter, Murphy & Hurrell, 1990). Ainsi, le cadre législatif a une fonction essentielle dans la construction organisationnelle de la santé au travail.

D’autres processus ont participé à la prise de conscience publique et organisationnelle des enjeux que comporte l’absence de recours à des pratiques préventives. Mais ce n’est que tardivement que le rôle de l’organisation dans la survenue de troubles pour la santé a été analysé (Bourgeois & Hubault, 2005 ; Askenazy, 2006). Les acteurs sociaux ont participé à rendre visible la réalité des liens entre le travail et la santé (Gollac & Volkoff, 2006). Les acteurs syndicaux, les inspecteurs du travail, les salariés et les chercheurs ont nourri la prise de conscience des risques professionnels sur la santé et la sécurité au travail (Askenazy, 2006). La progression des connaissances scientifiques (Askenazy, Gaudart & Gollac, 2005), et l’intérêt porté par le public pour ces « nouvelles » questions, ont permis d’associer l’approche journalistique aux connaissances scientifiques.On observe une visibilité médiatique croissante sur le stress ou les suicides au travail par exemple. Cette prise de conscience s’est construite en dehors de l’organisation qui résiste encore, qui reste incrédule, et parfois embarrassée lorsqu’un événement ou un acte irréparable survient pour interpeller sa conscience. Askenazy (2006) souligne toutefois que les employeurs sont moins résistants face à cette reconnaissance de la participation de l’organisation à la dégradation de la santé des salariés et observe un changement de pratique dans les organisations américaines. Il précise cependant que de nombreux employeurs continuent d’associer la préservation de la santé au travail à une contrainte en cherchant à échapper à leur obligation (Ibid.). Dans le même temps, l’argument qui est avancé est celui de la nature abstraite de la cause des souffrances ressenties. Cette cause n’est pas le résultat d’une exposition à un dispositif matériel mais réside largement dans l’organisation du travail (Gollac & Volkoff, 2006). A partir de là, l’appréciation d’enjeux collectifs, condition d’une visibilité sociale de la santé au travail, en est rendue plus délicate (Ibid.).

Malgré ces cadres, prescriptions, coûts ainsi que la dénonciation sociale des effets du travail sur la santé psychique, il n’en demeure pas moins que les responsables patronaux sont réticents à reconnaître le caractère dangereux d’une situation de travail (Gollac & Volkoff, 2006). De surcroît, ces acteurs, que la législation oblige à prévenir la santé et la sécurité des salariés qu’ils dirigent, font peser cette réticence voire ce déni sur la reconnaissance de maladies liées au travail comme maladies professionnelles par les institutions chargées d’indemniser celles-ci (Ibid). Aussi, la relation qu’entretient l’organisation à la santé psychique, à sa prévention ou sa dégradation par le travail, est-elle alimentée par cette résistance, se traduisant dans une attitude qui vise à relativiser les problèmes et les plaintes, et à individualiser les difficultés et les réponses. Le choix des outils de mesure et leur utilisation reflètent les valeurs des organisations et de leurs dirigeants (Roy, Cadieux, Fortier & Leclerc, 2008). Ces constats nous amènent ainsi à considérer les ressorts de cette résistance de l’organisation, notamment à prévenir les causes.

Notes
32.

Les Caisses Primaires d’Assurance Maladie ont un domaine de compétence locale et ont trois missions principales : l’affiliation des assurés sociaux, le versement des prestations et une action sanitaire et sociale. Elles ont un rôle important au niveau de la prise en charge des accidents du travail et des maladies professionnelles (Malingrey, 2003).

33.

Les Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de travail sont une instance représentative du personnel, mise en place dans les établissements d’au moins 50 salariés et ont pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des employés, à l’amélioration des conditions de travail et à l’observation des prescriptions législatives et réglementaires prises en ces matières (Ibid.).

34.

L’Institut National de Recherche et de Sécurité est une association loi 1901 sans but lucratif qui contribue à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles afin d’assurer la protection de la santé et la sécurité au travail (Ibid.).