I-3.2.1. Les deux principaux modèles d’intervention

De manière générale, par intervention, nous entendons un « système organisé d’actions visant, dans un environnement donné et durant une période de temps donnée, à modifier le cours prévisible d’un phénomène pour corriger une situation problématique » (Contandriopoulos, Champagne, Denis & Avargues, 2000). Plus spécifiquement, les interventions en santé au travail poursuivent les mêmes objectifs que celles utilisées en santé publique, ceux de promouvoir ou de protéger la santé ou encore de prévenir des problèmes de santé dans des populations (Rychenik, Frommer, Hawe & Shiell, 2002). Elles s’adressent plus particulièrement à une population de salariés et concernent les risques professionnels pour la santé. Différents modes d’intervention existent pour prévenir les problèmes de santé psychique au travail. Leurs différences sont liées, d’une part, à la nature de la stratégie déployée dans l’organisation (différents niveaux de prévention) et, d’autre part, à l’approche et au modèle sur lesquels l’intervention s’appuie. Enfin, nous examinons les interventions qui sont réalisées dans des contextes de travail. Par contexte, nous faisons référence aux caractéristiques sociales, politiques, organisationnelles et culturelles des milieux de travail dans lesquels les interventions sont implantées (Berthelette, Bilodeau & Leduc, 2008).

La principale approche de gestion des risques est donnée par le Health & Safety Executive36. Elle identifie différentes étapes nécessaires dans l’intervention : identifier les risques ; identifier qui est affecté et comment ; développer un plan d’action ; passer à l’action ; évaluer les actions et les diffuser (Brun, Biron & Ivers, 2007). De plus, la plupart des modèles de prévention du stress au travail prescrit un certain nombre d’étapes générales comme « s’assurer de l’engagement de la direction » ou « développer un plan d’action, l’implanter et l’évaluer » (Ibid, p. 2). Ces modèles ne précisent pas néanmoins comment procéder à la mise en œuvre de ces étapes. Enfin, peu d’études rigoureuses ont d’ailleurs été réalisées sur la question (Harvey & al., 2006).

La littérature propose ensuite deux types de modèles d’intervention pertinents sur le stress professionnel : un modèle axé sur « le processus » et un modèle axé sur « le contenu » (Harvey & al., 2006). La préférence donnée à un axe ou à l’autre détermine les facteurs de succès en matière de prévention de la santé psychique au travail (Ibid.). Nous faisons référence à ces modèles bien qu’ils portent sur la question du stress et non de la santé psychique en général, qui ne trouve guère d’illustration dans cette littérature sur l’intervention et son efficacité. Tout d’abord, les modèles centrés sur le processus (Giga, Cooper & Faragher, 2003 ; Kompier & Kristensen, 2005) décrivent la progression ou la stratégie des interventions généralement associées à la problématique du changement organisationnel. Ils s’intéressent particulièrement aux étapes de mises en œuvre des interventions. Ces modèles s’appuient sur les résultats d’un diagnostic des stresseurs réalisé au préalable, définissent ensuite des plans d’intervention permettant l’instauration des changements en appréciant généralement « ce qu’il faut faire et ne pas faire » (Harvey & al., 2006, p. 13). L’ensemble des étapes qui constitue cette stratégie d’intervention favorise la découverte des changements utiles et s’intéresse ainsi aux étapes nécessaires à la construction d’un système efficace. Par conséquent, « ces modèles sont utiles pour guider la pratique au sein des organisations afin d’identifier les problèmes liés au stress et en vue d’intervenir sur ceux-ci » (p. 14). Ce modèle s’inscrit donc pleinement dans une stratégie de prévention primaire. Par exemple, Cox, Griffiths, Barlowe, Randall, Thomson & Rial-Gonzalez (2000) présentent les différentes étapes relatives à l’évaluation des problèmes liés au stress dans les organisations afin de construire des réponses et d’évaluer leur efficacité : l’identification des risques ; l’évaluation des risques associés ; l’élaboration de stratégies de contrôle conduisant aux modalités d’interventions ; la mise en œuvre de stratégies de contrôle ; le suivi et l’évaluation des stratégies, la rétroaction et la réévaluation des risques ; et l’examen des besoins de formation des salariés. Différentes approches s’inspirent de ce modèle, et s’apparentent toutes relativement aux modèles issus de la gestion (Harvey & al., 2006). De plus, diverses exigences contribuent au succès de ce type d’intervention en matière de prévention du stress au travail (Kompier, Cooper & Geurts, 2000). Il s’agit notamment de construire une approche systématique du problème, d’élaborer un diagnostic juste du ou des problèmes, de se baser sur un ensemble théoriquement cohérent de mesures d’intervention, de disposer d’une participation de la direction et du personnel ainsi que d’un engagement ferme de la part de la haute direction. L’une des critiques formulées à l’égard de ce type d’approche est liée au fait qu’il se réalise en dehors des autres systèmes de gestion alors que les problèmes de santé psychique s’inscrivent dans un système global, traversé par d’autres risques de natures différentes traités par d’autres modalités et entités (Harvey & al., 2006). Il semble donc important que la prévention des problèmes de santé psychique au travail et les stratégies adoptées par l’organisation ne soient pas étudiées de manière isolée mais qu’elles s’intègrent à d’autres catégories de risques. Israël, Baker, Goldenhar, Heaney & Schurman (1996) ont par ailleurs présenté un modèle qui démontre les possibilités d’une approche intégrée de la gestion du stress. Les risques psychosociaux au travail sont ainsi pris dans un ensemble de risques liés au travail. Harvey et son équipe (2006) critiquent toutefois ce modèle et questionnent la pertinence des instances mobilisées et l’importance donnée aux risques psychosociaux en comparaison à d’autres risques. Ces questions ne trouvent néanmoins pas de réponse dans la littérature actuelle (Ibid.). Enfin, l’intérêt principal de ce type de modèles réside dans le fait qu’ils favorisent une approche systématique dans le diagnostic qui est fait des situations, dans la mise en œuvre et l’évaluation des interventions sur les facteurs de stress (Ibid.).

Les modèles axés sur le contenu s’intéressent, quant à eux, aux aspects individuels et organisationnels ou ceux liés à la fonction comme des niveaux sur lesquels peut reposer la mise en œuvre de changements afin de réduire le stress au travail. Ces modèles vont guider la recherche sur le stress au travail, en constituant « un réservoir de connaissances touchant les interventions » (Harvey & al., 2006, p. 14). Ils répertorient un certain nombre de techniques et de programmes de ressources humaines37 (Ibid.). Ils partent non pas du problème exprimé par l’organisation mais le définissent à partir d’un examen des formes d’interventions rencontrées dans la littérature. Il semble ainsi que la stratégie adoptée soit l’inverse de celle choisie par le modèle axée sur le processus. Parkes & Sparkes (1998) dégagent deux types d’intervention axés sur le contenu : les interventions socio-techniques et les interventions psychosociales. Les premières vont orienter leurs actions principalement vers des changements relatifs aux aspects structurels et objectifs de l’organisation du travail et définissent ses conditions de réalisation (Ibid.). Il peut s’agir des horaires de travail, de la politique de gestion du personnel, des procédures de travail, qui sont reconnus comme étant des facteurs potentiels de stress et pouvant altérer la santé et le bien-être au travail. Et, dirigées sur les conditions objectives qui structurent l’organisation, ces interventions peuvent intégrer une démarche systématique. Les secondes, c’est-à-dire les interventions psychosociales, vont se centrer sur les perceptions que les salariés ont de leur environnement de travail et la manière dont il génère du stress. Ces interventions se situent dans la phase « stress » du processus, à savoir lorsque les salariés connaissent l’expérience du stress. Le but ici est de réduire le stress en favorisant un changement de perception de l’environnement de travail chez les salariés (Harvey & al., 2006). Parkes & Sparkes (1998) ont d’ailleurs montré que ce type de changement est rendu possible par des méthodes qui stimulent la participation, qui augmentent la communication, le soutien social, qui valorisent l’autonomie au travail et qui diminuent l’ambiguïté des rôles.

Notes
36.

Le Ministère de la Santé et de la Sécurité de Grande-Bretagne.

37.

Notamment les PAE, les stratégies de clarification des rôles ou de conception des tâches ou encore de techniques de relaxation.