I-3.2.2. Les autres modes d’intervention

D’autres interventions peuvent être élaborées qui ne font pas référence explicitement à l’un des deux modèles mentionnés précédemment et qui ne s’orientent pas uniquement sur le stress. Ces interventions se construisent en lien avec des approches théoriques spécifiques. Une des approches, qui ne relève pas spécifiquement de la prévention primaire car elle ne vise pas directement à modifier l’organisation du travail, tient plutôt dans l’accompagnement de collectifs de travail sur des questions spécifiquement liées au métier. Cette approche est particulièrement présente en France, notamment au travers les travaux de la clinique de l’activité par exemple. L’intervention est centrée sur les collectifs de travail qui sont vus comme des espaces permettant le développement des individus et la régulation d’un certain nombre de tensions liées au travail. Ce qui est intéressant dans cette approche, contrairement à celle de l’ANACT par exemple, qui associe l’apparition de ces tensions à une situation critique sur laquelle agir efficacement afin qu’elle « disparaisse », est que celle-ci va investir cette question des tensions, sans l’ignorer, en tentant de saisir comment le collectif de travail fait face à ces situations critiques pour se développer.

Il existe une autre stratégie qui permet de favoriser la prévention. Elle se base sur l’approche critique de la maturité organisationnelle. Elle utilise pour cela un outil qui permet le diagnostic de la culture santé sécurité au travail (SST) dans l’organisation (Roy & al., 2008). Celui-ci permet la mesure de variables prédictives pouvant avoir une incidence sur les résultats en SST (Booth, 1993). Cette mesure permet entre autres de vérifier la réalisation des plans d’actions proposés, de favoriser un cadre d’amélioration et d’évaluer l’efficacité des mécanismes de contrôle des risques (Simpson & Gardner, 2001). Leur intérêt réside dans la possibilité d’intervenir en amont et d’éviter l’apparition de troubles. Cet outil s’intéresse principalement aux perceptions des répondants sur ce qui se fait effectivement en matière de SST dans l’organisation (Roy & al., 2008), pour rendre compte des actions mises en place dans l’organisation et favoriser la SST. Ces actions sont des révélateurs de la culture SST ambiante (Ibid.). On parvient ainsi à structurer un classement des cultures de SST en catégories hiérarchisées. D’abord proposé par Westrum (1993) qui a développé un cadre de référence à trois niveaux (pathologique, bureaucratique, générateur), Parker, Lawrie & Hudson (2006) ont ensuite ajouté deux intermédiaires (réactif et proactif). Ce classement détermine en quelque sorte la maturité de l’organisation concernant la SST. Dans ce cadre, une organisation qui a le projet de progresser dans cette hiérarchie et donc d’augmenter son niveau de maturité doit adopter des pratiques proposées dans la catégorie supérieure. Notons que ce cadre de référence a connu un certain succès dans les grandes organisations multinationales et que cet outil est principalement utilisé par les gestionnaires.

Roy & al. (2004)ont eux aussi utilisé une logique de hiérarchisation pour développer un instrument de mesure destiné au diagnostic de la culture SST dans les organisations. Le premier niveau qu’ils identifient est de type réactif et concerne des résultats du passé sur lesquels il n’est plus possible d’agir. C’est le niveau de base de la culture SST. Il vise la performance des résultats, en permettant le recensement des événements et la mise en place d’actions pour éviter leur répétition. Le second niveau progresse vers l’idée de prévention et la mesure vise, non plus les résultats mais les éléments constitutifs de l’organisation du travail et concerne plutôt les processus et programmes qui favorisent l’amélioration continuelle en matière de SST. Les moyens passent par des programmes de prévention, la formation et l’information. Cette progression devient possible à condition que la direction et les employés soient engagés dans le processus. Enfin, à un troisième niveau, la préoccupation se déplace vers les indicateurs de mesure de la culture organisationnelle reconnus comme étant les plus prépondérants pour garantir dans la durée le succès en matière de SST. La mesure de performance atteint son niveau le plus haut et le plus complexe quand elle permet l’appréciation de l’intégration des systèmes organisationnels dans une démarche de santé sécurité. L’instrument de mesure universel de la performance des systèmes de gestion de la SST (UAI) (Redinger & Levine, 1999), réputé le plus complet de sa catégorie, permet de s’assurer que la totalité des décisions et actions prennent en compte la SST.

Pour Roy & al. (2004), le véritable enjeu de la mesure est de favoriser les conditions d’une culture d’apprentissage de la prévention, et non de la performance, et de l’élimination des risques professionnels rendus possibles par « l’amélioration des processus et des systèmes qui déterminent de façon proactive les résultats » (p. 5). L’outil qu’ils proposent permet de procéder à un diagnostic illustrant l’écart entre la situation actuelle telle qu’elle est évaluée par les répondants et la situation idéale proposée. De plus, en impliquant les salariés, il constitue une véritable action de sensibilisation. Enfin, en visant le développement culturel sur ces questions, il est une autre réponse donnée aux problèmes de SST. La mesure et la mise en place de systèmes de gestion seuls ne permettent plus d’améliorer la situation de manière significative. Un des inconvénients de cet outil est qu’il reste essentiellement centré sur les questions de SST à hauts risques (accidents, maladies professionnelles) et donc peu adapté à la prévention des risques psychosociaux au travail (RPS) dans la mesure où ces intervenants s’orientent préférentiellement vers des secteurs comportant des risques importants pour la santé physique : construction, exploitation minière, transport, etc. Ce type d’intervention s’adresse donc aux organisations qui aspirent à développer des milieux de travail sécuritaires. Il existerait, par ailleurs, un risque de « dénaturer l’utilisation de l’outil pour en faire un instrument de contrôle et de mesure de la performance » (p. 23). Cette dérive à laquelle peut conduire son utilisation soulève la question de l’instrumentalisation possible d’un outil de prévention.

Enfin, une autre approche repose sur la mise en place de dispositifs organisationnels. Ils prennent la forme de procédures instaurées dans l’organisation, qui vont s’ajouter à son fonctionnement habituel et devenir une réponse supplémentaire pour traiter les situations qui portent atteinte à la santé psychique au travail. Il s’agit par conséquent de dispositifs spécifiquement dédiés à cette question, mais ils ne visent pas directement à modifier l’organisation du travail. Il existe différentes sortes de dispositifs et leurs objectifs et leur structuration diffèrent selon les organisations dans lesquelles ils sont implantés et selon les organismes spécialisés qui les proposent. Les études réalisées sur les problématiques de la gestion des risques en prévention de la santé psychique au travail n’abordent quasiment pas l’existence de ces dispositifs. Ils sont généralement mis en place à la demande de l’organisation par rapport à un événement ponctuel qui fait crise dans l’organisation. Le défi qu’ils posent est ainsi celui de l’inscription durable de ces procédures dans l’organisation et de leur efficacité dans le temps (Rouat, 2008).