I-3.3.3.3. Les facteurs garantissant la réussite du processus

Les principaux éléments qui facilitent l’intervention reposent sur une approche stratégique des risques ; le soutien de la haute direction (financier notamment) ; le soutien aux gestionnaires lors des changements ; l’implication de tous les niveaux hiérarchiques ; l’approche participative tout au long de la démarche (la participation des salariés à la discussion des problèmes et à l’élaboration des solutions), la structuration et la régularité des rencontres avec le comité de pilotage ; l’étroite collaboration et la relation de confiance avec les représentants de la gestion des ressources humaines ; l’établissement d’un calendrier d’intervention à court, moyen et long terme ; l’identification préalable des populations de travailleurs à risque en fonction de modèles théoriques validés ou des manifestations qui leur sont associées ; la mise en place rigoureuse des changements requis auprès des populations de travailleurs ciblés et la prise en charge de la démarche et des changements par le milieu ; l’intégration des interventions dans le cadre d’un projet organisationnel plus large et la mise en évidence de quelques problèmes concrets (Baril-Gingras, Bellemare & Brun, 2006 ; Brun & al., 2007 ; Hansez & al., 2009 ; Kompier & Cooper, 1999 ; Kompier & al., 1998, 2000 ; Goldenhar & al., 2001).

Au niveau de sa définition, l’intervention doit définir au préalable les différentes étapes de sa mise en œuvre et les respecter. Brun & al. (2007) ont fait l’évaluation de plusieurs de leurs interventions dans trois organisations, notamment sur l’évolution des facteurs de risque et des indicateurs du bien-être tels que la satisfaction au travail, la détresse psychologique, le soutien social et l’épuisement professionnel. Leurs résultats concernent le processus d’intervention. Ils ont mis en évidence les « étapes stratégiques et cruciales » permettant l’intervention à la fois sur les sources du stress et ses conséquences. Les étapes qu’ils ont décrites sont les suivantes : 1) la reconnaissance de l’existence des problématiques reliées au stress au travail ; 2) la préparation au changement ; 3) l’identification des risques et des solutions ; 4) l’analyse des risques et des solutions et l’identification de priorités et des ressources ; 5) l’implantation des solutions visant la diminution de l’exposition aux facteurs de risques organisationnels et leurs conséquences ; 6) l’évaluation de l’efficacité des interventions. La reconnaissance d’une relation entre le travail et les conséquences sur l’individu et l’organisation est un préalable à la mise en place d’interventions visant l’amélioration des conditions de travail (Baril-Gingras & al., 2006). Cette reconnaissance des risques pour la santé psychologique est une condition qui garantit l’engagement et la mobilisation des différents acteurs organisationnels ainsi que de la pertinence des interventions et des actions possibles (Brun & al., 2007). La reconnaissance de la problématique et la prise de conscience de l’importance d’agir sont facilitées par la mise en évidence des conséquences sur l’organisation à partir de l’exploitation des indicateurs tels que l’absentéisme et la perte de productivité (Cox, Griffiths, Barlowe, Randall, Thomson & Rial-Gonzalez, 2000). Ensuite, la préparation au changement repose sur le soutien de la direction, l’implication des gestionnaires et la participation des salariés (Jordan, Gurr, Tinline, Giga, Faragher & Cooper, 2003 ; Kompier & al., 1998). Ces éléments garantissent le succès d’une intervention (Kompier & Cooper, 1999), notamment quand il existe des enjeux forts, à savoir quand l’intervention implique des transformations de l’organisation du travail (Brun & al., 2007). L’engagement se mesure par la volonté de dépasser le diagnostic et d’implanter des programmes ou des interventions spécifiques (Ibid.). La volonté de la direction est perçue comme d’autant plus crédible quand un budget spécifique est octroyé (Jordan & al, 2003). Toutefois, la question de la participation, dans la mesure où elle ne conduit pas toujours à des effets positifs, en particulier dans les modèles axés sur le processus, doit toujours être interrogée. En effet, de manière générale, les études vantent les mérites de la collaboration entre la direction et les employés, c’est-à-dire de la gestion participative (Guzzo, Jette & Katzell, 1985 ; Roy, Bergeron, & Fortier, 2004). Toutefois, la compréhension de la participation dans le contexte des interventions sur le stress n’est pas évidente (Harvey & al., 2006). En effet, et contre toute attente, ces interventions sont parmi celles qui démontrent le moins de preuves d’efficacité (Harvey & al., 2006 ; Parkes & Sparkes, 1998). Tandis que les stratégies d’intervention de type socio-technique, reconnues comme les plus efficaces, ne comportent pas nécessairement de composante participative (Harvey & al., 2006). C’est donc une prudence nécessaire que de questionner cette composante au vu de l’importance qu’elle prend dans l’intervention. Néanmoins, bien qu’il souligne les effets éventuellement négatifs de l’approche participative, le rapport de Harvey et de ses collaborateurs (2006) ne précise pas leur nature. On peut penser que ces effets sont peut-être davantage à relier au contexte organisationnel qu’à l’approche choisie dans l’intervention.

Au niveau de ce qui va favoriser l’implantation de la démarche, Kompier et ses collaborateurs (2000) observent également que les interventions produisent des effets positifs, sur la santé, le bien-être, la satisfaction des salariés et l’absentéisme, lorsqu’elles sont implantées adéquatement. Brun & al. (2007) ajoutent qu’il est tout à fait judicieux de soutenir les cadres intermédiaires et de proximité dans l’implantation de la démarche, souvent considérés comme à l’origine des problèmes, ce qui peut participer à les sécuriser et à davantage les impliquer. L’engagement et la participation du syndicat augmentent également la crédibilité des actions proposées et la participation des salariés doit se construire dès l’identification des risques et des solutions et non pas seulement au moment de la mise en place des actions (Ibid.). Ils expliquent encore comment il est utile d’implanter rapidement des actions concrètes en s’assurant de la diffusion d’informations sur ces réalisations, afin de faire face aux opinions défavorables liées à la conduite d’une intervention qui vise l’amélioration des conditions d’exercice du travail ; que le soutien d’un expert est généralement apprécié, notamment aux membres des comités lors de situations délicates comme les moments de présentation du projet aux salariés ; et que le choix du pilote de projet est un élément clef de la réussite des interventions. Celui-ci doit posséder des qualités de leader, être efficace, posséder des compétences en gestion de projet et faire appel à des stratégies pour faire face aux résistances des employés et des gestionnaires. En revanche, l’étude de Hansez & al. (2009) montre que l’implication de la direction, de la hiérarchie et des salariés a une influence positive sur déroulement de la démarche, alor que celle des syndicats ne semble pas mise en évidence.

La revue de cette littérature ne pose néanmoins pas clairement la question pourtant incontournable de l’analyse de la demande. Celle-ci est considérée comme la première étape d’une démarche de prévention du stress au travail (François & Liévin, 2006). Elle nécessite un temps de réflexion et de discussion pour saisir ce qui motive l’organisation et l’employeur à initier cette démarche et doit précéder toute action(Israël & al., 1996). Dans la mesure où le sens de la demande ne repose pas toujours sur des arguments exhaustifs et justes, et qui dissimule souvent des enjeux importants, il est essentiel de dédier un temps pour l’analyse et la reformulation de la demande (Ibid.). En effet, Giust-Desprairies (2001) : écrit que « la conception du processus qui situe l’action dans la relation entre l’intervenant et les demandeurs apparaît explicitement comme une action de changement [mais] la demande de changement dans l’intervention peut être implicitement une demande que rien ne bouge ou une demande de retrouvailles de l’équilibre antérieur […]. Derrière la demande de l’organisation, il peut y avoir une demande de mise en sens, c’est-à-dire de construction, de restauration, d’appropriation des significations de l’acte coopératif dans des contextes organisationnels ou institutionnels » (p. 42-43). L’analyse de la demande doit également chercher à délimiter le champ de l’étude. Cette délimitation est en particulier dépendante du temps dont dispose l’intervenant, souvent imposé par l’organisation et généralement sous-estimé. La complexité des problèmes est souvent mal évaluée et prise en compte, et les « entreprises soulèvent souvent des problèmes dont la solution était attendue avant-hier » (Guérin & al., 2001, p. 140). Par conséquent, l’intervenant doit clairement identifier les limites « de ce qu’il peut faire dans le temps qu’il a pu négocier » (Ibid., p. 141).

Par conséquent, nous retiendrons l’importance de l’analyse de la demande comme première étape garantissant la réussite d’un processus et d’une intervention, mais également la nécessité de recourir à des données probantes (Harvey & al., 2006) et d’identifier les facteurs de risques psychosociaux dans le contexte organisationnel particulier par la mise en place d’un diagnostic ou d’une analyse des risques (Kompier & al., 1998 ; Kompier & al., 2000). Cette analyse des risques est probablement le facteur le plus stimulant et le plus important dans l’intervention. Elle peut s’appuyer sur des approches qualitative et quantitative. De plus, la réussite du processus peut, en partie, reposer sur la participation sollicitée de la hiérarchie et des salariés (Israël & al., 1996 ; Kompier & al., 1998 ; Harvey & al., 2006). Cette participation peut être stimulée par la mise en place d’un plan de communication présentant la démarche (François & Liévin, 2006). Le soutien et la collaboration entre les acteurs de l’organisation et l’intervenant sont également déterminants pour la réussite d’une démarche (Hansez & al., 2009). La qualité de la collaboration favorise la mise en place d’action après le diagnostic. L’intervenant doit disposer du soutien de la direction et il doit également veiller à apporter son soutien aux membres de la direction (Ivancevich & al., 1990 ; Israël & al., 1996 ; Kompier & al., 2000 ; Landsbergis & Vivona-Vaughan, 1995 ; Sauter & al., 1990). Mais soutenir ne signifie pas être d’accord sur tous les points et adhérer aux analyses de la direction concernant les situations de travail. En revanche, il est nécessaire que la direction adhère et soutienne la démarche et ses objectifs. Dans le cas contraire, ce manque d’adhésion constitue un obstacle à la poursuite des actions définies suite au diagnostic (Hansez & al., 2009). De plus, la réunion d’équipes pluridisciplinaires est un atout considérable (Israël & al., 1996). La participation d’un expert est également recommandée dès le commencement du processus. Il participe à garantir la règle de confidentialité indispensable à la poursuite de telles démarches (Hansez & al., 2009). Pour cela, il est nécessaire que les consultants qui interviennent puissent préserver une indépendance professionnelle bien qu’impliqués dans le processus (Sauter & al., 1990). Enfin, d’autres recommandations ont été formulées pour soutenir la réussite des interventions en matière de prévention de la santé psychique au travail. Mais on observe toutefois que ces recommandations sont rarement issues de données probantes et que leurs résultats sont, par conséquent, trop fragmentaires (Berthelette & Pineault, 1992). Les chercheurs semblent privilégier « l’essai contrôlé randomisé pour optimiser la validité interne des inférences c’est-à-dire éviter de conclure […] qu’une intervention atteint ses objectifs ou encore qu’elle ne produit aucun de ses effets attendus » (Berthelette & al., 2008, p. 172). Les méthodes issues des sciences sociales, qui ont par ailleurs une légitimité reconnue dans d’autres domaines d’application de la recherche évaluative que la santé au travail (Dubois & Marceau, 2005), peuvent être utiles pour produire des connaissances sur l’efficacité des interventions et programmes (Berthelette & al., 2008).

Ainsi, la littérature sur l’évaluation de l’intervention en matière de prévention de la santé psychique au travail est réduite et encore insuffisante. Certains travaux réalisés permettent néanmoins de dégager des pistes pour conduire une intervention pertinente. Il s’avère toutefois que ces pistes ne sont pas véritablement vérifiables puisqu’elles se développent dans un processus difficilement mesurable. On observe néanmoins que l’absence de certaines conditions suffit à nuire totalement à l’intervention, comme par exemple l’absence du soutien de la direction. On remarque également qu’elles concernent principalement le problème du stress professionnel et peuvent manquer de pertinence pour les interventions centrées sur la santé psychique en général. Enfin, on s’aperçoit, à partir des éléments soulevés dans la littérature, qu’il existe semble-t-il une confusion entre ce qui relève de l’efficacité de l’intervention, en termes de résultats, et la réussite de l’intervention, en termes de processus. Cette réussite passe notamment par la décision prise par la direction liée à un changement dans l’organisation. Ainsi, cette revue de la littérature pose quelques perspectives de recherche pour notre thèse, notamment celle qui vise à questionner de manière plus approfondie le processus d’intervention et celle de l’étude de la durabilité ses effets, c’est-à-dire de la mise en relief des conditions qui vont garantir la réussite à long terme de l’intervention, des changements définis par l’intervention et des actions mises en place.