Chapitre 4 : Opérationnaliser l’étude de la prévention de la santé psychique au travail : le processus d’intervention et l’efficacité des dispositifs dans la durée

Notre problématique s’est ainsi nourrie des questionnements relatifs aux liens qui s’établissent entre la santé et le travail et aux manières dont se négocient ces liens. Cette construction participe d’une dynamique qui associe l’individu et l’organisation mais également d’autres systèmes sociaux et institutionnels. D’autre part, nous avons pris connaissance des éléments qui sous-tendent l’intervention en matière de prévention de la santé psychique au travail. Nous avons extrait de cette littérature des cadres qui instituent des orientations réglementaires, des approches théoriques, des modèles d’intervention, des conditions qui garantissent ou pas leur réussite et les risques qui peuvent dépendre entre autres de la posture « résistante » de l’organisation. Les éléments relatifs à l’intervention recomposent d’une certaine manière les modes de régulation des liens santé-travail. Ils offrent la possibilité et des espaces formels pour identifier les problèmes et réunir les acteurs pour concevoir les changements utiles. L’intervention, comme le changement, évolue dans des processus, qui relèvent de l’organisation, de l’individu, des collectifs et des relations qu’ils entretiennent entre eux, et de leurs relations avec l’intervention. Autrement dit, le temps de l’intervention est un temps où les relations entre l’organisation, l’individu et le collectif vont se modifier pour construire d’autres modes de régulation. L’objectif de la prévention est de renforcer ces liens et non de les fragiliser. Voici comment nous schématisons cette idée :

Figure 1 : Le processus d’intervention et ses objectifs
Figure 1 : Le processus d’intervention et ses objectifs

Par conséquent, notre problématique s’oriente vers la compréhension du développement d’une dynamique psychosociale intégrative qui unit l’individu et l’organisation dans la prévention de la santé psychique au travail. Nous nous centrerons pour cela sur le processus d’intervention dont la finalité est l’identification des sources d’atteinte à la santé psychique et à la détermination de préconisations. Ainsi, nous souhaitons étudier les éléments qui soutiennent l’interaction individu-organisation et qui sont favorables à l’établissement de modes de régulation qui garantissent des liens positifs et structurants entre la santé et le travail. Nous nous demanderons pour cela comment développer un processus d’intervention permettant la mise en place d’actions et de changements. Nous proposerons une méthodologie permettant d’apprécier les éléments de l’interaction individu-organisation qui participent à la dégradation de la santé psychique des individus au travail. Quelle approche adopter dans l’intervention pour permettre une évolution positive de ces processus interactifs ? Quels sont les éléments clefs à prendre en compte pour conduire une intervention en matière de prévention primaire ? D’autre part, nous questionnerons ce processus à partir de l’analyse d’interventions centrées sur l’évaluation de l’efficacité de dispositifs organisationnels de prévention. En quoi l’étude du processus d’intervention peut-elle constituer une aide pour améliorer le fonctionnement de dispositifs ? Plus précisément, nous nous demanderons comment développer une démarche d’évaluation d’un dispositif organisationnel en vue de renforcer l’interaction des facteurs individuels et organisationnels dans le recours aux ressources organisationnelles. Enfin, comment comprendre les attitudes de recours ou de non-recours à ce type de dispositif et, comment favoriser le recours à des formes d’aide internes à l’organisation ? Quels sont les éléments clefs à prendre en compte pour garantir à long terme l’efficacité de ces dispositifs ?

Ces deux niveaux de questionnement permettront de comprendre ce qui soutient ou bloque les processus d’intervention, le passage de l’identification des risques à l’action et l’utilisation par les acteurs de l’organisation des évaluations réalisées. En effet, nous tenterons d’apprécier les effets indirects d’un processus d’intervention sur les liens de coopération entre acteurs.

Pour opérationnaliser l’étude de la prévention de la santé psychique au travail, en mettant l’accent sur le processus d’intervention, nous proposerons de décrire et d’expliquer trois modes d’intervention organisationnelle. Le premier concerne la réalisation de diagnostics visant à identifier les facteurs de souffrance au travail. Celui-ci se poursuit généralement par la constitution d’un plan d’action, qui se réalise à partir de l’identification de ces facteurs et des problématiques diverses qu’ils impliquent. Ici, nous proposons de décrire les processus qui sous-tendent l’intervention dans l’organisation et le passage ou la progression de ce diagnostic vers ce plan d’action et sa réalisation. Cette réalisation soutient les éléments du changement dans l’organisation. Il peut s’agir d’éléments qui ne sont pas strictement rattachés dans l’action à l’intervention mais qui lui succèdent. Le deuxième porte sur l’élaboration collective d’un dispositif organisationnel, à son implantation dans l’organisation et à son suivi dans la durée. La description de ce processus participatif met en relief les éléments qui soutiennent la coopération d’acteurs internes et externes dans la construction d’un projet de prévention. Elle met également l’accent sur la progression de la réflexion d’acteurs divers pour imaginer un outil pertinent, efficace et adapté à l’ensemble du collectif, puis leur capacité à le faire fonctionner et à penser son perfectionnement. D’une certaine manière, la progression des compétences et le renforcement de la coopération des acteurs organisationnels questionnent la collaboration avec l’intervenant externe en tant que ressource pour le suivi. Le troisième mode d’intervention porte sur la réalisation d’évaluation de dispositifs organisationnels de prévention. Il concerne à la fois le processus d’intervention et la réflexion autour des conditions qui vont garantir l’efficacité de ces outils dans la durée. Cet exercice d’évaluation met en relief la manière dont est implantée la démarche d’évaluation dans l’organisation, la manière dont elle conduite en collaboration avec les acteurs mais également la manière dont elle favorise la progression plus large des acteurs concernés et leur coopération sur cette question. Nous nous proposons, d’autre part, d’étudier l’efficacité de ces dispositifs organisationnels à travers le concept de non-recours, étudié par Warin (2002, 2003, 2007)et Fieulaine, Kalampalikis, Haas, Mercier & Béal (2008), qui fait référence à l’attitude d’individus qui ne vont pas, pour diverses raisons, solliciter l’aide de dispositifs publics. De plus, l’évaluation qui se développe dans ce type d’intervention implique également la constitution d’un plan d’action qui va permettre des ajustements ou des modifications profondes des procédures qui sous-tendent le dispositif. Ces modifications constituent des moyens de garantir une meilleure efficacité du dispositif. Enfin, l’évaluation est un temps où les acteurs vont se réapproprier le dispositif et le mettre à distance pour être en capacité de le critiquer. Ce type d’intervention permet de mettre en relief les processus d’appropriation d’une démarche par un collectif, d’implantation de celle-ci dans une organisation, et des processus qui vont favoriser une réappropriation et une projection dans l’avenir de ce que pourrait être le dispositif dans l’espace organisationnel. Il impose également à chacun de se projeter dans d’autres liens de coopération.

Ces trois approches que nous choisissons afin de tenter d’opérationnaliser l’étude de la prévention impliquent que nous nous appuyions sur les conditions préalablement identifiées concernant la réussite des interventions.