I-4.1.3. De la détermination de l’action au changement : le rôle de l’évaluation

Nous nous intéressons, pour comprendre ce qui va permettre le passage à la décision de changement, à la question de l’utilisation des connaissances produites à partir d’évaluation. En effet, les processus et résultats issus de l’évaluation produisent de la connaissance potentiellement utile aux organisations. L’utilisation des connaissances produites dans une perspective organisationnelle est « centrée sur l’identification des facteurs et des processus qui incitent les acteurs à mobiliser des connaissances. Celles-ci sont donc considérées comme des entités dynamiques qui gagnent en intérêt au gré des interprétations et des traductions qu’opèrent les acteurs organisationnels » (Denis, Lehoux & Tré, 2009, p. 185). Par ailleurs, Patton & LaBossière (2009) écrivent que « l’évaluation axée sur l’utilisation est basée sur le principe selon lequel les évaluations devraient être jugées en fonction de leur utilité » (p. 143). On aurait tort de penser que seuls les résultats de l’évaluation sont utiles car « le simple acte de participer au processus peut aussi être utile » (p. 150). Le processus est une occasion d’apprentissage pour ceux qui y participent et sont tout aussi importants que la mobilisation des résultats à des fins de décision ou de changement (Patton, 1988). Il vient renforcer les capacités, développer une pensée évaluative et favoriser une compréhension partagée d’un problème ou d’un objet entre les différents partenaires. Il permet d’augmenter l’engagement et le sens d’appropriation des participants, d’encourager un débat ouvert entre les acteurs, d’augmenter la crédibilité d’une action et contribuer au développement des organisations participant à l’évaluation. De plus, le processus d’évaluation peut avoir un impact significatif qui peut durer plus longtemps que les résultats qui découlent de l’évaluation (Patton & Labossière, 2009). C’est également de ce point de vue que nous considérons l’impact durable d’un processus d’intervention.

L’utilité du processus d’évaluation est sous-tendue par plusieurs principes que reprennent Patton & LaBossière (2009), notamment ceux qui indiquent que la force qui va guider l’ensemble du processus est l’engagement des acteurs à s’en servir et que le souci de l’utilisation est permanent et posé dès le début de l’évaluation. L’utilisation des résultats est pragmatique car elle se fonde sur un impératif d’action (Patton, 1988). Elle s’organise autour d’une relation mandant-mandataire et se définit comme un processus de recherche appliquée qui vise à répondre aux besoins des clients de l’évaluation ou de publics intéressés par la démarche. Elle prend forme à l’intérieur d’un processus de résolution de problèmes (Denis, Lehoux & Champagne, 2004). Patton (1994) explique que l’utilisation de l’évaluation développementale est un type d’utilisation des résultats qui s’apparente à un processus de développement organisationnel et qui se matérialise par l’évaluation. Celle-ci est utilisée dans un objectif de développement organisationnel, à partir d’un partenariat entre l’évaluateur et les acteurs, qui permet de structurer le processus d’évaluation en tenant compte de la dynamique du contexte. Peuvent être mises en place des stratégies de rétroaction, de suivi de l’évaluation et d’appui aux acteurs. Mais le problème lié à la définition du projet pour le consultant a néanmoins été souligné. Dans un contexte où le financement est lié à la signature d’un contrat, la pression pour démontrer une utilité immédiate des résultats de l’évaluation est supérieure à une évaluation faite dans le cadre de l’obtention de fonds de recherche par exemple (Denis & al., 2009).

Par conséquent, les apprentissages tirés du processus d’évaluation par les acteurs sont tout aussi importants que la mobilisation des résultats à des fins de décision ou de changement (Patton, 2000). Ils participent activement aux processus d’appropriation des procédures définies pour l’action. La question de l’utilité dans la durée renvoie à ce que l’intervention a contribué à construire dans l’organisation et qui doivent pouvoir « demeurer, s’autonomiser, acquérir une légitimité qui résiste au temps » (p. 267). L’enjeu est donc « qu’un point de vue sur le travail puisse continuer d’être présent » (Ibid.). L’intervention pose donc la question de la manière dont vont se structurer les représentations des acteurs, les positions de chacun dans le changement. Ainsi, les conditions qui vont permettre la production de connaissances, leur transfert et leur appropriation sont centrales.

Nous nous proposons également d’investiguer un processus d’évaluation de dispositifs à partir de deux orientations. La première vise à définir progressivement, à partir des problématiques identifiées sur les terrains d’implantation, des conditions qui favorisent l’efficacité de dispositifs. Et ensuite à construire des méthodes pour les mesurer dans diverses organisations. La deuxième orientation vise à apprécier l’utilité d’un processus d’intervention lié à l’évaluation d’un dispositif. Nous nous demandons, en effet, comment ce processus peut-il apporter des éléments pour comprendre le rapport que les acteurs organisationnels entretiennent avec le dispositif et son évolution, et comment les liens de coopération entre eux évoluent au fil de la démarche. Nous prenons donc en compte ces deux orientations en faisant l’hypothèse que la réussite d’un processus d’intervention et l’avancée vers le changement doit les associer. L’évaluation ne vise pas directement l’amélioration des liens de coopération mais sa conduite dans l’organisation doit la favoriser.

De plus, pour envisager le processus d’intervention, nous nous sommes principalement référée au modèle d’intervention ergonomique et aux conditions dégagées par des travaux mentionnés dans le précédent chapitre. Il donne de nombreuses informations relatives à la construction de l’intervention, à son implantation dans l’organisation, à sa conduite par l’établissement de liens de coopération avec les acteurs et aux moyens d’impulser un changement à partir de l’identification de difficultés. Il constitue donc des références pour opérationnaliser l’étude de démarche de prévention de la santé psychique dans les organisations. Nos références à d’autres travaux sur l’évaluation ont permis d’envisager l’utilité d’un processus d’intervention par son action sur les liens de coopération entre acteurs de l’organisation et qui va favoriser l’utilisation des résultats produits par l’intervention. L’autre approche que nous souhaitons interroger pour cette étude est celle qui repose sur l’évaluation de dispositifs organisationnels conçus pour prévenir les problèmes de santé psychique au travail. Ce processus d’intervention centrée sur l’évaluation de dispositifs vise la détermination des éléments qui favorisent l’existence dans la durée et l’efficacité de ces outils. Notre approche de cette efficacité est centrée sur le concept de non-recours.