I-4.2.3. Mesurer l’efficacité d’un dispositif : l’apport du concept de non-recours

Un nombre important d’individus qui vit une difficulté particulière dans le travail ne s’oriente pas naturellement vers les différents acteurs organisationnels concernés, ou vers des dispositifs spécifiques quand ils existent, mais davantage vers leur médecin traitant. Cette attitude qui conditionne une pratique de santé au travail en dehors de la sphère du travail pose des enjeux en matière d’intervention tout à fait importants (Thébaud-Mony, 1991). Le traitement qui est donné au problème peut s’avérer décalé par rapport aux facteurs qui l’ont généré. Ainsi, la prévention s’éloigne le plus souvent du lieu du travail, privilégiant celle du contrôle des facteurs de risques liés aux comportements individuels et dépendants donc de la volonté du salarié (Barros Duarte & Lacomblez, 2006). D’un autre côté, la psychologie de la santé propose différents modèles pour expliquer le cheminement allant des perceptions et représentations liées à l’état de santé et de maladie jusqu’aux comportements de santé, à la demande d’aide et au traitement (Fischer, 2002). Bien qu’il semble que ces modèles ne prennent que très peu en compte les pathologies psychiques, qui recomposent en profondeur, nous paraît-il, les processus de significations liées aux atteintes de la santé, ainsi que l’orientation et la nature des comportements d’aide, nous pouvons néanmoins en tirer des apports pertinents pour notre approche. Dans cette perspective, les personnes malades s’efforcent activement de comprendre leurs symptômes et leur maladie. Elles construisent des représentations cognitives ou modèles de leur maladie à partir desquelles elles formulent l’attitude pour la gérer et la combattre, ou les procédés qui vont leur permettre de faire face aux risques encourus (Petrie & Weinman, 1997). La création de représentations déterminerait ainsi les comportements, telle que la recherche d’aide et l’ « adhérence » au traitement. De plus, la croyance dans l’efficacité des médicaments, dans ce qui est nécessaire de faire et les préoccupations liées à la prise de comprimés que cela peut susciter, sont étroitement liées à cette adhérence au traitement (Horne, 1997). En conséquence, le fait d’être persuadé qu’il y aura guérison ou contrôle est associé à une perception que la maladie sera de courte durée et que les effets seront relativement mineurs par exemple (Leventhal, Nerenz & Steele, 1984). La manière dont l’individu interprète et s’explique les diverses atteintes à sa santé vont avoir une influence sur sa manière de se comporter pour trouver un remède et chercher de l’aide. La croyance dans un traitement efficace sera également déterminante. On peut tirer de ces modèles quelques éléments pour envisager la logique de recours à un dispositif organisationnel d’aide par un salarié.

S’il existe très peu d’études s’intéressant à la question de l’efficacité des stratégies d’interventions, nous n’avons pas trouvé dans la littérature scientifique d’études qui concernent de manière plus précise la question de l’efficacité des outils de prévention instaurés dans les organisations. Il n’est donc pas possible de s’appuyer sur des observations vérifiées pour nourrir notre réflexion concernant les conditions d’efficacité durable des dispositifs organisationnels de prévention et de traitement des problèmes de santé psychique au travail. Toutefois, quelques travaux ont porté sur les dispositifs d’aide publique et ont introduit le concept de non-recours pour expliquer les conduites d’individus qui ne sollicitent pas ce type d’aide alors qu’ils sont en droit de le faire. Ces études dégagent ainsi les différentes causes du non-recours et établissent des hypothèses sur les éléments qui, à l’inverse, peuvent favoriser le recours aux dispositifs.