I-4.2.3.1. Les causes du non-recours et la contribution du concept pour notre réflexion

Au niveau des dispositifs qui peuvent être mis en place dans les organisations, certains auteurs relèvent quelques limites à leur efficacité. L’une de ces limites réside dans l’absence de recours à ces dispositifs. La recherche réalisée par Loriol, Boussard & Caroly (2004) montre que les policiers, travaillant dans un secteur marqué par les tensions et la violence, et qui peuvent disposer d’un dispositif institutionnel de gestion du stress qui prend la forme d’une rencontre avec un psychologue, font très peu appel à ce dispositif. Leur interprétation est que ce type d’accompagnement n’est pas suffisant. La difficile gestion des situations par les policiers, aux prises avec un conflit dans l’application des règles et qui n’ont pas les moyens ni l’expérience pour le résoudre, provient en partie du fait qu’ils ne partagent pas de règles communes auxquelles se référer. Dès lors, l’intervention doit, pour eux, tendre à rétablir les conditions d’action du collectif sur chacun pour régler l’activité individuelle. Ensuite, on remarque que malgré la gravité des situations que peuvent vivre certains salariés, il arrive qu’ils ne les dénoncent pas et n’envisagent pas non plus de se défendre. C’est le cas par exemple des violences subies au travail. Fougeyrollas-Schwebel & al. (2000) ont ainsi mis en évidence, dans une enquête sur les violences envers les femmes au travail, que pour une proportion très élevée de ces travailleuses ayant subi une violence, le moment de l’enquête constituait la première occasion d’en parler. Le silence semble encore plus important pour les violences sexuelles. De plus, une très faible proportion des femmes ayant subi des violences a porté plainte. Pour certaines, une prise de conscience s’est opérée au cours de l’enquête par entretien, ainsi qu’une sensibilisation favorable à la déclaration des faits de violences subis.

L’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore40) apporte des éléments pour comprendre les déterminants du non-recours aux dispositifs pouvant procurer une aide aux personnes légitimes pour prétendre à ce type de prestations et ainsi satisfaire leurs droits. Comment comprendre, en effet, cette attitude de non-recours à des dispositifs d’aide ? Warin & al. (2002) explique que le non-recours tiendrait à trois grandes causes : le manque d’information liée à la prestation ; les erreurs de la part des services chargés de contrôler la validité des demandes ; et la complexité des dispositifs d’accès ou de prestation qui a des coûts psychologiques, et qui ralentit la motivation à faire valoir ces droits. Le demandeur peut ressentir de la honte ou peut, par fierté, ne pas recourir à ces formes d’aide, ou il peut encore ressentir de la méfiance à l’égard des services proposés. Il peut également avoir fait par le passé de mauvaises expériences qui l’en dissuadent. Enfin, dans certains cas, le non-recours peut être expliqué par un manque d’adhésion à l’offre publique (Ibid.). De plus, Warin & al. (2002) ont enquêté sur divers secteurs tels que l’école, la police et la justice, la santé, la solidarité. Ils font l’hypothèse, par ailleurs, de l’existence d’un non-recours actif ou volontaire. Le non-recours pourrait, dans certains cas, participer d’un « phénomène raisonné de défection » (p. 5). Ensuite, ils ont mis en évidence que le recours aux dispositifs d’aide pouvait également dépendre à la fois du crédit, de l’autorité et de la confiance que les individus accordent aux institutions. Le non-recours apparaît ainsi « comme le symptôme d’une carence, d’une insuffisance, mettant en cause le principe de « performance » » (p. 6). Certaines croyances en un traitement différencié, un désintérêt ou une absence de disponibilité, conduisant le sujet à penser qu’il est en dehors de la cible, peut alimenter ce phénomène de défection. Ils font également cette hypothèse que le non-recours peut résulter d’une stratégie volontaire de rupture avec la logique de service public, notamment pour s’opposer aux normes véhiculées par le système de santé par exemple. Ils en viennent par conséquent à redéfinir le non-recours par « la possibilité de ne pas prendre ou d’abandonner un prestataire, ou à un autre niveau, de ne pas entrer ou de quitter le système d’offre publique » (p. 8). Ils soulignent que le phénomène en question peut dépendre des perceptions des individus, de leurs croyances et opinions, ainsi que des expériences qu’ils ont des institutions. Mais il est indispensable de considérer les causes institutionnelles de ces phénomènes et non pas seulement la problématique comportementale et les jugements individuels portés sur les services.

Ils distinguent donc deux principales problématiques expliquant le non-recours, celle qui relève de la question comportementale et celle qui concerne la question institutionnelle. D’une part, ils renvoient à la problématique comportementale les non-recours qui sont l’effet d’une mise en cause de compétences attribuées aux prestataires, et d’un faible crédit accordé aux services ainsi qu’à un manque de confiance ; les non-recours qui sont le produit d’un calcul d’intérêts entre ce que coûte la mise en œuvre d’un dispositif et les avantages à en tirer. Ce coût peut parfois prendre la forme d’un risque supposé par l’individu qui motive son renoncement ; et enfin, les non-recours qui sont la conséquence d’une désaffiliation, phénomène guère maîtrisable par les institutions puisqu’il s’agit d’un « affaiblissement prononcé de l’intégration dans un réseau formel (ici administratif), mais aussi de solidarité primaire (famille, voisinage, associations…) » (Warin & al., 2002, p. 13). D’autre part, les non-recours relevant d’une problématique institutionnelle seraient, premièrement, l’effet de fonctionnements administratifs et de choix de politiques publiques, c’est-à-dire comme la conséquence de l’inégalité des chances dans l’accès aux services publics et donc structurellement entretenus ; deuxièmement, la conséquence des rigidités structurelles du modèle de service public marqué par la tendance à éviter des rapports actifs des usagers aux institutions. L’individu qui a le sentiment, par exemple, qu’il peut être entendu, recourt davantage aux dispositifs d’aide. Il s’agit là de favoriser la prévention et la proximité pour traiter le non-recours. D’autres auteurs (Fieulaine & al., 2008) ont étudié ce phénomène, en particulier le non-recours à la Justice.

Notes
40.

Odenore a pour objectif de produire des connaissances concernant ce problème en vue d’enrichir la recherche scientifique et d’améliorer le domaine de l’action.