I-4.2.3.2. Le recours comme processus de formalisation d’une expérience

En effet, Fieulaine & al. (2008) présentent leur approche du phénomène du non-recours à la Justice au travers de ses contextes institutionnels, sociaux et symboliques de mise en œuvre. Leur recherche tente d’approcher les dynamiques psychosociales pour rendre compte de l’inaction en Justice. Ils considèrent la diversité du champ relatif à l’analyse du non-recours laquelle implique de questionner différentes formes de non-recours qui correspondent à différents niveaux de recours. Ici, le non-recours à la Justice est abordé, d’une part, comme un certain rapport à la Justice et, d’autre part, dans une approche graduelle du recours. Ils tentent de repérer des « moments de non-recours » afin d’identifier « les facteurs déterminants les choix et les contraintes susceptibles d’orienter vers le recours ou le non-recours à un moment donné » (p. 5). Les marges de manœuvre apparaissent déterminantes à ces moments clefs puisqu’elles vont autoriser des alternatives, des abandons et des retraits. Le recours est abordé en tant que processus et susceptible d’aboutir à des formes de non-recours. Ce processus fait référence aux trois niveaux structurés par Abel, Sarat & Felstiner (1981) : naming-blaming-claiming, qui expliquent comment évolue le processus de recours, à partir de l’expérience d’un conflit jusqu’au recours, en passant par les étapes de nomination du conflit, qui lui donne accès au statut de conflictualité à résoudre, et de désignation d’une origine au conflit. De plus, les représentations sociales de la Justice, et plus largement le rapport au social, semblent déterminantes dans le déclenchement du recours et les démarches entreprises ou non pour résoudre le conflit (Fieulaine & al., 2008). Le recours constitue ainsi une formalisation de l’expérience du conflit par la signification et se réalise en interaction avec des contextes particuliers, symboliques, sociaux, institutionnels ou géographiques (Fitzgerald & Dickins, 1981). L’hypothèse défendue par Fieulaine & al. (2008) est que des conflits deviennent « plus ou moins soudainement « intolérables » lorsqu’un niveau d’injustice (absolue et relative) est atteint » (p. 6). Le recours, qui d’une certaine manière vise à restaurer un sentiment de justice, est un cheminement, où se croise une pluralité de contextes, entre le conflit vécu, sa formalisation, sa traduction en des termes « recevables » dans le registre juridique et le recours qu’il déclenche finalement (Ibid., p. 6). Trois éléments peuvent ainsi être considérer dans la trajectoire du recours ou du non-recours, le déclenchement du recours, qui marque une intention, sa mise en œuvre, qui mobilise des pratiques, et son devenir, à savoir les suites auxquelles aboutira le recours (Ibid.).

A partir de ces apports, ce concept peut-il alimenter notre réflexion sur l’efficacité de dispositifs de prévention ? Le non-recours à ces dispositifs internes à l’organisation s’explique-t-il par les mêmes causes et peut-il être étudié à partir des dimensions comportementale et institutionnelle ? L’efficacité d’un dispositif peut-elle être appréciée à partir des recours qu’il est capable de motiver ? Nous nous proposons ici de déplacer ce questionnement de non-recours aux dispositifs d’aide publique au contexte de l’organisation afin d’identifier les déterminants du recours et du non-recours. Nous faisons donc l’hypothèse que la réflexion sur la dynamique qui explique les phénomènes de non-recours spécifiques aux services publics peut aider à penser le non-recours à des dispositifs d’aide implantés dans les organisations et qui ont pour finalité d’apporter un soutien et une aide aux salariés en difficulté dans leur travail. Il s’agit donc d’interroger ce modèle à propos de l’organisation pour dégager les conditions et processus de recours aux aides internes et externes à l’organisation. L’analyse du non-recours met en relief certaines conditions que doivent remplir les dispositifs pour motiver des recours et être efficaces, sachant qu’ils peuvent l’être à partir du moment où ils sont utilisés. Toutefois, le recours ne suffit à le rendre efficace. Comme son efficacité ne suffit pas à déclencher une démarche de recours. Il devra être crédible aux yeux des personnes et suffisamment formalisé pour diminuer la perception du risque qu’il implique. Son efficacité doit reposer sur sa capacité à apporter une aide adaptée et efficace. Tenter de saisir les facteurs qui vont favoriser le recours à des dispositifs d’aide pour des salariés en difficulté dans leur travail revient à s’interroger sur ce qui motive les personnes à solliciter une aide interne à l’organisation pour régler leur problème. Dans la mesure où nous situons notre réflexion dans l’organisation, il est probable que ces conditions soient différentes mais qu’elles trouvent des points communs avec celle située dans l’espace public.

La détermination de ces conditions d’efficacité des dispositifs nécessite de procéder à leur évaluation dans les organisations où ces derniers ont été instaurés. L’évaluation permet d’identifier ces conditions mais également de saisir ce qui va empêcher le recours aux dispositifs et, plus généralement, sans doute le recours à des ressources internes à l’organisation. Mais avant cela, évaluer est une activité qui prend forme dans un processus d’intervention qu’il est utile d’étudier.