I-4.3. Hypothèses de recherche

I-4.3.1. Hypothèses axées sur le processus d’intervention

Nos hypothèses de recherche relatives au processus d’intervention tentent de répondre à la question de savoir comment impulser une dynamique psychosociale d’intervention en matière de prévention de la santé psychique au travail et produire des conditions favorables au changement. En effet, notre questionnement visait à comprendre, compte tenu des risques qui s’imposent aux individus dans leur travail et qui mettent en danger leur santé psychique, compte tenu des formes de régulation que les individus et les collectifs construisent pour répondre en situation et préserver leur équilibre, comment intervenir efficacement dans les organisation en matière de prévention. Ensuite, nous avons observé que de nombreux obstacles s’imposaient au développement d’actions de prévention et que le manque d’évaluation faite sur les conditions de réussite de celle-ci ne permettait pas de sélectionner un mode d’intervention confirmé comme efficace. Néanmoins nous avons pu dégager certaines conditions de réussite transversales aux différents modèles d’intervention. Nous avons choisi de nous centrer sur le modèle d’intervention axé sur le processus, en faisant donc l’hypothèse qu’il s’agit d’un modèle qui permet de construire une véritable dynamique psychosociale intégrative dans l’organisation : elle est elle-même amenée à proposer de modifier son mode d’interaction avec les salariés ; les acteurs organisationnels concernés par la gestion des problèmes de santé psychique au travail sont amenés à coopérer et apprendre d’autres modes de coopération, à partager un même processus d’intervention pour l’avenir, à recomposer leurs liens de coopération autour d’un nouvel objet de préoccupation.

Choisir l’approche du processus d’intervention nécessite d’accepter que sa mise en œuvre et sa progression ne se fasse qu’en situation réelle (Berthelette & al., 2008), dans l’organisation et dans la coopération. Elle nécessite également de disposer d’un cadre d’intervention résultant de l’élaboration négociée des étapes définies pour l’intervention. Nous proposons donc de décrire ce processus d’intervention qui évolue en situation et d’expliquer les raisons des formes d’évolution qui le traversent.

Par ailleurs, il est nécessaire qu’une démarche de prévention de la santé psychique au travail prenne forme à l’intérieur d’un processus progressif dont la finalité est le changement dans l’organisation et dans le renforcement des connaissances et des coopérations des acteurs. Ce processus évolutif implique, d’après nous, de :

  • créer les conditions de l’élaboration collective et négociée de la démarche d’intervention et se mettre d’accord sur un cadre,
  • constituer un lien continu entre l’intervenant et les acteurs organisationnels, ainsi qu’entre les travailleurs en général et la démarche, en les informant de son origine, de ses objectifs et de leur éventuelle participation,
  • favoriser la confiance autour de l’intervention en bénéficiant du soutien de la direction et de la participation des représentants du personnel et des professionnels de la santé au travail,
  • valider avec les acteurs participants à la démarche les étapes clefs, la méthodologie envisagée pour la conduire, les résultats de l’étude en favorisant des temps de débat, d’appropriation et d’apprentissage,
  • avoir à la fois des objectifs à court terme, soit la réponse à la demande de l’organisation après négociation, et des objectifs à long terme en créant dans le processus d’intervention des espaces qui suscitent des confrontations entre acteurs sur les positions et rôles respectifs,
  • permettre de saisir la réalité des contraintes professionnelles de l’autre, de confronter ses règles de métier, d’oser parler de ses gestes de métier afin de construire une amélioration en situation des coopérations pour les consolider dans l’avenir. Cette coopération nécessite ces temps de confrontation. L’intervenant ne doit pas pour cela s’efforcer de créer une entente parfaite entre les acteurs. Il doit maintenir une équidistance dans les relations aux divers acteurs.

nterroger sur le processus et sur les théories du processus implique de se référer au « comment » et au « pourquoi » les éléments organisationnels ou entités organisationnelles (Fraccaroli, 2002) changent et se développent dans le temps (Van de Ven & Poole, 1995b). Nous proposons donc de construire un modèle d’intervention axé sur le processus, et qui constituera par la suite notre grille d’analyse pour notre étude. Ce modèle permet d’apprécier cette progression et de réunir les conditions que nous considérons favorables à l’intervention. Nous le présentons ci-dessous :

Figure 2 : Proposition d’un modèle d’intervention axée sur le processus
Figure 2 : Proposition d’un modèle d’intervention axée sur le processus

Ce modèle d’intervention est composé de quatre temps successifs, eux-mêmes composés de différentes étapes. Le premier temps, de la définition de l’intervention, fait référence à l’étape de préparation au changement de Brun & al. (2007) et aux conditions dégagées par Jordan & al. (2003) et Kompier & al. (1998). Le second temps, celui de l’évaluation, comprend deux étapes, celle de sa réalisation et celle de sa restitution. La restitution est une étape essentielle car elle favorise la connaissance, le débat et la validation. Harvey & al. (2006) soulignent en effet que la prévalence des éléments41 mis en évidence dans le diagnostic doit être confirmée par les acteurs. Ensuite, le temps des préconisations, c’est-à-dire de la définition de l’action à engager pour construire un changement favorable à la compatibilité entre le travail et la santé psychique, est assuré par la mise en œuvre d’une méthodologie proposée pour cela. En effet, cette question de la méthodologie d’intervention centrée sur la détermination collective de préconisations ne semble pas être alimentée dans la littérature (Brun & al., 2003) Enfin, le temps de la décision souligne les étapes nécessaires à l’appropriation des connaissances et des actions préconisées favorables à la décision de changement, perspective également nouvelle pour l’étude du processus d’intervention en matière de prévention. L’ensemble des étapes et temps proposé constitue des hypothèses de recherche que nous tenterons de tester.

Ainsi, nous considérons que les résultats attendus du processus d’intervention sont de trois natures : individuelles, collectives et organisationnelles. Ce schéma reprend notre conception des effets souhaités d’une intervention de niveau primaire.

Figure 3 : Le processus d’intervention et ses résultats attendus
Figure 3 : Le processus d’intervention et ses résultats attendus

En effet, le processus d’intervention doit tendre à faire progresser la maturation à ces trois niveaux. Il doit viser la construction du collectif, le questionnement sur l’organisation et le développement du soutien social. D’une certaine manière, on peut faire l’hypothèse que l’intervention est réussie lorsqu’elle est parvenue à faire monter d’un cran l’organisation dans la maturation et à faire « bouger », même légèrement ces trois dimensions. L’intervention de niveau primaire a, selon nous, des effets qui dépassent le champ de l’organisation du travail et qui restent sans soute difficilement mesurables mais qui déterminent « l’efficacité » de la prévention. Nous faisons référence à ce que nous appelons le « niveau de maturité » de l’organisation sur cette question de la prévention de la santé psychique au travail en faisant l’hypothèse que ce niveau augmentera avec l’intervention. Celle-ci doit permettre la maturation de l’organisation. Le niveau de maturité peut être défini à partir de diverses données et événements qui agissent sur la prise de conscience de l’organisation et son questionnement. Il peut s’agir de données législatives, réglementaires, sociologiques comme il peut s’agir d’événements plus ou moins saillants qui appartiennent à l’organisation et qui vont venir l’interpeller sur son fonctionnement. La maturation fait référence au processus qui favorise l’élévation de la maturité organisationnelle.

D’autre part, nous avons choisi d’observer plus spécifiquement l’interaction entre des travailleurs, des acteurs et un dispositif de prévention organisationnel, et cela en situation d’évaluation de ce dispositif. Il ne s’agit pas ici strictement de prévention primaire. Notre approche est centrée à la fois sur les conditions d’efficacité et de recours des travailleurs au dispositif ; et sur les liens de coopération entre les acteurs en situation d’évaluation du dispositif ; et enfin sur la progression des procédures relatives au dispositif qu’acteurs et travailleurs ont permis de faire évoluer en processus stabilisé dans l’organisation.

Notes
41.

Ils parlent non pas d’ « éléments » mais de « stresseurs ».