I-4.3.2. Hypothèses relatives au recours et à l’efficacité des dispositifs organisationnels

Au regard de la littérature à laquelle nous avons fait référence, nous avons dégagé des hypothèses relatives aux modes de régulation de la santé psychique au travail à partir des conditions de recours ou de non-recours aux dispositifs organisationnels. Tout d’abord, ces hypothèses concernent les facteurs qui vont favoriser l’adhésion des salariés au dispositif et ceux qui vont les en dissuader. Nous faisons l’hypothèse que cette adhésion, elle-même déterminée par des facteurs spécifiques, va favoriser le recours au dispositif. Nous pensons que l’adhésion est liée à la crédibilité perçue du dispositif par les salariés et la croyance en un traitement efficace. Ainsi, du point de vue du recours, nous faisons l’hypothèse que la croyance en une reprise en main de la situation par l’individu (efficacité perçue) va favoriser le recours au dispositif d’aide (comportement). Nous estimons ainsi que le dispositif est utilisé si les individus croient en son efficacité. Son efficacité repose sur l’adhésion et la motivation qu’il est capable de susciter chez les individus en difficulté dans leur travail. Nous faisons également l’hypothèse qu’un dispositif doit, pour être reconnu efficace et donc crédible et avoir une légitimité, être formalisé par des procédures et porté par les acteurs institutionnels. Mais il doit également exister dans l’espace informel du collectif de travail car c’est à cette condition que celui-ci lui donne un sens. Il est donc indispensable de créer les conditions d’une appropriation du dispositif par le collectif de travail. Le recours nécessite une appropriation du dispositif par les individus et le collectif. Cette appropriation passe par une intégration pertinente du dispositif dans l’organisation. De plus, le recours au dispositif est le résultat d’un calcul que fait l’individu entre ce qu’il a à gagner et à perdre. Le recours représente toujours un risque. Il est donc nécessaire que l’individu éprouve un sentiment de sécurité afin de solliciter une aide de ce type. Crédibilité du dispositif et sentiment de sécurité constituent selon nous les deux principaux déterminants du recours, et dépendent de diverses conditions, et que c’est bien là que naîtra l’adhésion. Le sentiment de sécurité résulte d’un effort de formalisme auquel l’organisation doit s’engager à préserver. Le passage au comportement de recours témoigne que l’individu a atteint un niveau d’intolérance à supporter la souffrance que lui fait vivre sa situation de travail. Le risque pris par le recours doit viser le rétablissement de sa situation. Nous émettons l’hypothèse que l

e recours au dispositif sera favorisé par le sentiment de sécurité éprouvé par l’individu au moment du déclenchement du recours. Le sentiment de sécurité résultera du sentiment d’être acteur du traitement de sa situation, du sentiment de maîtrise du processus et de l’autonomie réflexive laissée par l’organisation.

D’autre part, nous pensons que la prévention de la santé au travail doit associer l’individu, son rapport propre à la santé au travail, et l’organisation qui, par ses ressources, va procurer l’autonomie suffisante pour que le sujet soit en capacité de préserver sa santé. Nous faisons l’hypothèse que la prévention liée au dispositif doit viser le rétablissement d’un sentiment d’autonomie chez l’individu. Le processus même de traitement doit favoriser l’autonomie et la participation de l’individu. En effet, le dispositif est censé être un outil organisationnel de régulation des dysfonctionnements qui fragilisent l’individu dans son travail. En tant que mode de régulation, il nécessite de laisser à l’individu une autonomie pour réfléchir et mettre en lien sa problématique et cette ressource organisationnelle. C’est le but que doit poursuivre le premier niveau du dispositif. Le recours est possible lorsque le dispositif cherche à rendre acteur la personne dans le processus de traitement. C’est le but que doit poursuivre le second niveau du dispositif. Le sentiment d’être acteur est lié à l’autonomie réflexive dont l’individu peut disposer. Par ailleurs, le traitement, doit être réfléchi dans un cadre collectif et résulter de la coopération des acteurs.

Enfin, nous définissons sept critères déterminant l’efficacité d’un dispositif :

  • La pertinence perçue, c’est-à-dire la capacité du dispositif à avoir du sens vis-à-vis des situations, à être en adéquation avec les difficultés réellement vécues par les salariés ;
  • L’exhaustivité, à savoir la capacité du dispositif à traiter l’ensemble des situations concernées par le risque psychosocial considéré ;
  • L’efficacité du traitement, à savoir la capacité du dispositif à traiter des situations en termes d’actions engagées pour le traitement et en termes de délais ;
  • L’adhésion du personnel, à savoir la capacité du dispositif à être connu et reconnu pour et par l’ensemble des salariés de la structure ;
  • La lisibilité, à savoir sa capacité à être accessible et compris par les individus ;
  • La visibilité, à savoir la capacité du dispositif à être visible dans la structure, à exister pour un mode de résolution spécifique et à constituer un repère parmi d’autres outils vers lequel s’orienter ;
  • L’accessibilité, à savoir la capacité des membres du dispositif à garantir le lien entre le dispositif et les salariés, en termes d’information et d’explicitation des démarches et procédures à suivre.

Nous faisons l’hypothèse, par ailleurs, que c’est en donnant une visibilité sur l’efficacité du dispositif que celui-ci peut susciter l’adhésion des salariés, qu’il peut alors prendre sens et devenir un moyen particulier pour le salarié de reprendre en main sa situation. De même, pour s’en saisir, il est nécessaire que le dispositif soit lisible, à la fois pour les salariés et les acteurs qui ont à le faire fonctionner.

Nous formulons également une hypothèse concernant la vigilance que doit permettre d’assurer le dispositif. Il est une réponse aux situations individuelles au travail et aux vécus de violence. Dans le même temps, les conditions préalablement formalisées permettent de maintenir la structure dans une vigilance pour agir au plus tôt sur des situations collectives et permettre d’identifier des risques en renseignant sur l’organisation. C’est ainsi qu’elle peut répondre au besoin de prévention et qu’elle peut s’inscrire dans deux mouvements distincts : un rôle d’aide de la personne et un rôle d’alerte sur le collectif. Nous proposons de schématiser notre réflexion sur le recours et l’efficacité ainsi :

Figure 4 : Les déterminants du recours aux dispositifs organisationnels de prévention en matière de santé psychique au travail
Figure 4 : Les déterminants du recours aux dispositifs organisationnels de prévention en matière de santé psychique au travail

Nous pensons, par conséquent, que l’adhésion sera favorisée par la crédibilité que l’individu accorde au dispositif et au sentiment qu’il sera acteur dans le processus de traitement. La crédibilité du dispositif est déterminée par l’efficacité perçue du dispositif, et elle résulte de l’efficacité réelle qu’il est capable de mettre en œuvre. Le sentiment d’être acteur résulte, quant à lui, de trois facteurs : le sentiment de maîtrise, l’autonomie réflexive et la sécurité perçue. Ainsi, c’est l’adhésion qui suscitera le recours. Et c’est l’absence d’adhésion, le doute sur son efficacité, un manque de crédibilité et/ou l’insécurité perçue qui sera la cause d’un non-recours. Enfin, l’action ou la réponse apportée par le dispositif, si elle est efficace et satisfaisante, favorisera la santé psychique de l’individu et l’efficacité perçue du dispositif et donc sa crédibilité.

Par conséquent, notre recherche se centre sur le processus d’intervention en matière de prévention. Elle questionne les conditions de développement d’un processus d’intervention permettant la mise en place d’actions et de changements favorables à la santé psychique au travail. Par ailleurs, elle tente d’opérationnaliser l’étude du non-recours dans des contextes organisationnels. Cette question nous a portée à envisager le processus d’intervention centrée sur l’évaluation de dispositif et son utilité. Nous allons à présent expliciter notre démarche méthodologique à partir de laquelle nous avons pu observer et analyser différents processus d’intervention en organisation. Elle a été construite de manière à pouvoir opérationnaliser l’étude de la prévention de la santé psychique au travail au travers de l’analyse de processus d’intervention et d’évaluation de dispositifs.