II-5.2.1. La construction progressive de notre cadre théorique et de nos hypothèses

L’élaboration de notre cadre théorique s’est réalisée progressivement au fil de notre travail de terrain et des interventions. Par exemple, notre référence au concept de non-recours n’était pas posée au départ de notre recherche. L’étude des conditions d’efficacité d’un dispositif nous a, tout d’abord, interrogée sur la question du recours. A ce moment de notre réflexion, nous nous interrogions sur ce qui pouvait favoriser le recours au dispositif. Cette interrogation nous a conduite à explorer dans la littérature ce problème spécifique. Nous avons trouvé des éléments relatifs à l’étude du non-recours aux dispositifs d’aide publique. Nous nous sommes ensuite aperçue qu’il s’agissait d’un concept spécifique à ce domaine et l’avons donc introduit dans nos hypothèses concernant le recours aux dispositifs organisationnels en matière de prévention de la santé psychique au travail. De la même manière, les critères relatifs à l’efficacité de dispositifs se sont construits progressivement durant nos interventions. Apprécier les conditions d’efficacité des dispositifs supposait de définir des critères permettant cette appréciation. Nous avons donc réfléchi à ces critères d’efficacité et les avons affinés progressivement pour permettre d’introduire des hypothèses pertinentes relatives au recours.

Ensuite, l’importance que nous donnons au rôle que tiennent les espaces informels dans l’appropriation de dispositifs a été introduite progressivement, à partir d’échanges avec d’autres spécialistes sur la question de l’appropriation des procédures relatives à la sécurité au travail. Les procédures ne suffisent pas pour permettre l’adoption de comportements sécuritaires mais nécessitent une mise en sens par les collectifs de travail réunis dans des espaces informels.

Enfin, notre référence à la question du collectif, comme condition de réussite de l’intervention, a été alimentée progressivement, d’une part, en nous imprégnant de la posture de VTE sur l’implication des collectifs, et d’autre part, en prenant connaissance de travaux concernant la conduite d’intervention. Nos hypothèses vont dans ce sens. Néanmoins cette question du collectif nous a interrogée tout au long de notre recherche. Nous savons, à partir des travaux issus de la psychodynamique du travail, des courants anglosaxons sur le stress professionnel et des théories de la clinique de l’activité, que le collectif tient une place essentielle dans la construction de la santé psychique au travail. L’intervention nécessite fortement de s’appuyer sur le collectif pour élaborer de nouvelles manières de penser l’activité et d’établir des liens de coopération renforcés par l’intervention. Néanmoins, ces courants font référence au collectif de travail. Alors que VTE se réfère au collectif que représentent les acteurs organisationnels et institutionnels, et non aux individus qui sont pris dans la réalité de l’activité. Dès lors, la question de l’implication du collectif est différente selon que l’on se réfère aux courants théoriques de la psychologie du travail ou à la posture de VTE. Ce problème épistémologique, puisqu’il parle d’un positionnement spécifique vis-à-vis de l’objet de recherche sur les conditions et les conséquences de l’intervention, implique de choisir une option claire. Pour nous, l’intervention nécessite d’impliquer le collectif des acteurs organisationnels et institutionnels. Ces derniers doivent s’efforcer de refléter la composition du collectif de travail en situation. De plus, les effets de l’intervention, c’est-à-dire les perspectives choisies pour améliorer les situations de travail, doivent privilégier le collectif de travail, en permettant notamment de produire des modes d’organisation propice à son développement.

La référence à différents concepts et cadres théoriques a progressivement construit notre recherche. De même, la perspective diachronique a consisté dans l’observation de plusieurs terrains répartis dans le temps. Nous sommes intervenue dans sept organisations, de janvier 2006 à juillet 2009.