II-6.1.1.1. La situation problème et la demande d’intervention

L’origine de la demande d’intervention est souvent l’expression d’un problème qui déstabilise « l’équilibre » de l’organisation. Jusque là, si l’on peut dire, les modes de régulation mis en œuvre permettaient de trouver des ajustements et des solutions aux problèmes rencontrés. Parfois, le problème est une véritable crise que traverse l’organisation, la désignant comme la cause du problème. Cette crise constitue en quelque sorte une rupture dans la vie de l’organisation. C’est l’apparition d’un incident qui vient menacer le destin du collectif de travail. Cet incident devient le symptôme de la perte des liens sociaux, un risque pour la coopération et le présage d’épisodes conflictuels, embarrassants, abscons et en même temps précieux car il donne l’espace pour exprimer le plus ouvertement possible les problèmes, au-delà des affaires quotidiennes. Cet incident peut être la manifestation d’un acte violent contre un salarié ou entre salariés ou même le suicide d’un salarié. Ainsi, c’est souvent pendant la « crise », ou juste après, lorsqu’on parvient à considérer les conséquences pour l’organisation, qu’émerge la demande.

Nous pensons que la formulation de la demande dépend en partie du niveau de maturité de l’organisation en matière d’intervention et qu’elle va fortement tendre vers les stratégies axées sur l’individu, comme nous l’avons indiqué précédemment. L’intervenant extérieur devra alors construire une analyse de la demande qui ouvre des pistes de questionnements sur l’organisation et les argumenter lors des premiers échanges. En revanche, il arrive que les acteurs n’aient aucune idée de la manière la plus pertinente pour intervenir. Comme si, l’apparition du problème les plaçait dans un état de stupeur et d’incompréhension. Enfin, il arrive que les acteurs soient convaincus du mode d’intervention dont ils ont besoin et sollicitent l’intervenant uniquement pour compléter un domaine de compétence garantissant la réussite d’un projet et pour légitimer leur démarche. En effet, l’intervenant est souvent, dans l’intervention, l’entité qui assure la neutralité et l’objectivité. Cette recherche de neutralité et d’objectivité sera d’autant plus importante que les liens de confiance dans l’organisation sont ébranlés ou complètement rompus.

Lorsqu’on entre dans une organisation, en tant qu’intervenant, on entre également dans une histoire, et on découvre progressivement, parfois lorsque l’intervention prend fin, les réels enjeux qui l’agitent ou la paralysent, comme des secrets qu’elle dissimule. Cette histoire est faite des événements qu'elle a traversés et qui ont, en quelque sorte, modelé le rapport qu’elle entretient avec la santé psychique au travail, dans sa prise en compte et sa compréhension. Cette histoire va donner une place plus ou moins significative à la prise en charge individuelle et/ou au questionnement organisationnel et à la prévention. De plus, l’histoire de l’organisation alimente les rôles joués par les différentes instances autour de la problématique de la santé psychique au travail. Elle détermine le degré d’implication des acteurs et celui qui adresse la demande à l’extérieur. L’implication des acteurs, notamment des acteurs médico-sociaux et syndicaux, et les espaces organisés pour évoquer ces problèmes ensemble, est liée en partie à la taille de l’organisation ainsi qu’à son statut privé ou public.

Quelle que soit la demande de l’organisation, le temps consacré à la compréhension de la situation est essentiel pour la suite du travail. L’intervention peut être ponctuelle ou longue mais la réponse apportée doit permettre des effets durables. L’analyse de la demande doit favoriser l’élargissement de la compréhension et réfléchir à des modalités d’intervention qui produisent des effets durables, mais qu’il ne sera pas toujours possible de mesurer. Cette analyse est construite à partir des premiers échanges avec les acteurs. Et l’intervention est construite en concertation avec tous les acteurs clefs concernés par la prévention de la santé psychique au travail. Le temps de l’analyse de la demande s’apparente à une reformulation de la demande et se complète par ce que « l’expert » intervenant saisit en termes d’enjeux pour la situation précise. C’est seulement après ce temps et en comprenant les déterminants de la demande que l’on peut entrer dans la phase de la construction de l’intervention. Néanmoins, dans la réalité, l’analyse est parfois contrariée, notamment lorsque l’intervention est élaborée en réponse à un appel d’offre. Les échanges autour de la demande, et qui nourrissent la réflexion, sont alors reportés et s’organisent dans un second temps, après que l’organisme extérieur ait déjà proposé un cadre d’intervention. Les échanges vont viser à négocier ce cadre.

Ainsi, à partir de la reformulation de la demande, l’intervenant peut proposer une modalité d’intervention pertinente par rapport au problème visé et les négociations qui se dérouleront autour de cette proposition constitueront progressivement le cadre de l’intervention. Une convention sera alors signée entre la direction de l’organisation et la direction de l’organisme intervenant. Celle-ci pose le cadre de l’intervention.