III-8.1.3. L’implantation de la démarche

L’implantation de la démarche s’est faite à partir de l’organisation d’un temps de formation des membres du groupe de travail paritaire, de l’organisation d’un séminaire d’encadrement, et de la diffusion d’une information à l’ensemble du personnel les informant du déroulement de l’intervention, de ses objectifs et modalités. Ces espaces de formation des acteurs et de sensibilisation de l’encadrement devaient permettre d’aborder la question de la prévention de la souffrance au travail en privilégiant les processus d’acquisition de connaissance, de partage de savoirs sur l’expérience, d’appropriation de la démarche et d’adhésion à ses objectifs.

Nous avons organisé, en mars 2006, le temps de formation du groupe de travail avant de débuter l’étape de l’élaboration du dispositif. Nous voulions que les participants au groupe de travail confrontent et mettent en commun leurs connaissances et représentations sur les questions de souffrance au travail pour ensuite construire un savoir nouveau partagé. Il s’agissait de comprendre la notion de souffrance au travail et de la replacer au cœur de ce que pouvaient vivre les agents de cette collectivité. Les éléments soulevés par le groupe faisaient référence à l’organisation, aux relations professionnelles, au rapport subjectif entretenu avec le travail, aux conséquences de la vie privée. Ces éléments renvoyaient à la pluralité des représentations qu’avaient alors les acteurs sur la problématique de la souffrance au travail et de la multiplicité de ses origines62. Ces représentations et explications spontanées ont ensuite été confrontées à d’autres apports théoriques sur la question de la souffrance au travail, notamment ceux de Dejours (1980). Nous avons ainsi favorisé un mode d’approche de la question, qui souvent au sein de collectifs paritaires divise, et un espace de partage de représentations et d’appropriation d’un nouvel objet en vue de construire une intervention qui ait un sens. Ensuite, le temps de formation a visé à sensibiliser les acteurs aux questions de violences et de harcèlement au travail. Des échanges constructifs ont été possibles autour de ces notions souvent confuses et passionnelles, des enjeux qui peuvent habiter ces situations et sur la place que l’organisation tenait dans ces processus. Nous soulignions l’idée selon laquelle le harcèlement moral fait partie des violences dites « internes » au travail et qu’il s’agit d’un processus évolutif, qui s’installe dans le temps et qui se nourrit des dysfonctionnements de l’organisation du travail.

Au terme de ce travail collectif et de cette séance d’apprentissage, les acteurs ont renforcé ou modifié leur approche des questions de souffrance au travail en l’observant comme un vécu individuel qui pouvait s’exprimer à travers différents sentiments. Ces sentiments, qu’eux-mêmes ont décrits, sont des indices tout à fait révélateurs de la souffrance, mais non exclusifs63.

Enfin, ce premier temps de formation a permis au groupe de réorienter plus précisément l’objet de la prévention et ainsi de caractériser différemment le dispositif. Il ne s’agissait plus de faire référence au harcèlement au travail mais uniquement aux situations de souffrance au travail. La référence au premier terme a donc été supprimée au bénéfice du second, qui ne situait pas le problème dans des dysfonctionnements relationnels et individuels. L’encadrement serait-il donc interroger autrement que dans le dysfonctionnement relationnel ? Le groupe comprenait qu’il était possible de prévenir un certain nombre de risques de souffrance au travail, notamment au niveau de l’organisation. Le dispositif devait tendre donc à interroger l’organisation sur les souffrances qu’elle était susceptible de produire. Ainsi, suite à ce temps de formation, les participants ont été amenés à formuler des attentes vis-à-vis des objectifs que devrait poursuivre le futur dispositif. Selon eux, ils devaient poursuivre deux buts. Premièrement, il devait être conçu pour venir en aide aux agents quelque soit leur catégorie (A, B ou C). Deuxièmement, il devait permettre de questionner l’organisation. Le groupe s’interrogeait sur le rôle que pouvait jouer un observatoire des situations rencontrées par le dispositif dans sa capacité à renseigner sur les situations problématiques, et permettre au collectif d’être en alerte sur les situations qui se développaient. C’est ainsi qu’il concevait de construire une logique de prévention. Néanmoins, les participants insistaient pour que le dispositif donne une priorité aux agents, à la sécurité des personnes plutôt qu’à la dénonciation de dysfonctionnements. Enfin, ils soulignaient l’utilité d’avoir un dispositif suffisamment large pour englober l’ensemble des risques psychosociaux au travail. La problématique de la souffrance, en tant que conséquence aggravée de ces différents risques, proposait donc un champ d’intervention vaste. Il était nécessaire, pour agir efficacement, de définir des procédures plus spécifiques pour chacun des risques. Les acteurs commençaient ainsi à parler de « familles de situations ».

D’autre part, l’action de sensibilisation auprès de l’encadrement de la collectivité avait pour but de favoriser l’implication des encadrants dans la démarche. Ce séminaire devait traduire l’engagement de la direction et nous comptions sur sa présence pour rendre compte de son soutien à VTE et donner le crédit nécessaire à l’implantation de la démarche. Cette sensibilisation de l’encadrement était proposée suffisamment tôt64 pour que les cadres n’aient pas le sentiment d’être mis devant un dispositif déjà « bouclé ». La sensibilisation en question devait donner aux cadres des raisons de s’interroger sur leurs pratiques. Il ne s’agissait évidemment pas de culpabiliser les encadrants, mais bien de favoriser l’interrogation et la prise en compte de ces préoccupations. A ce séminaire, la direction générale devait être présente et le directeur général des services devait intervenir. Pour VTE, le but était d’associer un noyau important d’encadrants à la philosophie du dispositif. Une centaine d’encadrants avait finalement participé à ce séminaire. Le directeur général des services avait ensuite transmis ces impressions et conclusions au groupe de travail. Il avait eu l’impression que le séminaire avait été apprécié des encadrants. Et il formulait quatre conclusions relatives à la démarche à venir : le refus de la négation de la souffrance causée par le travail et l’effort que devait faire la collectivité pour reconnaître la souffrance au travail ; la responsabilité qui incombait à l’encadrement ; la volonté de la direction de traiter ce sujet et de l’inscrire dans son calendrier ; l’idée de ne pas recourir uniquement à des pistes de solutions individuelles au traitement de la souffrance au travail. Il concevait ainsi que la solution ne pouvait être que collective. Ce rendu nous a permis d’apprécier que l’intervention en cours parvenait à s’implanter efficacement.

Si la formation du groupe de travail a bien précédé l’élaboration du diagnostic et du dispositif, le séminaire, quant à lui, s’est déroulé durant les premiers temps de l’élaboration. Enfin, l’information diffusée au personnel de la collectivité a également été une modalité favorable à l’implantation de l’intervention. Elle était indispensable dans la mesure où nous attendions une contribution du personnel à la réalisation du diagnostic.

Notes
62.

Ces éléments faisaient référence à l’organisation (la désorganisation, le manque de visibilité, le manque d’autonomie, le manque d’évolution, le problème de reconnaissance, la quantité de travail et ce qu’elle renvoie sur l’importance qu’on accorde à l’agent, et les problèmes de management), aux relations de travail (l’hypocrisie entre les agents, la dévalorisation et la dévaluation et l’absence de respect de la personne), au vécu subjectif du travail (le sentiment d’inutilité, le manque de sens de l’activité effectuée, l’image de « cage dorée », l’envie de partir, le sentiment d’être coincé et d’être frustré, notamment par le manque d’évolution, le sentiment de dévalorisation, la difficulté de trouver sa place, la peur de s’exprimer, l’isolement, la solitude et le repli sur soi et le manque de perspective), le décalage entre les attentes et ce que l’on reçoit qui provoque de la déception, de la frustration et un désinvestissement (le groupe a souligné l’attente disproportionnée chez les jeunes qui recherchent un sens et un travail collectif) et les problèmes de la vie privée qui gagnent nécessairement le travail.

63.

Celui d’un isolement, d’un manque de soutien social, d’une perte dans les relations professionnelles et dans la confiance ; celui d’injustice ressenti par le manque de reconnaissance des efforts, le manque d’évolution ; celui d’une blessure dans l’identité liée à la perte de sens du travail, à l’image qu’il renvoie au professionnel et également l’impossibilité de se reconnaître dans un métier ; et le sentiment de peur d’être seul et de ne pas être à la hauteur. De plus, la souffrance était comprise comme résultant de multiples facteurs. Elle pouvait naître lorsque l’agent n’avait plus la capacité d’agir sur l’organisation du travail, quand il avait utilisé au maximum ses facultés intellectuelles, affectives, sociales et ses facultés d’adaptation, et quand il n’avait plus la possibilité de se défendre et de répondre contre les contraintes psychiques au cours de son activité.

64.

Cf. les annexes relatives au terrain A : le calendrier d’intervention.