III-9.1.4. Analyse du cas

Ce processus d’intervention a l’intérêt de mettre en relief comment une intervention peut être menée dans un service particulier d’une grande organisation. Cette intervention « localisée » implique la participation d’acteurs transversaux à l’organisation. La DRH était présente à différentes étapes, notamment au lancement de l’évaluation et lors de la restitution des résultats et des actions. Elle venait en tant qu’acteur institutionnel en appui à l’encadrement du service. Elle avait pour rôle de participer à la validation du cadre d’intervention et d’assurer le lien entre l’action menée dans le service et les instances institutionnelles plus larges.

Cette situation questionnait profondément les représentants du personnel. Nous avons, en effet, pu l’observer à plusieurs reprises puisque nous assurions alors le suivi du fonctionnement du dispositif au second niveau. Une présentation des résultats a d’ailleurs été réalisée lors d’une réunion du « GARS ». Cette présentation inquiétait la direction du service en question qui se voyait personnellement visée comme responsable de la situation. Nous avons donc travaillé de manière à ne pas fragiliser davantage ce cadre en lui indiquant les éléments que nous allions restituer sans pour autant réduire notre liberté d’expression sur les résultats. Ce qui pouvait le rassurer était que manifestement, ce « malaise » que l’ensemble des acteurs avait très vite identifié, était global dans le service et non le résultat unique de dysfonctionnements managériaux.

Ce qui, selon nous, a véritablement permis la conduite du processus, a reposé, d’une part, sur l’effort réalisé par la direction du service de justifier l’intervention malgré ce que cela pouvait coûter aux niveaux de sa légitimité et sa culpabilité. D’autre part, l’aspect qui a été le plus bénéfique pour le collectif était d’introduire un tiers dans la relation entre la hiérarchie et les collaborateurs autour de ce qui se jouait dans le service. En effet, nous avons été la cible de plaintes, d’inquiétudes, de reproches et mêmes d’attaques. Nous avons en quelque sorte vécu leur conflit. Et, en étant la cible de tout ce matériel conflictuel, nous nous sommes efforcée d’en extraire les éléments qui favoriseraient l’établissement de conditions pour discuter de l’activité. Cela nous a demandé de saisir les paradoxes qui s’exprimaient dans les discours et qui ne sont pas toujours lisibles dans un questionnaire, et, dans le même temps, de dégager les orientations communes. Le fonctionnement clivé dans lequel se déroulaient l’activité quotidienne de travail et la relation devait forcément produire du paradoxe qu’il était important de renvoyer aux acteurs. L’intervention elle-même, se développant dans cette atmosphère conflictuelle, devait nécessairement maîtriser les paradoxes car les personnes veillaient à la moindre faille. Nous étions « surveillée » et « examinée » dans notre manière d’intervenir et de justifier nos choix. Car eux étaient déjà depuis longtemps à se surveiller dans ce qu’ils faisaient de mal. L’intervention a permis de mettre un lien entre la hiérarchie et les agents qui ne soit pas trop direct, que le conflit ne soit pas exprimé de manière frontale mais qu’il emprunte un chemin détourné où tous allaient pouvoir faire part de leur point de vue et ressenti. Les résultats de l’évaluation soulignaient également le conflit qui existait entre deux groupes d’agents. L’intervention ici n’a pas pu rétablir ce lien. Elle a pu néanmoins le restituer aux agents et permis aux acteurs décisionnaires d’y réfléchir en termes d’action pour le changement.

Enfin, l’approche participative a été déterminante pour le processus d’intervention. Alors que les agents avaient l’impression de ne faire que subir l’organisation, le cadre de l’intervention allait les solliciter pour comprendre ce qu’ils vivaient au quotidien et ce qu’ils voulaient pour l’avenir. Néanmoins, cette condition, que nous partagions avec le reste des acteurs de la collectivité qui prenaient part à l’intervention, ne pouvait suffire à orienter des actions de changements consensuelles. Le conflit divisait.

De plus, au regard de notre grille d’analyse, nous pouvons dire que les premières étapes relatives à la définition de l’intervention et à l’évaluation sont relativement cohérentes avec celles définies dans notre grille. Ces conditions ont fortement participé au processus et à la progression vers l’implication des agents dans la définition des besoins et des changements. Néanmoins, les deux autres temps des préconisations et de l’orientation vers le changement n’ont pas pu être réellement appréciés. En effet, le cadre d’intervention n’établissait aucune modalité relative à l’accompagnement à la structuration de préconisations ni d’actions favorisant le changement. Ainsi, en ce qui concerne le cadre d’intervention, nous remarquons que lorsque celui-ci ne définit pas clairement en amont les modalités d’accompagnement vers l’élaboration de pistes pour le changement, cela nuit aux liens de coopération entre acteurs organisationnels et intervenant, et par conséquent à la progression de l’intervention qui doit viser des effets durables. Ici, il est clair que la collectivité a souhaité une intervention axée sur la réalisation d’un diagnostic. Ce souhait n’était pas pour autant celui de la direction du service en demande de propositions d’action et de validation de la part de l’intervenant. Ce défaut du cadre d’intervention est également en partie lié aux modes d’intervention de VTE qui ne liait pas systématiquement, dans ses propositions d’intervention, réalisation de diagnostic et structuration d’un plan d’action. Alors que l’on pouvait penser que l’orientation choisie dans la démarche de prévention par l’organisation (jusqu’où on va dans l’intervention ?) n’incombait qu’aux acteurs institutionnels, il est nécessaire de se questionner sur les éléments qui sont proposés par l’intervenant et qui peuvent parfois venir justifier une posture organisationnelle où « entendre la souffrance c’est déjà faire quelque chose » et qui vont rarement plus loin. Suite à cette intervention, et à d’autres interrogations qui animaient alors VTE par rapport à d’autres interventions menées parallèlement, l’équipe a souhaité inscrire dans les futures propositions d’intervention, l’association systématique des deux modalités que sont la réalisation du diagnostic et l’accompagnement à la structuration du plan d’action.

Ensuite, un des aspects qui a permis d’ancrer efficacement l’intervention a été la production d’un historique partagé de la situation. Cet historique apporte des réponses sur « pourquoi on en est-là et quelles en sont les manifestations ? ». Celui-ci a favorisé l’implication des encadrants dans l’intervention. Faire cet historique a permis d’élargir la compréhension des difficultés envisagées strictement sur un mode personnel et relationnel. Alors que la pression de l’individualisation des difficultés vécues au travail est forte, cet élargissement dans le temps impose un élargissement dans l’espace et convoque alors l’organisation du travail. Cet élargissement a permis à ces encadrants de sortir « un peu » de la culpabilité d’avoir fait les choses de travers, ou maladroitement, ou sans prêter attention aux collaborateurs et d’entrer ainsi progressivement dans un processus et d’y participer. Ainsi, nous avons conduit l’étape de l’analyse de la demande de manière à impliquer l’encadrement, ce qui a été par la suite favorable à leur participation. Ce fut là l’intérêt de construire un historique partagé de la situation du service. De plus, VTE a, dans le courant de cette année, institué les conditions de réalisation de diagnostics, nommés désormais « officiellement » « diagnostics partagés » afin de souligner l’implication totale du collectif qui garantit la réussite du diagnostic. Ce dernier est réalisé avec les acteurs, les conditions sont créées pour qu’ils se l’approprient durablement.

En ce qui concerne le temps de l’évaluation, nous avons noté une forte participation des agents, encadrement compris qui était également destinataire du questionnaire. Le questionnaire, et les premières analyses des résultats ont fait l’objet de critique de quelques agents, qui refusaient que l’évaluation convienne qu’il s’agissait de faiblesses individuelles ou qu’un groupe professionnel n’était pas concerné par la souffrance. Toutefois, le moment de la restitution a permis à chacun de se reconnaître dans les résultats et à envisager les difficultés vécues par d’autres. Un diagnostic ne peut être partagé que s’il permet la reconnaissance réciproque des difficultés vécues par les uns et les autres.

Enfin, le temps des préconisations a reposé sur la coopération de la direction du service et de l’intervenant externe. Bien qu’il n’ait pas pu suivre les étapes de construction d’un plan d’action, nous avons essayé de garantir une vigilance et une cohérence entre les propositions d’action et les résultats du diagnostic. Le changement n’a concerné que des aspects organisationnels, dans la mesure l’action devait ciblée uniquement la situation du service. La mise en place d’une démarche globale de prévention ne peut concerner un service de manière isolée mais doit intégrer l’ensemble de l’organisation, ce que celle-ci entreprenait par ailleurs.

Par ailleurs, nous souhaitons terminer l’analyse de ce cas d’intervention en osant amener la question du soutien que procure l’intervenant à l’acteur organisationnel. Le soutien est primordial dans l’intervention. L’intervenant doit pouvoir bénéficier du soutien de la direction. Mais, nous pensons que l’intervenant doit procurer un relatif soutien aux acteurs qui ont à gérer le fonctionnement d’un service. Bien sûr, ce soutien se donne dans certaines conditions. Notamment lorsqu’il y a une réelle volonté du responsable de faire évoluer la situation. Ce soutien est tout aussi primordial car nous pensons que le changement ne peut se faire en dehors de l’encadrement. Et dans le cas d’un tel conflit, il peut se faire contre l’encadrement.

Nous reprenons par conséquent notre grille d’analyse en procédant aux ajustements nécessaires au développement de ce processus d’intervention et qui ont agi de manière déterminante sur l’évolution du service et de son organisation :

Figure 6 : Le processus d’intervention dans un service de la collectivité
Figure 6 : Le processus d’intervention dans un service de la collectivité