III-9.2.1. Définition de l’intervention : objectifs et conditions

III-9.2.1.1. La situation problème et la demande d’intervention

La direction de l’établissement en question a souhaité engager en janvier 2008 une démarche de prévention des risques psychosociaux. Parmi les multiples expositions et animations culturelles qu’elle conçoit, une exposition sur le suicide avait été organisée en décembre 2007. Le Professeur Michel Debout, président de l'Union nationale de prévention du suicide, a été à ce moment-là sollicité comme expert sur la question. Or, mi-décembre 2007, en marge de cette exposition, il a été contacté par le directeur des ressources humaines de l’établissement. L’objet de ce contact était le suicide d’un des salariés de l’organisation. Il a été proposé à Michel Debout d’intervenir lors d'un CHSCT extraordinaire de l'établissement, auprès de l’entourage professionnel. Dans un contexte très tendu, cette première intervention a permis de poser des mots sur un acte particulièrement difficile et complexe. Plus tard, en janvier 2008, dans le cadre d'un nouveau CHSCT, nous avons présenté, en lien avec Michel Debout, une démarche possible d’intervention qui comprenait deux modalités : celle de l’accompagnement à la réalisation d’un diagnostic et d’un plan d’action ; et celle de la mise en place d’un dispositif spécifique.

A partir de la connaissance de ce contexte particulièrement grave, nous avons posé de manière plus approfondie notre analyse de la situation et de la demande. Comme la plupart des suicides, celui-ci avait évidemment des causes multiples. On pouvait néanmoins constater que l’entourage professionnel s’interrogeait et avançait la question du travail comme l'une des raisons qui avait pu conduire ce salarié à poser cet acte. Pour notre part, nous considérions que dès lors que certains salariés font le lien entre l'acte et le travail, il est important pour les acteurs d'accepter de considérer et de travailler cette question. Nous avions conscience également de l'hypervigilance qui suit généralement un événement de ce genre : après un événement traumatique éprouvé au travail, les salariés sont extrêmement attentifs à la manière dont la direction se comporte. Ne rien faire conduirait sans doute rapidement à diffuser un sentiment d’abandon, qui pourrait lui même provoquer des dysfonctionnements relationnels et organisationnels dans le cadre du travail. Cette question méritait d'être objectivée pour éviter la diffusion d’un malaise et d'un doute persistant. Dans ce contexte, il était donc important que l’organisation prenne un temps pour entendre les salariés. A l’inverse, si l’événement était parlé et s’il donnait l’occasion de s’interroger collectivement sur l’organisation, sur les relations au travail, le sens et la perception de l’activité par le personnel, alors l’organisation toute entière donnerait le sentiment de sortir de la crise en gagnant fortement au passage en compétences collectives. D’autre part, un tel événement a, selon nous, nécessairement des conséquences sur l’organisation. Nous pensions que si la question du retentissement du suicide d’un salarié est toujours délicate, cet acte s’inscrit toujours comme un événement traumatique touchant à la fois les équipes de travail et l’organisation dans son ensemble. Le caractère traumatique de cette situation constitue une crise globale que vit l'organisation. Or notre expérience nous persuadait que comme toute crise, celle-ci pouvait soit déstabiliser, soit être facteur de progrès et d’avancées collectives. Enfin, on remarquait une dégradation des conditions sociales de travail, notamment l’augmentation des taux de départs et du nombre de démissions au cours de l’année 200789.

Au mois de janvier 2008, VTE transmettait une première proposition d’intervention centrée sur la mise en place d’un dispositif de « prévention de la santé et du risque suicide au travail ». Elle avait hésité à inscrire le risque suicide dans cette proposition. Pour nous, le suicide, quelles que soient ses causes, signe un isolement. Il génère un sentiment de culpabilité qui rend très difficile les relations après cet événement. Sortir « par le haut » d’une situation de crise dans laquelle l’événement traumatique du suicide positionne l’organisation, c’est donc se doter de moyens pour organiser l’accueil d’une parole des salariés qui vont mal (sans pour cela avoir des idées suicidaires). Dans cette perspective, nous avons, tout d’abord, proposé la mise en place d’un dispositif défini collectivement construit et partagé entre les différents acteurs de l’organisation concernés par la prévention, non seulement du risque suicidaire, mais de la santé psychique au travail.

Concernant notre méthodologie d’intervention, la démarche que nous proposions s’inscrivait dans une continuité liée à la posture de VTE. De plus, nous proposions préalablement l’organisation d’un séminaire introductif aux actions de prévention ainsi que la réalisation d’un diagnostic des situations vécues par les salariés. Le séminaire inaugural à la démarche était destiné à souligner symboliquement l'implication de l'organisation. Il était destiné aux encadrants et aux partenaires sociaux. Il pouvait être introduit par le directeur général qui affirmerait alors son engagement sur la prise en compte des facteurs de risques psychosociaux. Ce séminaire avait donc pour objectif de communiquer fortement et de démontrer l’engagement de la direction en matière de prévention. Ensuite, nous proposions la réalisation d’un diagnostic « partagé » permettant l’élaboration progressive du dispositif. Nous proposions ainsi une étude sur les facteurs de risques psychosociaux au sein de l’organisation mettant en lumière les situations qui pouvaient être vécues comme difficiles par les salariés. Le diagnostic devait être partagé et constituerait une base de compréhension et de préconisations d’action.

Notre proposition a d’abord fait l'objet de débats entre partenaires sociaux. Ces débats ont porté sur la difficulté et l'intérêt de s'inscrire dans une démarche participative, notamment dans le contexte de méfiance et l'ambiance pesante de l’établissement. De fortes tensions existaient entre direction et syndicats et de profonds désaccords divisaient visiblement les fédérations syndicales. VTE a rencontré l'intersyndicale au mois de février pour échanger avec les partenaires sociaux sur les enjeux de co-construction inhérents à la démarche proposée. Après ce temps d’échange, la direction s’est engagée dans une démarche qui entendait créer les conditions d'un dépassement de la crise vécue dans l'établissement et, dans cet esprit, a sollicité VTE pour accompagner une démarche globale de prévention des risques psychosociaux. Seule la réalisation d’un diagnostic partagé et l’accompagnement à la structuration d’un plan d’action avait été retenue. Nous avons donc conduit cette démarche. Parallèlement, un suivi psychologique des salariés qui en ressentaient le besoin a été organisé. Après avoir obtenu cet accord, nous avons organisé l’intervention et réuni les conditions de son implantation.

Notes
89.

Cf. les annexes relatives au terrain C : Des données relatives à l’organisation.