III-9.2.5. Analyse du cas

III-9.2.5.1. Retour sur la grille d’analyse

La majorité des étapes a été respectée dans ce processus d’intervention, en particulier celles qui font référence aux temps de la définition de la demande, de l’évaluation et des préconisations. Le temps de la définition de l’intervention a réuni les différents acteurs mais les tensions intersyndicales et syndicats-direction ont finalement empêché la participation du secrétaire du CHSCT. Néanmoins, la parité a pu être respectée au sein du comité de pilotage. Nous avons ainsi basé notre intervention sur les conditions de la confrontation et de la participation du personnel. Ensuite, le temps de l’évaluation a permis d’aboutir à un diagnostic des situations de souffrance et des principales causes, porté par la suite à la discussion et à la validation des acteurs. Nous avons rencontré quelques problèmes d’organisation des entretiens, notamment à cause d’erreurs de la DRH concernant le lieu exact des entretiens. Nous avons enfin été profondément marquée par l’intensité des entretiens, la place de l’institution et de l’histoire dans le récit des salariés, et l’expression de la souffrance que certains vivaient, comme une violence qui leur était faite ou une indifférence qui leur était renvoyée, et sur laquelle ils n’avaient pas de prise. Quant au temps des préconisations, nous avons respecté la plupart des objectifs de notre méthode, hormis celui qui vise à identifier les limitations. De cette identification dépend largement la crédibilité du plan d’action. Nous n’avions pas posé cette exigence au départ dans nos interventions mais l’avons intégrée comme une condition « sine qua non » de la réalisation du plan d’action. Cette intervention nous a permis de réaliser son importance. Pour cela, nous l’avons intégré par la suite dans la proposition de notre modèle d’intervention. Nous considérons ainsi que l’une des faiblesses de l’intervention a résidé dans l’incapacité à élaborer un plan d’action crédible aux yeux des acteurs institutionnels, tenant compte des limitations inhérentes à la réflexion sur le changement. Par exemple, lorsque l’une des préconisations insistait sur l’opportunité de recruter le président de l’établissement sur un projet, à la fois nous étions très perplexe, et à la fois nous aurions dû identifier que cette décision ne pouvait pas appartenir aux salariés, ni même à la direction générale de l’organisation. Cette préconisation se heurtait à une limitation. Enfin, concernant le temps de la décision favorable au changement, la convention prenant fin après la restitution du plan d’action, nous n’avions pas la possibilité d’accompagner et de favoriser son appropriation par l’organisation. Les échanges avec la direction et le médecin du travail n’ont pas pu avoir lieu. Toutefois, deux réunions officielles ont eu lieu en interne autour du diagnostic et du plan d’action et nous avons été sollicitée en février 2009 pour intervenir lors d’un CE. Les acteurs souhaitaient revenir sur l’intervention et ce qu’elle avait produit. Nous avons présenté l’étude qui avait été menée, notre démarche et les grandes orientations relatives aux préconisations élaborées par le groupe de travail. Au moment de cette réunion, un échange informel avec un représentant de la DRH, nous faisant part, à notre demande du regard qu’il portait a posteriori sur l’intervention de VTE et des raisons qui expliquaient que nous ne pouvions pas continuer notre accompagnement à la mise en œuvre des changements, nous apprenait que s’il avait trouver notre expertise dans le diagnostic, en revanche il ne l’avait pas retrouver dans le plan d’action.

Ainsi, bien que la majorité des étapes aient été respectées, certaines n’ont pas été menées de manière à favoriser la progression vers le changement. Les obstacles que nous identifions a posteriori reposent, d’une part, sur la difficulté à obtenir le soutien de la direction et l’adhésion des acteurs syndicaux. Cette difficulté était étroitement liée aux tensions qui existaient entre direction et représentants du personnel, et entre les diverses organisations syndicales. Plusieurs mois après l’intervention, les résultats du diagnostic faisaient encore débat dans l’organisation. Les acteurs ne parvenaient pas à se mettre d’accord et à finalement partager le diagnostic. Ils ne parvenaient pas à dépasser le temps de l’évaluation. Et d’autre part, sur la qualité du plan d’action, trop décalée de la réalité de l’organisation et de ses limitations. Cette question pose celle de comprendre comment allier implication du collectif et expertise de l’action. Nous reprenons ci-dessous le schéma concernant ce processus d’intervention et les étapes qui n’ont pas pu être suffisamment investies.

Figure 7 : Le processus d’intervention dans l’établissement culturel
Figure 7 : Le processus d’intervention dans l’établissement culturel

Par conséquent, ce processus d’intervention nous interpelle sur les effets de variation causés par l’absence d’adhésion et de soutien de la direction et du CHSCT. En quelque sorte, le travail s’est fait sans ces instances, et presque exclusivement avec le groupe de travail. La direction n’a pas inscrit cette intervention dans une démarche plus globale de prévention de la santé psychique au travail. Le CHSCT ne pouvait s’associer à un processus qui avait été initié par la direction. La direction était présente sur un plan financier mais absente sur le plan de l’investissement dans l’intervention. Celle-ci aurait pu être l’occasion de regagner de la légitimité aux yeux des salariés. Mais étant particulièrement attaquée dans le discours des salariés, elle agissait très discrètement et sans tenir sa place. En effet, l’organisme extérieur a dû prendre en charge une partie du rôle que devait assumer la DRH dans cette intervention. Celle-ci constatait le manque de confiance et de légitimité qu’elle inspirait aux salariés et ne souhaitait pas assumer, dès le départ, le rôle de lien entre la direction et les salariés dans l’espace de l’intervention. VTE a parfois joué le rôle d’une direction qui fuyait. Cette absence de soutien de la direction et de présence a fortement nui au processus d’intervention. Dans tous les cas, celle-ci n’a pas permis de réhabiliter l’image de la DRH aux yeux des salariés. Ce qui peut constituer un atout néanmoins, c’est que nous avions pour les salariés une indépendance dans notre intervention. Sans ce soutien-là, on ressent d’emblée que le processus d’intervention n’atteindra son objectif de changement de l’organisation.

Pourtant la démarche avait réussi à s’implanter auprès des salariés et du groupe de travail. Cet élément qui constituerait logiquement un élément positif du processus d’intervention, s’il n’est pas associé à l’adhésion et la responsabilité des acteurs décisionnels devient négatif et produit de la déception pour les salariés sur la suite à donner ou pas. De plus, de multiples facteurs ont conduit la direction à ne pas vouloir que VTE continue son accompagnement du plan d’action : le manque de crédibilité du plan d’action qui n’avait pas suffisamment identifié les limitations ; les tensions qui s’étaient développées entre le DRH et VTE autour du financement de l’intervention et des reports de facturation ; et l’absence de réelle volonté de changement de la direction.

Cette intervention nous interroge plus particulièrement sur la question de la reconnaissance que beaucoup de salariés ont soulevée : la reconnaissance du travail mais également la reconnaissance dans l’institution.