III-9.2.5.3. L’équilibre collectif-expertise et la menace à la crédibilité du plan d’action

A VTE, l’un des fondements qui définit la posture d’intervention sur la prévention des RPS au travail repose sur l’implication du collectif. La prévention n’est possible qu’avec la contribution du collectif et la mise en débat de l’objet dans le collectif. Lui seul est capable de produire du conflit sur l’objet à prévenir et permet de faire « maturer » l’organisation. L’expérience de cette intervention nous a amenée à questionner de manière critique les limites de l’implication du collectif, donc de la posture, pour la réussite d’une intervention qui doit avoir pour finalité le changement de l’organisation.

La demande d’intervention de la direction s’oriente vers une instance qui se définit par son expertise. Lorsque cette demande est « sincère », c’est-à-dire qu’elle ne vise pas seulement à légitimer une action calculée par l’organisation mais qu’elle vise des objets véritables de prévention, l’organisation attend de l’expert qu’il tienne son rôle. De son côté, ce que l’intervention va produire ne serait pas possible sans l’expert. Il y a donc la représentation d’une plus-value de l’expertise. Pour VTE, cette plus-value s’inscrit dans la capacité de l’intervenant à créer et réunir les conditions de l’implication du collectif et de la mise en débat sur des sujets sensibles. Cette plus-value n’est donc pas orientée sur l’élaboration d’actions spécifiquement dirigées vers la prévention.

Dans les temps de la définition de l’intervention et de l’évaluation, la posture de l’implication du collectif est centrale et incontournable. L’équilibre entre l’expertise et le collectif, par sa connaissance du contexte de l’organisation, est possible et bénéfique pour l’intervention. Celle-ci peut se situer dans cet espace social particulier. L’intervenant expert en est le garant et tient le premier rôle dans l’intervention. Il est l’animateur, le guide et le garant d’une déontologie. Et, le collectif est une ressource pour construire l’évaluation et implanter durablement l’intervention. C’est dans cet équilibre que l’intervention va trouver son sens. Toutefois, nous pensons, que lorsqu’on entre dans le temps de l’action (préconisations), la posture demande à être modifiée et le lien expertise-collectif doit évoluer pour se doser différemment. Nous ne voulons pas signifier que l’action doit être pensée en dehors du collectif mais que la réflexion doit être agie de manière à maintenir le collectif dans une position de ressource et non de finalité à satisfaire.

Telle que nous l’apprécions, l’intervention de VTE était efficace principalement lors des deux premiers temps de l’intervention. Elle génère du conflit qui produit des significations nouvelles et partagées sur les situations de travail. En revanche, son action est moins efficace dans le temps de l’action propice au changement. En effet, nous avions l’impression, dans notre rôle d’intervenant, de ne pas pouvoir réellement prendre part à la définition de l’action de changement. Nous étions uniquement dans un rôle d’animateur du groupe de travail. Nous animions la réflexion mais sans participer à l’élaboration. Le groupe de travail tenait le premier rôle. Il est vrai que nous pouvions questionner certaines préconisations sur les effets pervers auxquels elles pouvaient conduire à long terme. Néanmoins, le plan d’action devait appartenir au groupe de travail, c’est-à-dire à divers salariés et représentants de l’organisation, n’ayant par ailleurs aucun pouvoir décisionnel. Ces divers salariés témoignent d’un intérêt explicite d’améliorer l’organisation dans le souci du collectif dans son ensemble et également un intérêt implicite de trouver dans cette participation une contribution et peut-être une forme de reconnaissance particulière. Dans cette expérience d’élaboration de préconisations, la réflexion avait tendance à rester collée sur les attentes des participants et bloquée par les désaccords. Cette question rejoint celle de la construction de l’action. A partir de quels éléments l’action peut-elle être construite ? Faut-il créer du conflit pour élaborer l’action ? Est-ce que les conditions qui favorisent l’évaluation doivent-elles être les mêmes que celles qui favorisent l’action ?

Ainsi, nous assistions à l’élaboration d’un plan d’action que nous aurions bien du mal à défendre. Ici, le déséquilibre expertise-collectif a fortement nui à la crédibilité du plan d’action. Ses effets ne sont pas entièrement négatifs puisqu’il a permis de pointer certains problèmes et d’inciter l’organisation à les regarder. Ensuite, nous avons, dans la pratique, pris une place dans la restitution pour formuler les préconisations de VTE car finalement nous ne savons toujours pas comment répondre à ce problème de l’équilibre expertise-collectif dans la construction de l’action favorisant le changement. Un échange post-intervention a eu lieu en amont de la réunion au CE avec un représentant de la DRH avec qui nous collaborions. Alors que nous discutions de l’intervention et des raisons pour lesquelles VTE n’avait pas pu prolonger l’accompagnement au changement, cet acteur a mis l’accent sur cette faiblesse, à savoir qu’il n’avait pas « retrouver VTE sur le plan d’action ». Ce dernier manquait donc de crédibilité et peut, par conséquent, avoir de vraies conséquences sur le prolongement de la coopération entre l’organisation et l’organisme extérieur, même si ici nous saisissions qu’elle n’était pas la seule.

Ce cas nous signifie qu’un processus d’intervention évolue à partir du cadre qui le structure et dans l’équilibre des postures entre expert et collectif qui implique d’être défini au moment de la définition de l’intervention.