III-9.3.3.1. La structuration du plan d’action

Avant de débuter le temps des préconisations, et alors que nous nous organisions pour cela, nous apprenions un matin que les journalistes du journal avaient déclenché une grève. Nous l’avons appris par la direction régionale. VTE avait apparemment contribué à cette prise de décision des salariés. Ayant constaté que les préconisations n’allaient être construites qu’à partir du mois de juillet, cette nouvelle information avait été un facteur déterminant. Pour eux, il était clair que la direction voulait « enterrer » l’intervention. Nous nous sommes donc efforcée de faire au mieux mais avec peu de moyens. Nous souhaitions, par ailleurs, évoquer ce point lors de la prochaine réunion du groupe de travail. Deux séances étaient prévues97 : l’une devait permettre d’identifier des catégories de problématiques ; la seconde d’y associer des préconisations, en tenant compte des ressources de l’organisation et des limitations pour l’action98. Nous devions, enfin, affiner nous-mêmes le plan d’action en vue de sa restitution. Lord de la première séance, malgré une contrariété qui nous a conduite à recadrer les objectifs de l’intervention, nous avons pu constituer les catégories. Il s’agissait de : l’organisation, le management, le conflit journalistes-encadrement, le sens du métier. Cette contrariété était liée à l’absence volontaire du représentant de l’encadrant. Cette responsable, se sentant particulièrement menacée par les journalistes présents et donc plus largement par l’intervention, n’avait pas souhaité être présente à la réunion. Le groupe ne parvenait pas à penser cette absence. Il y voyait l’acte d’une fuite de l’encadrement et souhaitait alors, dans un premier temps, mettre fin à la réunion. Tout notre travail, en tant qu’intervenante, avait été de les faire réfléchir à ce fonctionnement fermé et qui reposait uniquement sur la mise en actes. Nous les avons encouragés, par conséquent, à modifier ce fonctionnement en décidant de poursuivre la réunion. Car pendant que les acteurs posaient des actes paralysants pour le changement, finalement rien n’était fait dans le sens de la réflexion et de la prévention, personne ne pensait véritablement aux moyens d’atténuer la souffrance des personnes. Nous indiquions également aux participants que l’intervention devait être un espace où les acteurs se réunissent pour aborder un sujet dans la confiance. Et il était nécessaire qu’ils se sentent en confiance et en sécurité afin d’être aidant pour l’organisation. Visiblement, ce n’était pas le cas. La réunion s’est finalement poursuivie et cette mise au point a permis de mettre un sens sur ce fonctionnement, de concevoir que le changement ne pouvait pas se faire ni contre ni en dehors de l’encadrement mais bien en l’associant. Ce temps a permis de faire progresser le processus d’intervention, en permettant aux acteurs d’observer leur mode de fonctionnement et d’envisager une autre manière d’interagir.

Lors de la deuxième séance de travail, le groupe a réfléchi à diverses préconisations en lien avec les catégories de problématiques identifiées. A chaque fois, chacune des préconisations était discutée. Le groupe a été critique à l’égard de l’intervenant qui, contre toute attente, ne donnait pas de solutions « clefs en main ». Les questions que quelques participants nous renvoyaient étaient : « Mais vous, qu’est-ce que vous en pensez ? Vous êtes là pour cela, alors qu’est-ce qu’il faut faire ? ». Nous leur avons expliqué que les éléments qu’ils réussissaient à identifier comme des facteurs favorables à l’amélioration des situations de travail étaient possibles dans la mesure où ils étaient experts eux de ces situations. Nous, nous étions « experte » de certains processus à partir desquels se développe ou se dégrade la santé psychique au travail. Nous pouvions les guider et les mettre en garde contre certains aspects, mais les solutions que nous avions à l’esprit pouvaient être valables pour une organisation et non pour la leur. D’autre part, ces quelques personnes ne souhaitaient pas prendre part à certaines préconisations envisagées envers l’encadrement, estimant que ce n’était pas leur rôle et qu’ils n’étaient pas à leur place. Ils ont finalement souhaité que l’on ne parle pas de préconisations, mais de propositions.

Progressivement, le groupe a constitué un plan d’action. Des propositions très concrètes étaient formulées. Nous étions assez perplexe quant à ce qui nous apparaissait des détails pour le changement. En effet, ils laissaient de côté la question fondamentale qui avait été posée lors des entretiens et qu’ils avaient eux-mêmes identifiée en tant que catégorie problématique : la question du métier et sa perte de sens. En effet, seulement les deux premières catégories, soit l’organisation et le management, avaient été investies par les participants. Il s’agissait pour eux de deux dimensions centrales qui suffisaient à rétablir des conditions favorables à l’établissement de la coopération entre les journalistes et l’encadrement et le sens du métier. Nous sentions chez les participants un vécu de déception. Bien que nous ayons incité le groupe à réfléchir à l’importance de travailler des pistes spécifiquement liées à la question du métier, celui-ci répondait, contre toute attente et avec autorité : « le métier c’est pas le problème », car le problème était bien, selon aux, l’organisation et le management. L’activité ne devait pas être discutée. Mais nous pensions que c’est justement lorsque les enjeux collectifs ne passent plus par l’activité qu’ils se déplacent sur des enjeux relationnels. Ainsi, relativement à la problématique de l’organisation, le groupe de travail a élaboré des préconisations en lien notamment avec les aspects de la communication, de la répartition du travail et des rôles, et de la participation. Puis, les préconisations concernant le management portaient sur les conditions favorables à la concertation entre encadrement et journalistes et à leur relation. Ce résultat de l’intervention mettait une nouvelle fois en évidence la difficulté d’affirmer l’expertise dans ce genre d’action. Après ce travail, nous avons restitué l’ensemble du plan d’action en présence de la direction et du groupe de travail. Mais le médecin du travail et le secrétaire du CHSCT n’étaient pas présents.

Notes
97.

Nous avions gardé la même démarche méthodologique utilisée au cours de l’intervention au sein de l’établissement culturel, excepté que nous n’avons pas divisé le groupe en deux sous-groupes dans la mesure où l’effectif était ici réduit.

98.

Ces limitations avaient déjà été identifiées et discutées lors de la première séance de travail. L’impossibilité de préparer un avenir en dehors de l’encadrement (même si par ailleurs cela les aurait certainement arrangés) et de concevoir le changement en dehors du logiciel amené à s’implanter durablement dans l’activité. Bien qu’il soit à la source de difficultés et de la perte du métier, la direction ne le supprimerait pas.