III-10.1.1.2. La construction de l’intervention

Avant d’engager l’évaluation du dispositif, la direction a souhaité que soient respectées trois conditions préalables. Premièrement, il était nécessaire de revenir sur le contexte de la CAF en question. En effet, il était indispensable, pour elle, que l’intervention s’appuie sur le contexte propre à cette structure et les éléments de son « histoire » qui l’avaient amenée à élaborer un tel protocole avec l’aide de VTE (notamment un événement lié au licenciement d’un cadre suite à une sitution considérée comme un harcèlement). Deuxièmement, nous devions établir un bilan de l’activité du dispositif. Ce bilan devait être le point de départ de l’évaluation. Il devait s’effectuer auprès des écoutants par la directrice des ressources humaines. Troisièmement, il était essentiel de réunir le groupe des écoutants afin d’échanger avec eux sur le dispositif, de leur permettre d’exprimer leurs attentes et leurs critiques et, enfin, de solliciter leur implication dans le processus d’intervention à venir.

A partir de la première réunion, nous avions déjà construit notre proposition d’intervention centrée sur l’évaluation du dispositif. Dans un premier temps, nous envisagions de réaliser une enquête auprès des membres du dispositif. Au premier niveau, cette enquête reposait sur la construction et la passation d’un questionnaire en direction des écoutants. Celui-ci avait pour objectifs de mesurer leur niveau d’appropriation du dispositif et de maîtrise de leur rôle ; d’offrir un temps pour qu’ils s’expriment sur la qualité du dispositif ; de permettre l’auto-évaluation de leur pratique d’écoutant et de recueillir leurs attentes concernant l’évolution du dispositif. Au second niveau, l’enquête consistait à nous entretenir avec les différents professionnels afin d’apprécier la qualité du fonctionnement du dispositif ; d’évaluer le fonctionnement du groupe à ce niveau, de recueillir les perceptions à l’égard du dispositif ; d’offrir un temps pour exprimer les conséquences sur le métier de chacun des professionnels. La difficulté ici était que ce niveau ne vivait pas encore véritablement puisqu’aucune situation n’était parvenue jusqu’à lui. L’ensemble des situations, même celles qui concernaient le premier niveau, se répercutait sur la directrice des ressources humaines. Ensuite, nous envisagions de réaliser une enquête auprès des agents de la CAF. Ici, l’objectif était de mesurer leur niveau d’appropriation et d’adhésion au dispositif. Enfin, nous souhaitions organiser un entretien collectif avec l’ensemble des membres du dispositif dans le but de restituer nos résultats et d’approfondir l’évaluation afin, par la suite, de formuler des préconisations.

De plus, lors de notre première rencontre avec le directeur de la structure et la directrice des ressources humaines, quelques éléments avaient été soulevés que nous devions prendre en compte dans l’intervention. Certains de ces éléments représentaient d’ailleurs des facteurs pour garantir la qualité du fonctionnement du dispositif. Premièrement, il était nécessaire d’intégrer davantage les encadrants dans la procédure, en valorisant leur rôle dans la démarche en question et non en les culpabilisant par rapport à leur mode de management. Une démarche de sensibilisation était possible et devait permettre de les réunir autour de ces questions. Deuxièmement, nous devions travailler avec les acteurs du premier niveau, notamment avec des représentants du personnel. Cette double position, à la fois écoutants et représentants du personnel, pouvait les placer dans un conflit de rôle et dans la difficulté de distinguer les situations faisant appel au dispositif et celles nécessitant de faire appel aux syndicats. Troisièmement, il nous semblait utile de prendre un temps pour étudier les outils de traitement dont disposait le second niveau et qui pouvaient traduire le niveau d’efficacité du traitement. Enfin, une présentation de la démarche d’intervention devait être réalisée au CHS au mois de mars, après validation de la proposition d’intervention par la direction.

A la fin du mois de janvier, nous avons rencontré une deuxième fois la direction générale et la directrice des ressources humaines. L’objectif était de discuter de la proposition d’intervention rédigée. Puis, début février, une réunion avait été initiée en interne entre les écoutants et la directrice des ressources humaines. L’objet de cette réunion était de faire un bilan annuel de l’activité des écoutants. Elle devait permettre d’établir un bilan quantitatif des saisines du dispositif, d’évaluer les difficultés rencontrées et de « revisiter » le document afin de le mettre à jour.

Ce premier bilan montrait que le dispositif avait très peu fonctionné. Nous comptions quatre saisines du niveau d’écoute dont aucune qui n’avait débouché vers le second niveau. Il soulevait déjà des pistes pour comprendre les raisons de cette sous-utilisation (le manque éventuel de confidentialité, la crainte ressentie par l’agent sur les suites qu’aurait sa demande de traitement). La direction souhaitait, avant d’engager l’évaluation du dispositif, que nous réunissions le groupe des écoutants afin d’échanger avec eux plus ouvertement sur la qualité du dispositif. Nous pensions que cette étape allait être bénéfique à l’implantation de la démarche en suscitant leur implication et leur adhésion. Ce que nous n’avions pas perçu, était que ces deux bilans allaient finalement apporter des éléments suffisamment étayés pour que la direction ne conçoive plus la nécessité d’évaluer formellement le dispositif101. VTE, de son côté, était partagée entre l’exigence de répondre aux désirs de la direction et l’exigence de pouvoir entreprendre une intervention engageante pour la structure. Ainsi, tous les comptes-rendus de réunions étaient complétés de la proposition d’intervention, elle-même constamment réadaptée à partir du déroulement de nouvelles étapes préalables et nécessaires apparemment à la définition de l’intervention. Finalement, celle-ci n’aboutirait pas.

Le bilan qualitatif de l’activité du premier niveau du dispositif a été effectué à partir de la passation d’un entretien collectif. Nous l’avions suffisamment préparé pour qu’il fournisse des éléments d’évaluation. Il avait réuni sept écoutants issus de différents secteurs d’activité. Parmi eux, une seule personne avait donc été sollicitée dans le cadre du dispositif. Ce bilan était l’occasion pour ces acteurs d’exprimer leurs difficultés. Les principales difficultés semblaient être le respect du cadre de l’entretien, notamment lorsque l’agent exprimait l’urgence de sa situation ; la responsabilité que pouvait ressentir l’écoutant face à la détresse de l’agent en souffrance, et qui ne voyait plus comment sa situation pouvait trouver une issue ; le refus de l’agent de voir sa situation traitée au niveau supérieur, par crainte des conséquences sur sa situation professionnelle. Ces difficultés alimentaient pour l’écoutant un sentiment d’insécurité et d’impuissance. L’orientation de l’agent vers la directrice des ressources humaines était vécue comme un soulagement. Par ailleurs, il semblait que les agents n’adhéraient pas à l’intérêt d’une analyse partagée et préféraient rencontrer individuellement les professionnels. L’évaluation des risques que représentait pour eux une telle implication bloquait tout changement vers une amélioration de leur situation. Ils pouvaient craindre d’être identifié et préférait se préserver des conséquences que pouvait avoir une telle action, notamment aux niveaux relationnels et professionnels. C’est donc dans cette crainte d’un engagement plus important, d’un recours au second niveau, que le dispositif éprouvait sa principale difficulté. Celle-ci pouvait trouver son origine dans les termes mêmes de « violences internes ». Ces derniers impliquent que l’on traite des aspects relationnels, en référence à des personnes spécifiques.

Après avoir recueilli tous les éléments, nous précisions encore qu’il s’agissait uniquement d’un bilan succinct, et que la démarche méthodologique proposée permettrait d’approfondir et d’expliquer les éléments qui freinaient la qualité du fonctionnement du dispositif. Notre erreur était d’être, dans le moment de l’analyse de la demande, déjà dans l’évaluation du dispositif.

Par ailleurs, lors de cette réunion, nous avions néanmoins présenté la démarche d’intervention que nous envisagions aux écoutants. Tous l’avaient validée. Il était également convenu que nous élaborions prochainement le questionnaire à destination des écoutants afin que la directrice des ressources humaines leur transmette et nous les renvoie afin que nous puissions traiter les résultats. Tous attendaient les conclusions de l’évaluation avant de modifier le dispositif et de procéder à sa nouvelle diffusion dans la structure. Mais ces attentes n’ont pas suffit à déclencher une intervention. Nous proposons ainsi d’en identifier les freins et obstacles.

Notes
101.

Cf. les annexes relatives au terrain E : La réalisation du bilan du dispositif.