III-10.2.5. Analyse du cas

III-10.2.5.1. Analyse du processus d’intervention et retour sur la grille d’analyse

Ce processus d’intervention, bien que sous certains aspects il n’ait pas respecté l’ensemble des étapes définies dans la grille d’analyse, a permis d’aboutir à des changements favorables pour le fonctionnement des dispositifs et pour la coopération entre les acteurs. L’intervention a permis de modifier le regard des acteurs quant au dispositif de prévention des violences internes et d’impliquer les représentants du personnel dans sa diffusion et dans son fonctionnement.

De manière plus précise, et par rapport à notre grille d’analyse, nous soulignons que les étapes relatives à la définition de l’intervention ont été propices à sa réalisation. Notre collaboration régulière par le passé avec les acteurs nous a permis de solliciter plus facilement leur soutien et leur adhésion. VTE apparaissait comme une entité repérée dans l’organisation. Toutefois, la définition du cadre de l’intervention s’est étendue sur une longue période et n’a pas logiquement posé dès le départ les règles et objectifs de l’intervention. Le processus était déjà « en route » alors que le cadre n’était pas formellement posé. De plus, l’implantation de la démarche n’a pas été, selon nous, satisfaisante. Certes, cette implantation ne devait pas concerner l’ensemble du personnel, comme cela peut être le cas lorsque l’intervention porte sur la réalisation d’un diagnostic des situations. L’implantation a été effectuée principalement auprès d’encadrants que la DRH invitait à participer à des entretiens. L’étape d’implantation de la démarche et celle de la sollicitation d’acteurs à participer à l’étude se confondaient. Les acteurs avaient dans le même temps connaissance d’une information concernant le démarrage d’une intervention et de l’invitation à y participer. Seules les personnes qui devaient, selon la DRH, participer à l’évaluation, étaient la cible de l’information. Ainsi, diffuser une information relative à l’évaluation d’outils qui concernent l’ensemble de l’encadrement aurait permis d’interpeller ces acteurs d’une manière singulière. Elle aurait permis de questionner leur posture face à la gestion de ces problématiques, même si par ailleurs ils n’ont jamais eu recours à ces dispositifs, d’inscrire ces objets dans leur système de représentations en tant que repères parmi d’autres, et donc de permettre aux dispositifs d’exister d’une manière particulière dans un groupe professionnel. Cette diffusion aurait permis de favoriser leur implication dans la durée. Enfin, nous n’avons pas, dans le cadre de cette intervention, décidé de constituer un groupe de travail composé d’acteurs organisationnels reflétant la diversité sociale et professionnelle de la collectivité. Seul un comité de pilotage, composé d’acteurs institutionnels a été mis en place. Ainsi, la démarche n’a pas été discutée au sein d’une instance organisationnelle mais directement auprès des acteurs institutionnels. Etaient ainsi réunis dans une seule entité la connaissance de l’organisation et le pouvoir décisionnel. Nous pensons que ce regroupement est une condition efficace pour intervenir. Néanmoins, l’une des limites est que, si les acteurs institutionnels ont une connaissance fine de l’organisation, ils ont souvent une connaissance partielle des contextes de travail. Cette connaissance est celle que permet de produire un groupe de travail composé d’acteurs organisationnels qui la possèdent.

Ensuite, le temps de l’évaluation a été le plus exhaustif au regard de la grille d’analyse. Nous avons pu réfléchir aux modalités de sa réalisation, mener des entretiens riches en termes de données et restituer les résultats au sein d’instances institutionnelles diverses, ce qui a permis d’établir des conditions efficaces pour mettre en débat l’évaluation entre ces acteurs et d’être véritablement portée par l’institution. Cependant, nous avons eu des difficultés à réunir les personnes lors des entretiens semi-directifs. Théoriquement, l’échantillon devait être construit par la DRH qui ciblait des personnes concernées par ces dispositifs. Dans la réalité, nous nous aprecevions qu’elle sollicitait quasiment exclusivement des encadrants ayant expérimenté l’un des dispositifs et donc qui avait été amenés à coopérer avec elle. Ce surinvestissement de l’institution sur l’encadrement, que nous avons perçu dès le départ, n’a pas permis d’orienter le processus vers la question des acteurs institutionnels. Le fait d’avoir ciblé principalement des encadrants peut en partie être lié au fait que l’intervention devait réaliser non pas une évaluation mais un bilan, donc une mesure de l’activité d’un dispositif. Cela impliquait de solliciter les personnes qui avaient permis cette activité et donc qui avait sollicité ces dispositifs. Ce que l’organisation n’avait pas, par ailleurs, reconnu est que dresser un bilan n’implique pas d’analyser son activité mais uniquement de la décrire, alors que nous nous sommes efforcée d’analyser les raisons des limites du fonctionnement des dispositifs et d’élaborer des pistes.

Après avoir restitué les résultats de l’évaluation, nous avons élaboré plusieurs préconisations en lien avec chacun des dispositifs et à partir des problèmes et limites que nous identifions. Le plan d’action n’a pas été construit au sein d’une instance collective. Seul l’intervenant en avait la charge. L’organisation n’a donc pas été impliquée dans cette étape favorable au changement. Néanmoins, dans la mesure où le plan d’action émanait de l’entité experte, cela le rendait crédible aux yeux des acteurs. Un plan d’action conçu en associant les acteurs organisationnels est perçu, d’après notre expérience, avec moins de crédibilité que lorsqu’il est uniquement le produit de l’expertise. Le risque est alors qu’il soit moins pertinent. Ensuite, nous avons de nouveau restitué nos préconisations auprès des acteurs institutionnels. Cette étape a permis une première ouverture vers la conception du changement. Les préconisations ont été discutées. Un compte-rendu a été réalisé en reprenant le contenu de ces échanges qui se révélait être une base de travail pour construire le changement et garantir l’appropriation organisationnelle des pistes que nous avions identifiées.

Par la suite, et comme habituellement nous ne sommes pas amenée à poursuivre notre intervention, le temps de l’appropriation organisationnelle s’est réalisé en notre absence. Il est essentiel que nous laissions avant de partir, des pistes pour que l’organisation s’approprie efficacement le plan d’action. A ce moment, nous n’avions pas encore pu réfléchir à ces enjeux pour le processus d’intervention. Nous n’avons donc pas participé à la réflexion autour de la mise en œuvre des changements et nous ne les avons d’ailleurs pas accompagnés, à l’exception d’un seul112. Par contre, l’intervention que nous avons conduite à permis de produire des effets indirects tout à fait positifs sur l’organisation et son degré de maturation sur la question de la prévention des RPS et sur les liens de coopération entre les acteurs institutionnels. Ces effets du processus d’intervention sont repris ensuite et détaillés par l’un des acteurs impliqués dans le processus que nous avons rencontrés en entretien près d’un an et demi après l’intervention.

Le schéma que nous reprenons ci-dessous illustre le processus d’intervention qui s’est développé dans cette collectivité et identifie les étapes qui n’ont pas été véritablement investies et que nous avons reprises dans ce précédent paragraphe afin d’interroger leurs effets sur le processus d’intervention.

Figure 10 : Processus d’intervention dans la collectivité locale
Figure 10 : Processus d’intervention dans la collectivité locale

L’analyse de ce processus d’intervention nous amène à soulever une idée qui se pose comme un problème qui est toujours présent dans l’intervention et qui, d’une certaine manière également, est toujours original dans ce qu’il signifie des enjeux qui traversent l’organisation. Ce problème est celui de la menace d’instrumentalisation de l’intervention. Celle-ci en particulier nous a placée face à ce problème d’une manière plus intense. Pour cela, nous avons souhaité en donner une analyse.

Notes
112.

En effet, VTE assurait l’accompagnement du psychologue du travail nouvellement recruté. Cet accompagnement reposait sur l’acquisition de compétences d’animation de groupes et de l’élaboration d’un positionnement juste dans la dynamique collective.