III-10.2.5.4. L’analyse de l’efficacité du dispositif

Nous proposons ici de réaliser l’analyse de l’efficacité du dispositif de prévention et de traitement des violences internes. L’évaluation du dispositif a montré qu’il était pertinent du point de vue des situations vécues par les salariés. Il existait bien, selon les personnes interrogées, des conflits et des violences au travail. Ils concevaient, en revanche, que le dispositif s’orientait progressivement vers une prise en compte plus large des situations de souffrance au travail. La question de la souffrance semblait plus « d’actualité » dans cette organisation. Néanmoins, ils soulignaient que les réponses apportées en termes de traitement n’étaient quant à elle pas adaptées. L’étude des bilans mettait en évidence que la plupart des situations n’était pas traitée dans le cadre du second niveau du dispositif par le refus de l’agent de s’y impliquer et que les seules réponses apportées reposaient soit sur un conseil donné à l’agent, soit par une mutation de l’agent. Ainsi, seule la conséquence de la situation était traitée, non la cause. Selon les acteurs, le dispositif ne « s’attaquait » pas aux causes mais aux conséquences. L’efficacité perçue était mitigée. Pour certains, le dispositif avait pu faire progresser la collectivité sur la prise en compte de ces problématiques de violence, mais il s’agissait d’effets indirects dans la mesure où il ne fonctionnait pas réellement. Une seule situation avait été traitée dans le cadre du dispositif. Toutes les autres avaient été prises en charge par un acteur de la DRH. De même, les temps d’écoute restaient informels et hors dispositif. Il était donc impossible de faire la démonstration de son efficacité. Du point de vue de son exhaustivité, les sujets estimaient que le dispositif n’était pas en capacité de traiter l’ensemble des situations relatives aux violences internes, dont celles qui se manifestent par des actes racistes et discriminatoires, les conflits qui impliquent une personne non syndiquée et une personne syndiquée, les situations liées au statut et même les situations relevant de harcèlement au travail. Ensuite, en termes d’adhésion, on a pu noter une forte reconnaissance de l’intérêt des objectifs visés par le dispositif. Son utilité n’était pas contestée. Néanmoins, les problèmes de lisibilité et de visibilité du dispositif contribuaient à freiner la connaissance et l’adhésion des agents. On remarquait qu’il n’y avait pas encore d’appropriation du dispositif par les agents et que celui-ci n’était pas toujours visible pour les membres qui le composaient. Ces derniers, notamment les membres du premier niveau, plus précisément les écoutants non professionnels, n’étant pas sollicités, pouvaient remettre en cause leur utilité et parfois leur adhésion au dispositif. Le problème de lisibilité était alimenté par une confusion des rôles des acteurs qui devaient faire fonctionner le dispositif et des cibles à qui il s’adressait. La demande peut être à l’initiative d’un agent mais également d’un encadrant qui ne parvient pas à traiter lui-même une situation dans son service. Le dispositif s’orientait donc à la fois vers les situations individuelles et collectives. L’évaluation a donc mis en évidence une incohérence du fonctionnement réel du dispositif et des procédures pré-définies au départ de sa structuration. Il ne fonctionnait pas comme prévu. Intervenir sur un collectif de travail à la demande d’un seul agent restait pour nous problématique et risqué pour la crédibilité du dispositif. Son fonctionnement réel conduisait à une impasse : son incapacité de traiter efficacement des situations de violences internes en respectant la règle de la confidentialité. Comme dans la recherche effectuée sur le recours à la Justice, il aurait fallu nommer le conflit pour donner accès au statut de conflictualité à résoudre et désigner l’origine du conflit (Abel & al., 1981). Enfin, le suivi du dispositif n’était pas assuré dans la mesure où il ne fonctionnait pas véritablement. Néanmoins, lorsque les acteurs nous en présentaient le bilan d’activité, ils évoquaient l’ensemble des situations écoutées et traitées par la DRH, comme s’il s’agissait de la même activité. La confusion ne s’exprimait pas seulement chez les agents mais également chez les acteurs institutionnels et les membres du dispositif.

Donc, lorsque VTE a quitté la collectivité, au terme de la structuration du dispositif, les acteurs devaient seuls le faire fonctionner. Les dynamiques d’appropriation et les jeux d’acteurs l’avaient considérablement modifié. Le dispositif était progressivement devenu un outil RH pour soutenir l’encadrement et un espace pour qu’un acteur déploie sa propre compétence et sa maîtrise de l’intervention, au détriment du collectif. La faiblesse des règles instituées au départ, donnant à cet acteur un rôle triple (référent, traitement, écoute) allait en faire l’acteur unique du dispositif. Cela portait préjudice à sa crédibilité puisque la ressource collective n’était pas reconnue dans son utilité. Le dispositif était la caution d’un fonctionnement cloisonné et unilatéral. Ainsi, le non fonctionnement du dispositif était lié au refus et à la crainte des agents de s’engager à un niveau de traitement collectif mais également à la méconnaissance et à un problème de confiance dans le dispositif. Cette analyse plus spécifique du fonctionnement de ce dispositif donne des éléments pour comprendre les causes de recours et de non-recours au dispositif et les conditions de son efficacité.

Enfin, comme nous l’indiquions précédemment, nous avons rencontré deux acteurs pour obtenir, de manière rétrospective, des éléments sur l’intervention et ses effets.