III-10.3.5.3. L’analyse de l’efficacité du dispositif

Depuis que le dispositif avait été implanté, 24 situations d’écoute avaient été réalisées et seulement deux agents avaient sollicité le niveau 2118. Ce niveau ne parvenait pas à fonctionner. Il apparaissait davantage comme une instance d’analyse et de proposition que de traitement et de décision. Cela pouvait constituer un frein à l’action et expliquer pourquoi il arrivait que les agents ne soient pas satisfaits du traitement. Ce niveau était assuré par une instance propre à la DRH, créée bien avant le dispositif et qui traitait majoritairement d’inaptitudes au travail. Cet élément renforçait encore la confusion et amenait progressivement les acteurs à traiter un problème de violence au travail comme l’on traite une inaptitude. En effet, la réponse majoritairement apportée par le dispositif était la mutation, c’est-à-dire que la réponse était essentiellement axée sur la personne qui se plaint d’un conflit ou d’une violence. Elle pouvait être perçue par l’agent comme une sanction ou comme une réponse à un problème individuel.Les acteurs parlaient, lorsque la personne, bien que mutée se retrouvait de nouveau au cœur d’un nouveau conflit ou d’une nouvelle violence, de « récidive » et de « pathologie ». Nous faisions donc l’hypothèse d’un glissement d’un problème relationnel ou organisationnel vers un problème individuel. D’ailleurs, ce second niveau avait pour habitude de réaliser des « enquêtes » au sein du service de l’agent suite au recours au dispositif. Ce constat posait un problème de respect de la confidentialité et alimentait un sentiment d’insécurité pour l’agent.

De nombreux efforts étaient réalisés par les acteurs du dispositif en termes d’analyse, d’enquêtes, mais les propositions de traitement n’étaient pas satisfaisantes et efficaces. Il apparaissait qu’un décalage existait entre la théorie des procédures et la réalité de leur application. Le paradoxe était celui de traiter une violence au travail en respectant la confidentialité. En effet, progressivement, les acteurs ont pensé qu’il pouvait être pertinent d’entendre la version des deux personnes impliquées dans le conflit. Et parfois, pour approfondir l’analyse, l’entourage professionnel pouvait être entendu. Les acteurs se rendaient compte que le traitement nécessitait de sortir de la confidentialité, ce qui suffisait à convaincre l’agent de ne pas s’impliquer davantage et d’abandonner sa démarche. On remarquait qu’après que la situation ait été exposée au second niveau, en dehors du dispositif le plus souvent, « plus personne ne savait ce qu’il se passait ». Il semblait qu’il n’existait pas de procédures définies concernant le suivi de la situation de l’agent. Le suivi de la situation échappait au collectif et celui-ci ressentait une impression d’inachevé. Ainsi, les personnes interrogées, les membres du dispositif comme les acteurs organisationnels et institutionnels, reconnaissaient que les procédures manquaient de clarté, que « tout n’avait pas été prévu ». On se rendait progressivement compte qu’il n’existait pas d’interprétation commune du dispositif et de son fonctionnement théorique.

De plus, même si les acteurs interrogés reconnaissaient parfois une efficacité ponctuelle de l’écoute ou du traitement, ils considéraient que celui-ci était de courte durée et souvent uniquement « localisé » sur l’agent. Selon eux, il existait une difficulté de « trancher », de décider qui faisait que la situation restait bloquée au stade de la plainte. Certains exprimaient ainsi que l’organisation « laissait pourrir des situations ». Lorsqu’il y avait traitement, celui-ci se déroulait le plus souvent en urgence, par rapport à une situation de « crise ». Ce type de traitement mettait en évidence le manque d’implication de l’agent dans le processus. Il apparaissait également qu’il était courant que les agents en difficulté multiplient les formes de recours internes et sollicitent plusieurs acteurs successivement, soit par insatisfaction, soit pour s’assurer d’un traitement satisfaisant. Cette multiplication des recours constituait une difficulté pour les membres du second niveau du dispositif, qui se trouvaient alors souvent face aux syndicats. L’affrontement qui existait entre la DRH et les syndicats complexifiait profondément le processus de traitement. Enfin, tous les acteurs interrogés questionnaient fortement l’utilité et l’objet du troisième niveau du dispositif.

Par conséquent, l’évaluation a mis en évidence que l’organisation avait une difficulté à s’interroger, que les limites d’action pour traiter avait peu à peu été favorables à une interprétation individualisante des situations. Le dispositif, non seulement était une réponse aux situations de violences internes, mais également de souffrance et semblait intervenir sur les problèmes de reclassement et les problèmes médicaux. Le glissement observé du dysfonctionnement relationnel au dysfonctionnement individuel avait sans doute été alimenté par une confusion des cadres dans lesquels les problèmes liés à la santé au travail étaient évoqués. Les membres du dispositif soulignaient leur difficulté à traiter mais également à demeurer neutres et objectifs. Les acteurs organisationnels et institutionnels s’étaient exprimés sur l’existence d’un problème de confiance lié au traitement des situations mais également un problème de confiance dans les membres du dispositif aux deux premiers niveaux. L’un des principaux freins au traitement efficace était les tensions entre la DRH, acteur unique du dispositif, et les syndicats. Ils soulignaient la difficulté pour l’organisation et la direction de reconnaître une problématique liée au management, ce qui empêchait de franchir l’étape du troisième niveau. Celui-ci apparaissait plus dissuasif aux membres du dispositif qu’aux agents eux-mêmes. Les syndicats accusaient la DRH de « protéger » l’encadrement, ceux qui avaient été placés là par l’institution. Ainsi, le traitement se heurtait au statut. Et les membres du dispositif le reconnaissaient. Enfin, un problème de lisibilité existait : il était complexe de distinguer la différence entre un traitement « ordinaire » par l’organisation et par le dispositif : quel était l’intérêt et la plus value du dispositif par rapport aux autres outils et instances pré-existantes ?

Environ deux mois après l’intervention, nous avons rencontré la directrice des ressources humaines pour commencer à apprécier les effets de l’intervention et les actions qui avaient été validées.

Notes
118.

Cf. annexes relatives au terrain G : Annexe 7.4. Les bilans d’activité du dispositif.