III-11.1. Identification des logiques de recours

Pour mener cette étude, nous avons repris les entretiens que nous avions menés auprès de sujets sélectionnées dans le cadre de la réalisation de diagnostics. Nous nous sommes intéressée principalement aux discours des sujets que nous considérions en situation de souffrance au travail ou qui se disaient en difficulté afin d’identifier les logiques et orientations des recours vers des systèmes d’aides internes ou externes. Pour cela, nous avons repris quelques extraits des entretiens qui mettent en lumière ces logiques et orientations.

D’une manière générale, les entretiens mettent en relief deux catégories de recours : les recours internes à l’organisation et les recours externes. Plus précisément, les recours internes à l’organisation sont représentés par différents acteurs. On en compte cinq au total : il s’agit des collègues de travail, de la hiérarchie, du médecin du travail, de la DRH et des syndicats. Parfois, une seule ressource est sollicitée, mais dans la majorité des cas, le recours se réalise progressivement, à partir de la sollicitation des acteurs les plus proches de l’individu et de sa situation, à savoir les collègues de travail et la hiérarchie, quand celle-ci n’est pas considérée par le sujet comme l’une des causes de sa souffrance. Dans ce cas, la hiérarchie sera « court-circuitée » et l’individu ira solliciter directement un acteur plus éloigné de sa situation, comme le DRH, le médecin du travail ou les syndicats. Par ailleurs, si la souffrance vécue est liée à un conflit avec un supérieur hiérarchique, le recours à la DRH constitue parfois un risque coûteux. En effet, les personnes perçoivent qu’elles n’obtiendront pas d’aide de la part de la DRH, elle-même ayant un statut de directeur. Les sujets interrogés lors de l’évaluation du dispositif de la Mairie ont souvent évoqué qu’ils avaient la représentation « que les directeurs se soutiennent entre eux », et donc que l’agent sait que quoiqu’il fasse, face à son directeur, il aura tort. Le recours aux syndicats s’inscrit dans une logique de rééquilibrage du rapport de force. La ressource syndicale est un recours possible lorsque l’individu vit un conflit dégradé avec son supérieur. Le traitement se fera alors dans une négociation entre la DRH et le syndicat mais parfois, cette négociation prendra la forme d’un affrontement dont les conséquences pourront nuire à la situation même de l’individu. D’une certaine manière, on perçoit que cette ressource se substitue à un traitement judiciarisé de la situation. L’individu recourt à un syndicat en interne comme s’il recourait à un avocat en externe. On identifie que le recours au syndicat correspond à une logique du recours à la Justice. Ce traitement pose d’emblée le problème dans un cadre conflictuel. Cependant, le recours à un syndicat peut représenter un risque significatif pour l’individu qui peut préférer, un traitement « souterrain », non visible, et donc peu compatible avec le recours syndical. Ou alors, et en cas de conflit avec un supérieur, ces personnes peuvent percevoir que le recours à la DRH peut être une manière d’obtenir une réponse de manière discrète mais que l’unique aide apportée par la DRH sera la mutation. Certaines pourront le vivre comme un échec et une insatisfaction. En revanche, lorsque la souffrance n’est pas liée à une forme de relation dégradée à la hiérarchie, celle-ci sera relativement sollicitée suffisamment tôt au cours de l’évolution de la situation de l’individu. Enfin, le recours au médecin du travail est fréquent pour les personnes en souffrance. Ce recours permet d’exprimer des conséquences diverses de la situation sur l’état de santé, d’exprimer le problème dans un cadre confidentiel et est souvent le premier moment pour évoquer une souffrance difficilement définissable. Si le recours à la hiérarchie est généralement activé tôt en cas de souffrance, la condition est que l’individu réussisse semble-t-il à nommer ce qui en est la cause. Au contraire, sa difficulté à se représenter et à définir sa problématique le poussera davantage à solliciter un avis médical. Pour illustrer ces différentes conclusions, nous reprenons dans les paragraphes qui suivent, quelques exemples de recours internes et externes.