III-11.1.3. L’illustration de cas d’absence de recours

L’absence totale de recours est relativement rare lorsqu’un sujet éprouve une souffrance et une détresse dans son travail. Nous avons rencontré une personne particulièrement affectée mais qui n’envisageait pour autant aucun recours. Il s’agissait d’un technicien qui travaillait au sein de l’établissement culturel. Bien qu’il n’ait déclenché aucun recours, il envisageait pourtant les conséquences possibles que pourraient avoir des recours, notamment sur sa situation d’emploi et économique. Il expliquait être arrivé à un stade où il n’avait plus d’attente. Il n’envisageait pas de rester « encore 20 ans » dans cette situation. Il ne voulait pas non plus démissionner car, alors, il ne « [toucherait] pas le chômage ». Il ne se voyait pas non plus dans un autre poste : « Si c’est pour me mettre quand ils mettent les gens dans les placards et rester à rien faire ». Il disait craindre de déclencher un recours à la DRH, avec laquelle il avait quelques ennuis mais indiquait avoir l’espoir de parvenir à solliciter son directeur : « Enfin moi en haut c’est mon chef de département que j’aimerais aller voir ». Il a précisé avoir néanmoins cherché à obtenir une action de son directeur, en lui formulant qu’il « en [avait] marre de [sa] chef de département » et qu’il pensait « à  changer […], d’aller autre part ». Néanmoins sa tentative n’avait pas eu d’effet. Par ailleurs, l’entretien était pour lui une manière de réfléchir à diverses solutions, mais toutes comportaient un risque. Plus tard dans l’entretien, il disait envisager soit la démission, dans la mesure où il ne se voyait pas continuer ainsi pendant 20 ans, soit un licenciement, qui l’arrangerait davantage. Il a déclaré à ce sujet : « On me dirait tiens on vous vire. A la limite je serais content. […]. Bon après c’est à moi de trouver autre chose […]. Mais là à la limite ça serait un soulagement […]. Enfin je veux dire je viens parce qu’il faut venir […]. A la limite je peux même être capable de faire des fautes exprès pour qui. Mais involontairement ». Il disait avoir conscience qu’il pouvait, puisqu’il était à bout de force, réagir de manière à envenimer gravement sa situation et à ses possibilités de la résoudre : « Parce que moi je me connais. Au bout d’un moment quand j’explose […].Et moi je suis capable de claquer la porte et rentrer chez moi. Là c’est une faute grave. Après c’est licenciement, sans chômage, sans rien. Mais c’est ce qu’ils font aussi. Ils me poussent à bout comme ça ». Enfin, bien que sa situation lui causait de sérieux troubles du sommeil, il disait ne pas vouloir recourir à des somnifères, dans la mesure où cela n’était pas son « style » de prendre « des trucs comme ça » et qu’il craignait d’en dépendre par la suite. Il a déclaré à ce propos : « Parce que je trouve que si on se fout la vie en l’air à cause d’un boulot », en faisant référence explicitement à son ancien collègue qui s’était suicidé. Nous lui demandions finalement s’il avait « tapé à d’autres portes » que celle de son chef de service et s’il en avait parlé avec le médecin du travail, mais il nous a répondu qu’il ne se représentait « pas vraiment de porte », que le recours à la DRH, comme tenu des différends et de l’inquiétude qu’il ressent, c’est « même pas la peine ». Il a insisté sur le fait qu’on lui avait conseillé d’aller consulter le médecin du travail mais qu’il n’avait pas encore « osé faire le pas » et, qu’à y réfléchir, « c’est pas [son] style […], d’aller voir des trucs et d’aller raconter des choses ». Il a ensuite expliqué qu’il estimait également que ce recours n’allait pas pouvoir changer « quelque chose » à son problème. Si ce salarié semblait ne déclencher aucun recours interne, il utilisait ou semblait utiliser le recours médical par les arrêts de travail, ou se servir d’événements divers de sa vie privée pour s’extraire momentanément de sa situation professionnelle, ce qui ne semblait pas lui être favorable dans son travail. D’une certaine manière, son non-recours aux aides internes semblait pouvoir lui être utile, puisqu’il espérait le licenciement.

Puis, un autre homme a été interrogé qui, malgré le fait qu’il disait être « très mal dans son travail », ne semblait pas s’orienter vers des formes d’aides internes ou externes. Il nous apparaissait très suspicieux envers l’ensemble des acteurs, médecin du travail compris (« Le médecin du travail me persécutait »). Il se croyait persécuté par sa hiérarchie et d’autres collègues et déclarait à ce sujet qu’ils avaient pour « stratégie » de « [le] mettre au sol ». Pour cela, il estimait qu’il valait mieux pour lui « rester seul ». Il disait être solitaire au travail et ressentir de l’injustice. Il avait également la sensation de ne pas avoir la possibilité de s'exprimer et que, quoiqu’il fasse, il ne serait pas écouté. Il manifestait des conduites addictives et un sentiment de persécution. Comme dans de nombreux entretiens, « l’histoire » du suicide a été évoquée. D’après lui, de nombreuses personnes qui sont en souffrance comme lui ne passent pas à l’acte. Il déclare par ailleurs : « Il faut se l'laisser pourrir pendant un an avant d'être considéré et être vu ».

Cette réflexion nous amène à considérer plus précisément les causes de recours ou de non-recours à un dispositif organisationnel. Les entretiens réalisés auprès d’agents « concernés » au sein de la Mairie, nous ont permis de dégager différentes causes de non-recours et de recours. Nous reprenons ainsi les résultats de cette enquête.