III-11.2. Les causes de recours ou de non-recours à un dispositif organisationnel

Sept entretiens ont été réalisés auprès d’agents « concernés » : quatre d’entre eux avaient sollicité le dispositif et trois ne l’avaient pas fait121. Parmi les agents qui ont sollicité le dispositif, nous comptions deux femmes et deux hommes. Les agents qui ont sollicité le dispositif de prévention des violences internes l’ont fait pour résoudre un conflit, généralement avec leur responsable hiérarchique. Parfois ils ont clairement exprimé avoir vécu un harcèlement. Le recours au dispositif est déclenché dans la majorité des cas suite à de précédents recours internes qui n’ont pas abouti et donné satisfaction. D’une certaine manière, il prend place dans une logique de multiplication des recours, voire de « sur-recours ». Pour certains, le recours au dispositif les a mis en danger dans leur service, en les éloignant de leurs collègues et en renforçant le conflit avec leur responsable. Le recours pouvait entraîner de la peur pour les agents, en particulier lorsqu’ils avaient pour projet d’aller « jusqu’au bout » et que le conflit n’avait encore jamais été nommé et désigné. Ce qui déclenche le recours semble se jouer dans l’écart entre le degré d’insécurité ressenti dans la situation de conflit et celui qu’implique le recours. Le niveau d’intolérance induit par la situation conflituelle ou de violence abouti au recours au dispositif, qui est évalué comme ayant un moindre coût psychologique pour la personne. Le recours au dispositif a quelques fois été orienté par un syndicat ou une collègue écoutante ; d’autres fois, par la consultation du médecin du travail. Dans les situations que nous avons recontrées, la dénonciation du problème ou du conflit est effectuée et dénoncée aux instances concernées (DRH et direction) suffisamment tôt dans le processus de conflit. Mais, en revanche, c’est sa non prise en compte par ces instances, au moment où le conflit est nommé, qui favorise les « sur-recours », principale plainte paradoxalement de ces mêmes instances.

L’expérience du recours au dispositif n’a généralement pas été positive dans la mesure où elle a parfois mis en danger les agents. Ces derniers ont souligné qu’ils n’avaient pas eu le sentiment d’être acteurs et de maîtriser le processus : « les choses se faisaient sans eux ». Certains avaient le sentiment, que par rapport à la décision qui serait prise les concernant, ils n’auraient pas le choix. Après le déclenchement du recours, cette absence de participation au traitement renforçait le sentiment d’insécurité. De plus, les agents se sont souvent trouvés dans une situation où ils n’obtenaient aucun retour sur l’action des professionnels concernés par le traitement. Ce manque de lien entre l’acteur clef et les professionnels peut entraîner des pratiques de recours qui vont aller « un cran au dessus », soit parfois jusqu’aux élus ou au Maire. Il est arrivé qu’un agent déclenche dix recours, dont huit en interne, dont le dispositif, et finalement deux recours externes, soit au procureur de la république et à la Justice. Par ailleurs, l’action envisagée par les professionnels du second niveau du dispositif était, la plupart du temps, la mutation. Cette réponse ne correspondait pas à l’attente des personnes qui se voyaient ainsi reprocher d’être l’origine du problème. Pour les agents interrogés, le dispositif avait pu procurer un soulagement dans un premier temps, mais l’absence de suivi ou le fait que les professionnels n’aillent pas « jusqu’au bout » de l’action, n’était pas satisfaisant et augmentait les pratiques de recours.

D’autre part, il est important de considérer que ce dispositif donne lieu à deux déclenchements successifs de recours, celui du premier niveau et celui du second. Parfois, les personnes n’allaient au-delà du premier, considérant le risque qu’il prenait à déclencher le second. Le passage entre ces deux niveaux impliquait, en effet, la rédaction par l’agent d’un courrier décrivant par des faits la situation de conflit ou de violence. Il s’agissait de réaliser des témoignages écrits désignant l’origine du conflit et justifiant ce recours. Cette judiciarisation de la procédure suffisait à aboutir au renoncement, à l’abandon, sauf si l’agent avait véritablement le projet d’aller « jusqu’au bout ». Bien que les professionnels de la DRH, membres du second niveau du dispositif, reprochent aux agents leur attitude visant à multiplier les recours, notamment aux syndicats qui venaient considérablement complexifier le traitement, on observait que systématiquement, le recours aux syndicats faisait suite à celui du dispositif. On pouvait donc penser que c’était les limites d’action du dispositif qui favorisaient ces recours parallèles. Enfin, la plupart des agents interrogés, qu’ils aient ou pas sollicité le dispositif, soulignaient qu’il manquait de crédibilité aux yeux des agents qui considéraient que l’institution ne mettrait pas en cause un cadre, quel que soit le recours interne choisi par l’agent.

Au moment des entretiens, nous demandions aux agents qui avaient sollicité le dispositif, d’apprécier l’évolution de leur situation depuis le recours. Pour une personne, la situation avait évolué positivement mais cette amélioration n’était pas liée à l’action du dispositif (mais plutôt au départ de son responsable concerné par le conflit). Un agent était en train d’engager une procédure judiciaire dans la mesure où tous ces précédents recours n’avaient pas abouti. Pour les deux autres, la situation continuait.

Ensuite, nous avons interrogé trois agents qui n’ont pas eu recours au dispositif pour régler leur problème, soit pas méconnaissance de la procédure, soit comme un choix volontaire. Nous parlerons de non-recours au dispositif, ce qui ne signifie pas que les personnes n’ont déclenché aucun recours par ailleurs. Lorsque le non-recours relevait d’un acte volontaire, il résultait de la croyance de l’agent que le dispositif, mais plus largement l’organisation, ne mettrait en cause la hiérarchie, voire ne croirait pas l’agent dans sa mise en accusation. Les agents se représentaient que l’institution protégerait, quoi qu’il arrive, la hiérarchie et que le traitement ne serait jamais réalisé en leur faveur. Remettre en cause les cadres c’était remettre en cause l’insitution qui les avait mis à cette place. Ils expliquaient alors que le non-recours au dispositif était le résultat de la perception d’un manque d’efficacité et de crédibilité, lié à « l’inégalité des chances » dans le traitement entre agent et hiérarchie, mais également d’un problème de confiance. Celui-ci était lié principalement au premier niveau du dispositif et au fait d’aller consulter un collègue qui peut ne pas être neutre.

Concernant l’évolution de leur situation, une des personnes a indiqué une amélioration dans la mesure où la personne à l’origine de la violence avait été mutée dans un autre service à partir du moment où l’institution avait été informée qu’une autre victime avait été violentée par le même auteur. Une autre personne nous a précisé qu’elle vivait, malgré un changement, un autre conflit avec un nouveau responsable. Elle parlait de « récidive » et considérait que le recours au dispositif représentait alors un véritable danger pour elle. Enfin, un agent nous a expliqué que sa situation était encore incertaine, qu’elle était en arrêt, qu’elle espérait ne plus travailler dans le même service que sa collègue avec qui elle était en conflit, et qu’elle était en attente d’une mutation.

Notre partie « Analyse » s’est intéressée, d’un part, à décrire et analyser sept processus d’intervention, de prévention primaire, d’accompagnement à la mise en place d’un dispositif et d’évaluation de dispositifs ; d’autre part, à étudier les logiques de recours et à mettre en évidence les causes de recours et de non-recours à un dispositif. Pour mener cette analyse, nous nous sommes apuuyée sur différentes hypothèses de recherche. Celles-ci proposaient de tester, pour chaque cas d’intervention, une grille d’analyse afin d’apprécier les liens qui s’établissaient entre les séquences d’événements et de mesurer leur impact sur le processus d’intervention. De plus, elles visaient à tester différentes conditions de recours au dispositif et à dégager les conditions d’efficacité d’un dispositif. La partie qui suit mettra en discussion ces diverses hypothèses, mettra en relief les contributions nouvelles de la thèse et ouvrira d’autres perspectives de recherche.

Notes
121.

Les situations et entretiens sont détaillés en annexe 8 : Les causes de recours et de non-recours au dispositif de la Mairie.