Chapitre 12 : Retour sur les hypothèses

IV-12.1. Le processus d’intervention

Nous avions, en effet, proposé des hypothèses de recherche concernant le processus d’intervention, en tant que manière d’impulser une dynamique psychosociale d’intervention en matière de prévention de la santé psychique au travail susceptible d’amorcer une décision de changement de l’organisation. Nous avons, pour cela, proposé un modèle d’intervention axé sur le processus et soutenu la thèse qu’il permet d’impulser une telle dynamique dans la mesure où il agit de manière à modifier le mode d’interaction organisation-salariés, à améliorer la coopération entre acteurs et à favoriser la maturation organisationnelle. Nous avons, par conséquent, choisi de décrire et d’analyser des processus d’intervention en développement dans les organisations, en expliquant les sources de variation et leurs effets sur le processus ainsi que les conditions qui ont soutenues sa progression. De plus, nous faisions l’hypothèse que ce processus évolutif impliquait de réunir différentes conditions : élaborer collectivement et de manière négociée une démarche d’intervention en favorisant des temps de débat, d’appropriation et d’apprentissage ; favoriser un lien continu entre l’intervenant et les acteurs impliqués, et les travailleurs en les informant du cadre et des finalités de l’intervention ; favoriser la confiance autour de l’intervention en bénéficiant du soutien de la direction et de la participation des représentants du personnels et des professionnels de la santé au travail ; définir des objectifs partagés à court et long termes, de manière à répondre aux conditions de la confrontation et de la coopération des acteurs. Nous validons ces hypothèses et souhaitons en compléter et en nuancer certaines. Pour cela, nous reprenons dans les paragraphes qui suivent les conditions particulièrement déterminantes selon nous dans la conduite d’une intervention : l’implication du collectif, la confrontation, la transparence, l’adhésion et la participation. De plus, nous pensons que le lien continu qui doit se construire entre l’intervenant et les acteurs impliqués doit concerner les éléments qui font référence au cadre de l’intervention mais également aux événements saillants qui traversent l’organisation et qui ne sont pas a priori directement liés à l’intervention (grève, suicide ou tentative de suicide comme cela a été le cas lors de nos interventions).

Ensuite, nous faisions l’hypothèse d’une utilité de l’intervention, à partir de l’impact de l’évaluation et la construction de l’action sur la coopération, et de la confrontation sur la maturation de l’organisation. Nous pouvons dire que nous avons répondu à cette hypothèse. Bien qu’une intervention ait toujours des effets directs et indirects difficilement mesurables, nous croyons néanmoins qu’elle agit inévitablement sur ces dimensions, positivement ou négativement d’ailleurs, cela dépendra de la volonté de la direction à s’engager. Nous reviendrons sur ce point plus loin. Plus spécifiquement, nous évoquions l’impact d’un processus d’intervention de niveau primaire à trois niveaux : l’organisation, le collectif et l’individu. N’ayant pas pu évaluer l’effet des interventions instaurées dans les organisations, nous ne pouvons valider cette proposition. Toutefois, notre recherche nous pousse à croire que l’intervention doit aboutir à la modification de l’organisation, propice au développement du soutien social et d’une vigilance collective construite dans la coopération entre les acteurs. Et, le processus d’intervention, quant à lui, aura également des effets, qui intéressent visiblement moins les spécialistes, sur le renforcement des coopérations dans le collectif. Nous confirmons ainsi notre idée que le processus d’intervention doit poursuivre une dynamique de maturation à ces trois niveaux, en soutenant la construction de nouveaux liens de coopération, ou leur renforcement, le questionnement organisationnel et le développement du soutien social et de la santé individuelle.

Par ailleurs, nous avions formulé des hypothèses concernant la conduite d’un processus d’intervention en proposant un modèle. Les différents temps et étapes proposées pour conduire l’intervention constituaient des hypothèses de recherche que nous avons mises à l’épreuve du terrain. Ce modèle comprenait quatre temps. Le premier était la définition de l’intervention propice à la préparation au changement (Brun & al., 2007) et à l’implantation de la démarche (Fielden & Cooper, 2002 ; Jordan & al., 2003 ; Kompier & al., 1998). Le second reposait sur l’évaluation favorable à la connaissance, à la confrontation, à la validation (Harvey & al., 2006) et à la l’acceptation du problème. Déjà, nous n’étions pas d’accord avec la proposition de Brun & al. (2007) qui soulignait que l’acceptation du problème se construit dès le départ de l’intervention et intègre la préparation au changement. Nous y reviendrons plus loin. Le troisième temps concernait la constitution collective de préconisations qui s’efforce de dégager des pistes d’action favorables à la compatibilité entre le travail et la santé psychique, à partir de la mise en œuvre d’une méthodologie que nous avons proposée afin d’alimenter la connaissance dans ce domaine de la construction de l’action particulièrement peu étudié (Brun & al., 2003). Et enfin, le temps de la décision qui consiste à provoquer et encourager l’appropriation par l’organisation des connaissances et actions construites afin qu’advienne le changement. Nous validons ces temps et étapes qui constituent des conditions pour l’intervention.

Enfin, nous avons montré, à partir de l’étude de nos différents cas d’intervention, une manière d’impulser une dynamique psychosociale d’intervention. L’analyse de ces sept cas met également en évidence les obstacles qui se posent à l’intérieur de ce processus d’intervention, qui sont relatifs à l’organisation, à l’intervenant et à leur relation, mais également au cadre pré-défini et aux événements qui vont survenir. Elle propose différentes étapes et conditions à respecter pour accompagner une organisation dans l’intervention et produire une dynamique de maturation. Cette dynamique repose essentiellement sur la manière dont l’intervention va ou ne va pas provoquer de la confrontation et de la coopération entre les acteurs. Notre analyse met en relief comment, lorsque les étapes ne sont pas suffisamment investies, ou que les conditions ne sont pas respectées, elles peuvent nuire au processus de changement et de maturation. Ainsi, nous avons tenté de donner quelques clefs pour intervenir dans un cadre favorable au changement. Nous proposons de mettre l’accent sur les conditions d’intervention que nous savons désormais déterminantes pour l’intervention et le changement.