IV-12.1.1.4. La confrontation

Une autre condition réside dans la confrontation que l’intervention va être capable de produire dans le collectif. Elle n’a lieu que si le collectif est impliqué. Etablir une condition qui garantit la confrontation des interprétations des dysfonctionnements, des attentes et des actions à engager est l’une des clefs pour que l’intervention produise un effet favorable. Mais elle est toujours délicate car les acteurs sont portés naturellement à vouloir l’éviter. Il faut donc les convaincre de son utilité. C’est certainement la condition qui garantira le plus d’effets positifs indirects de l’intervention sur l’organisation et la coopération et qui restera les plus difficiles à mesurer. L’intervention la plus emblématique de l’action de la confrontation sur le collectif est celle menée au sein de la Mairie. Au contraire, celle qui est la plus emblématique de ce que peut produire l’absence de confrontation est celle conduite dans l’établissement culturel. La confrontation demande aux acteurs de la direction de se remettre en cause dans la manière de proposer une organisation du travail qui soit favorable à la santé psychique des salariés. Elle demande aux acteurs syndicaux d’interroger leur manière d’intervenir dans l’intérêt supposé unique des salariés. Ce qui va vraiment faire décoller cette confrontation se trouve dans l’expression et le discours même des salariés que l’évaluation va rechercher, et cela grâce à leur participation.

La littérature que nous avons lue sur la question de l’intervention ne souligne pas l’importance de cette confrontation ou de la mise en débat dans l’organisation, comme si l’intervention et la décision allaient se faire en dehors des acteurs et des enjeux qui les divisent. Cette littérature ne donne pas les clefs pour dépasser la logique d’individualisation des difficultés vécues par les salariés au travail et possible dans la confrontation. Comme si la prévention primaire résidait dans la mise en œuvre technique d’un diagnostic et d’un plan d’action. Peu d’intervenants spécialisés sont d’ailleurs prêts à mettre en confrontation les acteurs. C’est sans doute également de ce point de vue que l’on peut expliquer que les stratégies primaires soient les moins utilisées : parce qu’elles imposent de modifier l’organisation et parce qu’elle impose, avant cela, de la confrontation. Le changement doit émaner de cette confrontation, et il est nécessaire de créer les conditions pour qu’il en dispose efficacement. Parmi la littérature que nous avons lue sur l’intervention122, quasiment aucune ne souligne l’intérêt de la concertation et de la confrontation. Seuls les courants théoriques auxquels nous avons fait référence123 semblent s’y intéresser. Il s’agit notamment de l’ergonomie, de la psychodynamique du travail et de la clinique de l’activité. L’ergonomie, par exemple, considère que l’intervention doit provoquer des questionnements et faire émerger de nouveaux problèmes, et que c’est en les traitant de façon concertée et négociée que l’intervention sera propice à l’amélioration des relations sociales dans l’organisation (Guérin & al., 2001). La clinique de l’activité, quant à elle, met également l’accent sur l’impact de la confrontation.Mais elle évoque plus particulièrement l’intérêt de créer des disputes sur le métier. Ces disputes doivent convoquer les détenteurs de ce métier. Alors que dans l’intervention, ce n’est pas le collectif de travail qui élabore cette dispute, mais les acteurs du groupe de travail et du comité de pilotage. Ce courant conçoit donc le conflit comme vecteur du développement des collectifs de travail et des organisations. Enfin, la psychodynamique du travail pose aussi cette question lorsqu’elle évoque sa vocation à mettre en place des discussions. Le sujet du métier est un objet vivant qui implique des tensions diverses pour développer un sens commun de l’activité. De même, le sujet de la santé psychique au travail et de sa prévention est un objet vivant, voire « brûlant » pour les acteurs. Ainsi, nous concevons que la dispute soit vitale pour que le métier transcende les bouleversements que connaissent les organisations, comme la confrontation l’est pour la prévention de la santé psychique au travail. De telles tensions inhérentes à ces objets impliquent d’être tenace dans les conditions que l’on choisit de poursuivre pour intervenir.

Notes
122.

Plus précisément dans le troisième chapitre de notre partie I.

123.

Dans le second chapitre de cette même partie.