IV-12.1.1.5. La participation du personnel et des acteurs

Une autre condition favorable à l’intervention est selon nous la participation. La participation du personnel à l’identification et la connaissance des sources de souffrance au travail, et la participation d’un échantillon de ce personnel à la réflexion sur cette connaissance et sur les préconisations favorables au changement. En effet, nous concevons difficilement d’identifier des facteurs ou risques émanant des situations de travail et de l’organisation sans interroger le personnel. De plus, le collectif que constitue le groupe de travail doit refléter la diversité des salariés. A VTE, le groupe de travail doit également associer des représentants syndicaux et des représentants de la direction, ce qui peut parfois nuire à la capacité du groupe à entendre ce qui fait défaut en situation réelle de travail. Dans ce groupe, les débats doivent être centrés sur la question du travail, de l’activité et non sur des questions « politiques » qui maintiennent les débats sur les enjeux institutionnels. L’action collective peut par conséquent perdre de sa substance. L’ensemble des interventions s’est fait avec le concours des hommes et des femmes qui travaillent dans les organisations. Aucune ne s’est faite sans leur contribution. Les salariés ont leur mot à dire sur les facteurs qui leur causent des difficultés et sur la manière dont ils parviennent à faire face ou sur les éléments qui ne le permettent plus.

Par ailleurs, nous sommes d’accord pour dire, à l’instar des travaux précédemment présentés (Harvey & al., 2006), que la question de la participation est toujours à interroger. La réponse sera à trouver sans doute dans le degré d’engagement de la direction et non du côté du personnel. Des auteurs (Harvey & al., 2006 ; Parkes & Sparkes, 1998) mettent en évidence, par ailleurs, que les interventions qui reposent sur la participation sont celles qui démontrent le moins d’efficacité. Nous pensons que leurs limites se trouvent dans l’orientation méthodologique qu’elle déploie. Les stratégies de prévention primaire sont censées cibler des causes ou des « agents » pathogènes (Vézina & al., 2006) présents dans l’organisation en vue de les réduire ou de les éliminer. Mais solliciter le personnel à nous faire part de représentations, de perceptions à l’égard des situations de travail nous autorise difficilement à en extraire des risques mesurables et isolés, d’autant plus lorsque la démarche de recueil des données est qualitative, et qu’elle questionne autant les dimensions du travail que des relations professionnelles ou du lien à l’institution. Et sans cette participation, l’identification des risques peut s’avérer incomplète, voire impertinente. L’ambition de la prévention primaire incite à y voir une possibilité de mesurer des facteurs objectivables tandis que l’on parle de vécus et de subjectivité, d’objets complexes et dont les origines sont multiples. La prévention primaire donne l’illusion d’une maîtrise, d’une intervention froide et détachée dans une organisation qui pauserait le temps de l’évaluation comme le temps de la prise d’un cliché. D’ailleurs, c’est souvent l’expression employée par les prestataires lorsqu’ils expliquent la mise en œuvre du diagnostic : il consiste à prendre une photographie de l’organisation à un moment donné de son existence, comme si, le temps d’une trêve, elle allait nous donner à voir l’authenticité de ses usages et des risques qu’elle recouvre. Mais peut-on véritablement identifier des risques en dehors de la participation des travailleurs ? Si elle est en dehors, elle ne questionne pas le réel du travail mais uniquement des discours proposés par des acteurs qui ne le connaissent pas, qui ont seulement l’idée de le connaître.

Concernant la mise à contribution d’un collectif amené à réfléchir sur des préconisations, nous devons donc nous poser la question qui est de savoir jusqu’où aller dans la participation du collectif ? Nous pensons que la limite réside dans la déception que la participation au processus génère. Il est un fait que l’organisation prescrite du travail n’appartient pas aux salariés ou agents. Et, l’intervention les interpelle pour modifier cette organisation. Il s’agit d’un paradoxe qui enferme dans l’impuissance de changer réellement les choses. Dans les interventions, les participants qui sont placés dans l’exercice d’imaginer des pistes d’amélioration sont guidés par l’espoir de changement. Mais véritablement, l’organisation qu’ils « re- prescrivent » en situation de réflexion ne leur appartient pas. Ce conflit est inhérent au travail et peut-être nécessaire. Il faut réfléchir à cette question qui va plus loin que la réussite d’une intervention. Les participants au groupe de travail du journal étaient définitivement lucides sur cette question de leur contribution au changement et exprimaient leurs vécus d’impuissance.

Ainsi, nous confirmons quelques unes de nos hypothèses relatives aux conditions d’intervention, notamment celle de l’implication du collectif, de l’adhésion et du soutien des acteurs, mais également de l’élaboration collective d’un cadre d’intervention et de la mise en confrontation des acteurs. Nous sommes donc d’accord avec Kompier & al. (1998) et Brun & al. (2007) pour dire que le soutien de la direction, l’implication des acteurs et la participation des salariés, en tant que conditions favorables à la préparation au changement, peut soutenir la réussite d’une intervention. En revanche, nous ne pouvons pas affirmer, pour l’ensemble des conditions dégagées, qu’une condition suffit à elle seule à garantir favorablement la conduite de l’intervention. Une condition n’est valable que si elle s’accompagne des autres. Elles fonctionnent dans un ensemble de conditions interdépendantes. Si l’une n’est pas respectée, il est fortement probable qu’elle nuira à l’ensemble et plus largement à l’intervention.