IV-12.3. Les limites dans le fonctionnement et l’efficacité des dispositifs organisationnels

Les deux évaluations que nous avons réalisées concernaient des dispositifs de prévention et de traitement des violences internes au travail. Ils avaient été mis en place dans ces deux entreprises publiques (la collectivité locale et la Mairie) suite à la loi de modernisation sociale sur le harcèlement moral au travail. Ils s’orientent donc vers des agents qui pensent vivre une situation de violence de la part d’un ou plusieurs collègues. Ils sont conçus de manière à traiter collectivement des situations individuelles. L’évaluation a consisté à interroger, par questionnaire ou par entretien, des acteurs impliqués dans et par le dispositif et des personnes concernées par ce problème des violences internes, c’est-à-dire qui ont vécu, ou pensent avoir vécu ce problème. Les questions posées portaient soit sur l’efficacité perçue du dispositif, soit sur les causes du recours ou du non-recours au dispositif, soit encore sur la manière dont a été vécu le processus de traitement et la satisfaction que les personnes en tirent. Nous avons interrogé des personnes qui ont fait appel au dispositif et d’autres qui n’y ont pas eu recours.

Nous avions posé des hypothèses relatives à l’efficacité des dispositifs en montrant qu’il devait répondre à différents critères : la pertinence perçue, l’exhaustivité, l’efficacité du traitement, l’adhésion des acteurs, la visibilité, la lisibilité, l’accessibilité et la vigilance. Nous confirmons que ces critères sont pertinents pour évaluer la qualité d’un dispositif. L’exhaustivité est un critère pertinent bien que l’on aperçoive que l’objet de la prévention, dans ce qu’il contient, évolue dans le temps. En effet, il existe une réappropriation par les acteurs et le personnel de l’objet de la prévention, lui-même réinterprété, élargi ou déplacé à d’autres problématiques. Nous pouvons ajouter un autre critère, qui découle de notre étude du recours et du non-recours puisque nous l’avons vérifié : celui de la crédibilité perçue et donc de la capacité du dispositif à susciter du recours en interne, même en dehors du dispositif. Puis, concernant la vigilance collective, elle reste un critère pertinent dans la mesure où si un collectif réussi à être attentif à ce que l’organisation produit pour les individus et leur santé psychique, c’est que l’action de la prévention atteint son objectif. Néanmoins, il semble que les organisations n’en soient encore à ce stade puisque l’action réside généralement dans un traitement de cas individuels, isolé de l’organisation et du contexte dans lequel le problème s’est développé.

Les évaluations que nous avons menées viennent confirmer la difficulté que connaissent les organisations de penser le rôle d’acteur de l’individu. Elles ont également souligné la difficulté des organisations à rendre la capacité des acteurs de faire de l’individuel une base pour produire du collectif. En effet, les dispositifs instaurés servent essentiellement à des objectifs de prise en charge, bien que le processus d’évaluation ait certainement pu faire progresser les acteurs sur cette réflexion. Les dispositifs fonctionnent dans l’individualisation des problèmes. Cela est dû en partie au fait que nous avons évalué uniquement des dispositifs de prévention des violences internes. Finalement, on peut se demander si les dispositifs ne produisent pas ce qu’ils voulaient au départ éviter.

De plus, ces dispositifs ne prévoyaient pas à l’origine les conditions pour interroger l’organisation. Ce fut l’objet de quelques unes de nos préconisations. Ce n’est que par la réutilisation des actions réalisées dans l’intérêt individuel que l’on peut produire un intérêt pour le collectif et l’organisation. Alors que les acteurs ne réutilisaient pas ces résultats, ces actions d’aide et d’écoute pour les questionner plus largement et partager leurs interprétations.

Nous pensons que si de tels dispositifs peuvent être pertinents pour prévenir les problèmes de violences internes, notamment au premier niveau, ils le sont moins pour les problématiques de souffrances au travail. VTE n’a pas fait évoluer ce dispositif malgré les discours nouveaux concernant les facteurs de dégradation de la santé psychique au travail. Au départ, ils étaient conçus uniquement pour prévenir et traiter les violences internes, puis ils ont ensuite été utilisés pour des problématiques globales de souffrances au travail. Alors que même si on les classe dans la catégorie RPS, leur traitement, prévention et prise en charge sont différents. Les attentes des individus vont également être différentes : dans un cas, l’attente sera orientée vers l’action sur une personne ou un groupe ; dans l’autre elle sera dirigée vers l’organisation du travail. Cette attente ne trouvera souvent pas la même traduction dans l’action envisagée, souvent axée sur l’individu qui porte une requête.

Nous avons également étudié l’efficacité d’un dispositif à partir des recours qu’il est capable de motiver et nous pensons que c’est une manière pertinente de l’interroger, bien qu’elle ne soit pas la seule variable. En revanche, elle est une voie propice pour saisir ce qui peut favoriser l’interaction individu-organisation. Pour cela, nous pensons que ces dispositifs gardent un intérêt pour maintenir ce lien mais il est nécessaire de s’interroger sur leur utilité pour prévenir et traiter les problèmes d’atteinte à la santé psychique au travail. D’ailleurs, ils ont un intérêt pour les cas de sur-recours que nous avons identifiés dans la mesure où ils peuvent constituer un lieu de synthèse. Dans ce cas, le dispositif peut représenter une proposition de plus. Si nous leur reconnaissons certaines qualités pour intervenir sur les questions de violences internes, en revanche, nous leur en trouvons moins pour ce qui est des problématiques de souffrance au travail. Il est nécessaire de penser un autre mode d’intervention pour construire une manière de produire une interaction individu-organisation pour la prévention de la dégradation de la santé psychique au travail.

Après avoir avoir repris nos différentes hypothèses et mis en relation les résultats de notre recherche avec d’autres qui les précédaient et qui ont alimenté notre problématique, nous pouvons à présent tirer les conclusions des contributions que notre recherche a permis d’apporter à la connaissance ainsi qu’à la pratique.