IV-13.1.1.2. Proposition d’une échelle qualitative de mesure du niveau de maturité de l’organisation

Lorsque nous parlons du niveau de maturité des organisations sur la question de la santé psychique au travail nous faisons référence à la manière dont elles se situent sur une échelle définissant son niveau de maturité. Voici l’échelle que nous proposons :

Figure 13 : Échelle qualitative de maturité des organisations sur la question de la santé psychique au travail
Figure 13 : Échelle qualitative de maturité des organisations sur la question de la santé psychique au travail

Cette échelle peut constituer un outil pertinent pour faire le lien entre l’analyse de la demande et la construction du cadre d’intervention. En effet, dans l’analyse de la demande, l’intervenant doit clairement identifier les limites de la capacité d’action (Guérin & al., 2001) et le faire en concertation avec les acteurs. L’utilisation de cet outil a l’avantage d’identifier ces limites avec les acteurs en situant raisonnablement les objectifs de l’intervention compte tenu du niveau de maturité de l’organisation. De plus, le fait d’amener les acteurs à se situer sur l’échelle peut renforcer les processus de maturation et de prise de conscience de l’organisation.

Des auteurs (Booth, 1993 ; Parker & al., 2006 ; Roy & al., 2008 ; Simpson & Gardner, 2001 ; Westrum, 1993) font référence à un outil de diagnostic de la culture santé sécurité au travail (SST), en tant que stratégie de gestion poussant à l’établissement d’une politique globale de prévention. Cet outil peut favoriser une culture d’apprentissage de la prévention, l’élimination des risques professionnels par la détection de variables prédictives susceptibles d’avoir une incidence sur les résultats en SST. Alors que cet outil reste essentiellement centré sur les questions de SST à hauts risques et s’inscrit majoritairement dans les risques pour la santé physique, il est peu adapté à la prévention des RPS et de la santé psychique au travail. En revanche, l’échelle que nous proposons cherche à construire une mesure qui tend vers les processus de construction de la santé psychique au travail et est uniquement axée sur ces aspects. Ses buts sont de susciter une prise de conscience de l’organisation, une définition partagée des objectifs de l’intervention et d’engager un processus sur une voie favorable et constructive. Enfin, nous soulignons également que Hansez & de Keyser (2007) évoquent autrement cette idée de maturation par une modification dans les perceptions des organisations quant aux facteurs bloquants le changement.

Par ailleurs, nous sommes d’accord avec Berthelette & al. (2008) pour dire que l’évaluation, lorsqu’elle est menée en milieu naturel, permet de comprendre « comment les caractéristiques des contextes réels d’implantation peuvent faire varier les effets des interventions » (p. 176). Et comme ces auteurs le suggèrent, nous avons, par l’étude de plusieurs cas, enrichi la connaissance sur les éléments du contexte qui favorisent l’implantation d’intervention, l’atteinte des objectifs, mais également la construction d’une dynamique favorable à la maturation. Il s’avère d’ailleurs que la mesure des résultats est insuffisante pour évaluer la performance ou l’efficacité des milieux professionnels en matière de santé au travail (Booth, 1993 ; Mitchell, 2000 ; O’Brien, 2000 ; Simpson & Gardner, 2001). Nous ne nous sommes pas penchée sur l’évaluation d’interventions mais sur le processus et la stratégie de mise en œuvre visant à modifier l’organisation du travail, qui restent peu documentés et constituent pourtant un objet de recherche pertinent, autant que la mesure de l’efficacité d’une intervention (Goldenhar & al., 2001).

Enfin, des auteurs (Berthelette & al., 2008) notent un problème dans le manque de précision des recherches quant à l’intervention. Nous avons tenté de décrire l’ensemble des processus d’intervention. La recherche du détail dans la mise en œuvre pouvait signifier une source de variation et un effet sur le processus. Elle a pu donner une impression d’abondance dans la lecture des cas d’intervention. Mais rendre compte de la mise en œuvre d’un processus implique de retranscrire toute l’épaisseur des actions qui le structurent.

Nous avons voulu nous intéresser à cette question de la maturation car la revue de la littérature nous a amenée à découvrir des perspectives de recherche pour notre thèse : celle du processus d’intervention et celle de la durabilité, ou pérennité, des effets de l’intervention. Harvey & al. (2006) recommandent d’ailleurs d’inscrire les interventions dans un processus continu car quand on parle du stress ou d’autres problèmes affectant la santé, le problème n’est jamais réglé une bonne fois pour toute. Cette question était abordée sous l’angle des conditions qui peuvent être mises en évidence pour garantir l’efficacité à long terme de l’intervention et des actions mises en place. Cependant, plutôt que de procéder à l’évaluation des effets des interventions, de manière objective, nous avons centré notre analyse sur ce qui appartenait aux acteurs d’établir ces conditions de durabilité. Nous l’avons analysé à partir de la maturation de l’organisation. Et plutôt que d’évaluer l’efficacité d’interventions, centrée sur les résultats, nous avons été attentive aux processus d’émergence d’une décision de changement de l’organisation en lien avec la maturation favorisée par l’intervention.

Un autre aspect de la recherche sur la question de l’intervention a été soulevé dans notre réflexion et l’analyse des cas d’intervention : il concerne la possibilité et la capacité de l’intervenant à tenir en équilibre l’implication du collectif dans le développement de l’intervention, et la contribution de l’expertise.