IV-13.1.2. La construction de l’action et le fragile équilibre collectif/expertise

L’une des contributions de notre recherche aura été de mettre l’accent sur une méthodologie qui permet à l’action de s’élaborer à partir de préconisations construites collectivement, par ailleurs peu présente dans la littérature. En effet, Hansez & de Keyser (2007) soulignent l’écart qui se creuse entre le diagnostic, l’effort scientifique orienté vers l’analyse des causes, la création de méthodes et d’instruments d’évaluation et l’indigence de la réflexion sur les méthodes d’intervention, notamment au niveau primaire. Elles écrivent ainsi : « Tout se passe comme si, du diagnostic à l’intervention, la voie était royale, simple et directe » (p. 189). Nous sommes d’accord avec cette idée, même si nous envisageons que le diagnostic fait partie de l’intervention et que nous considérons plutôt le passage du diagnostic à l’action. Elles poursuivent en considérant que « les instruments d’évaluation du stress sont les bienvenus […], mais [qu’ils] sont loin d’épuiser le problème de l’intervention » (Ibid.). Notre recherche nous a donc amenée à nous interroger sur la manière de construire un plan d’action pertinent et crédible en respectant l’équilibre de l’exigence de l’expertise et de la connaissance du collectif impliqué dans la réflexion. Au fur et à mesure que nous expérimentions les processus d’intervention, nous nous interrogions sur cette question. Elle a depuis fait son chemin. Et nous proposons ainsi l’analyse suivante pour parvenir à garantir cet équilibre et à préserver à la fois la crédibilité du plan d’action, à partir de la contribution de l’expert, et sa pertinence, à partir de celle du collectif.

La contribution de l’expertise doit s’orienter vers le niveau organisationnel. Il faut donc opérer une sorte de « décollement » par rapport aux situations réelles de travail. L’expert doit s’efforcer de donner des pistes, des orientations portant sur le bénéfice de changement organisationnel, en soulevant dans le même temps les problèmes générés par les dysfonctionnements dans l’organisation du travail. Il ne doit pas investir de manière directe des actions relatives à l’institution. C’est comme agir directement sur la reconnaissance. Il faut que l’organisation elle-même parvienne à construire, de manière détournée, des événements, des éléments pour re-créer l’institution. Nous croyons que, dans l’intervention, il y a des éléments difficilement atteignables de manière directe par une action ciblée. C’est le cas notamment des problématiques identifiées par l’évaluation de manque de reconnaissance ou de lien symbolique à l’institution. Dans ces cas, même si on identifie une cause qui a du sens pour les personnes mais qui, du simple fait de la nommer peut déstabiliser en profondeur un système organisationnel et entraîner la production de fonctionnements et d’attitudes « faussées », il est nécessaire de ne pas orienter directement l’action vers ce qui pourrait la restaurer. Il est sans doute plus pertinent de ne pas agir directement par exemple sur le problème de la rétribution de type estime (Siegrist, 1996), mais plutôt indirectement, en empruntant d’autres chemins auxquels les acteurs n’auraient pas pensé spontanément : ceux du métier et du sens qu’il a pour les professionnels engagés dans l’activité. Par conséquent, nous questionnons le modèle « Efforts-Récompenses » de Siegrit (1996), en particulier le facteur de la reconnaissance par l’estime, qui n’est sans doute pas une voie suffisante pour orienter de manière pertinente l’action en matière de prévention.

En revanche, dans la construction de l’action, le collectif ne peut pas exiger d’imposer des changements au niveau de l’institution. Il le peut le temps de l’évaluation. Sa contribution à lui, groupe de travail, doit « coller » par contre aux situations réelles de travail ; elle doit se situer dans les enjeux des situations de travail dans l’intérêt du collectif de travail. Le plan d’action trouve sa pertinence car on est là dans le réel du travail.

Un troisième point que nous abordons dans ce chapitre sur les contributions de notre recherche s’intéresse à la problématique du recours aux dispositifs organisationnels. Nous avons tenté de mettre en relief une logique spécifique interne à l’organisation.