IV-13.1.3. Découverte d’une logique de recours aux dispositifs organisationnels

Nous considérons le recours comme une forme de régulation, dépendant d’une volonté individuelle et recherchant la contribution de l’organisation à la résolution d’un problème vécu par l’individu, dans lequel l’organisation peut avoir une responsabilité. Notre recherche nous amène à considérer qu’il est dommage que la littérature restreigne le concept de non-recours au domaine d’aides publiques (Warin & al., 2002). Sa définition ne prend pas en compte d’autres domaines, qu’ils soient internes ou externes à l’organisation, alors que nous pensons qu’il existe une correspondance entre les causes du non-recours aux aides publiques et organisationnelles. La méfiance à l’égard des aides proposées, le manque d’information, le fait d’avoir fait par le passé de mauvaises expériences de leur utilisation, le manque d’adhésion à l’offre, le manque de crédibilité, de confiance que les individus accordent à ces dispositifs publics (Ibid.), nous les retrouvons comme des manières formulées par les personnes pour argumenter leur non-recours. Nous considérons ainsi le non-recours comme le fait de ne pas entreprendre de démarches censées pourvoir aider une personne qui peut légitimement en bénéficier, qu’il s’agisse d’une aide publique, organisationnelle, sociale ou médicale et thérapeutique. Le non-recours s’inscrit dans une perspective réfléchie et élaborée par la personne, en concertation parfois avec d’autres, et qui est déduite à partir d’un calcul entre ce que peut « rapporter » la stratégie de recours (aux niveaux financier, de la réparation d’une injustice, du changement d’une situation professionnelle, d’une probable guérison ou d’une reprise en main d’une situation personnelle et affective), le risque auquel il peut conduire et la situation à laquelle conduira un non-recours. Pour nous, recours et non-recours intègrent le même continuum ; le non-recours est l’expression d’un renoncement. De plus, de la même manière que le non-recours aux aides publiques peut provenir de causes individuelles et institutionnelles (Warin & al., 2002), le non-recours aux dispositifs organisationnels résulte également de causes individuelles, organisationnelles et structurelles au dispositif.

Ensuite, les marges de manœuvre sont essentielles à l’actualisation d’une démarche de recours (Fieulaine & al., 2008) et la perception par l’individu de l’absence de marges de manœuvre favorisera son renoncement à recourir au dispositif organisationnel et à s’orienter vers un ou plusieurs recours externes. De plus, nous pensons que lorsque l’organisation propose un dispositif mais qu’elle ne laisse pas suffisamment d’autonomie pour que l’individu l’investisse et manœuvre son recours d’une manière qu’il pense lui correspondre, cela favorisera la multiplication des recours internes et d’une certaine manière une attitude de « sur-recours ». L’autonomie laissée est un moyen qui permet à l’individu de signifier sa situation et d’établir du lien entre sa situation et les réponses envisageables qui correspondent à son attente et préoccupation. Si aucune autonomie n’est laissée, elle renforcera le sentiment d’insécurité et le renoncement, et de surcroît elle engendrera une passivité de l’individu dans le traitement.

On peut se demander à quel moment du processus, l’individu envisage-il le recours externe et l’actualise. De même, comment expliquer que le niveau atteint d’intolérance ne suffit pas à déclencher le recours ? Nous proposons de revenir, à l’aide du schéma qui suit sur les différentes questions que se pose une personne en amont du déclenchement du recours.

Figure 14 : Les dix questions que se pose le sujet susceptible de déclencher un recours au dispositif
Figure 14 : Les dix questions que se pose le sujet susceptible de déclencher un recours au dispositif

La réponse à ces questions déterminera l’orientation du recours (externe/interne) et son déclenchement ou aboutira à un non-recours. En effet, le recours prend place dans une trajectoire que nous nous proposons d’exposer par ce schéma. La trajectoire de recours au dispositif prend en compte la nature du problème, les orientations possibles, le déclenchement du recours à l’aide des réponses aux questions qui vont marquer l’intention, la mise en œuvre du recours et les suites attendues :

Figure 15 : Schéma de la trajectoire de recours au dispositif
Figure 15 : Schéma de la trajectoire de recours au dispositif

D’une certaine manière, l’étude du recours au dispositif nous incite à penser que la manière dont il est structuré suppose que l’individu déclenche un double recours, au niveau 1 puis au niveau 2. Il est donc d’autant plus probable que les procédures favorisent son renoncement, l’abandon de la démarche, le non-recours au dispositif et le recours externe.

Enfin, nous croyons que le recours externe est d’autant plus présent que la menace perçue en cas de recours interne est explicite. De plus, il est nécessaire de s’interroger sur la situation professionnelle de personnes hautement qualifiées pour lesquelles le recours interne symbolise le risque d’une discréditation, d’une rétrogradation ou d’une placardisation. Alors que pour les personnes peu qualifiées, le risque sera associé à la situation d’emploi et au risque de le perdre, par le licenciement notamment. Pour cela, il est intéressant d’interroger un autre type de recours externe, dont la création est relativement récente : celui des consultations « souffrance et travail » (Sarnin, 2009). Il s’agit d’un dispositif implanté dans plusieurs départements, spécialisé dans la prise en charge de la souffrance au travail. L’objectif visé est de permettre de soutenir la personne dans sa démarche, à partir de conseils et d’accompagnement, en commençant par l’aider à clarifier sa situation.

Après avoir identifié les divers apports de notre thèse, au niveau de la problématique de la maturation et du processus d’intervention, de celle la construction de l’action pour le changement et enfin celle de la logique qui sous-tend le recours ou le non-recours à un dispositif organisationnel, nous pouvons également souligner les points qu’il serait pertinent et utile d’améliorer.