IV-13.2. Les points à améliorer pour la recherche

Nous percevons plusieurs limites au travail de recherche que nous avons fourni et nous proposons d’en justifier les raisons et de dresser de nouvelles propositions permettant de les corriger. Ces limites sont inhérentes à la recherche et sont liées, pour certaines, au fait que nous ne pouvions pas être en autonomie totale en tant que chercheure. La première limite est celle que nous avons sentie très tôt dans notre recherche : celle de l’impossibilité d’évaluer les effets des interventions que nous avons menées et d’accompagner l’organisation dans le temps de la décision et de l’appropriation. D’une part, l’évaluation post-intervention pouvait permettre de saisir plus objectivement les effets du processus d’intervention sur la maturation de l’organisation et plus directement sur la santé psychique des travailleurs. En effet, le cadre d’intervention amené par VTE puis négocié avec les acteurs ne donne pas de place à l’évaluation post-intervention. De plus, les démarches conduites de prévention primaire ne donnent pas lieu à un accompagnement des actions par VTE. Nous avons tenté de corriger cette faiblesse en rencontrant les acteurs impliqués dans le processus. Ainsi, nous pensons qu’il est nécessaire de proposer, dans le cadre d’intervention, la conduite d’une évaluation post-intervention pour en mesurer ses effets. D’autre part, la convention prenant fin à la restitution des préconisations, nous ne pouvions participer au temps de la décision. Par ailleurs, nous pensons que si la recherche de confrontation des acteurs est propice à la maturation de l’organisation, elle possède une contre-partie négative pour la poursuite de l’action par VTE. L’organisation préférera sans doute poursuivre sans l’organisme qui a cherché à établir de telles conditions qui représentent toujours un danger pour la direction.

De plus, les interventions réalisées étaient rattachées à une activité commerciale et cela a pesé sur la recherche. Notre liberté était diminuée ainsi que les espaces de négociation. On peut donc légitimement se demander ce que donnerait l’étude du processus d’intervention en dehors de ce rapport marchand, établi strictement comme une activité de recherche. Sans doute, la liberté accordée dans l’intervention aurait été plus importante. Mais on peut imaginer également qu’elle aurait donné un impact moins important en termes de décision et d’engagement. En effet, il semble que la pression pour démontrer une utilité immédiate des résultats de l’évaluation est supérieure lorsqu’elle est rattachée à la signature d’un contrat attribuant le financement, que lorsqu’elle est faite dans le cadre de l’obtention de fonds de recherche (Denis & al., 2009).

Une autre limite réside dans le fait que les interventions ont principalement concerné des entreprises issues du secteur public. On peut donc difficilement émettre des conclusions généralisables à l’ensemble des milieux professionnels. Mais il est un fait que ce sont ces entreprises publiques, ou les grandes entreprises privées qui font appel à l’expertise d’intervenants extérieurs pour conduire une intervention de niveau primaire. Les petites et moyennes entreprises (PME) sont sous-représentées alors qu’elles restent majoritaires sur le territoire. On peut s’interroger sur l’impact des spécificités de ces entreprises sur le processus d’intervention. Nous avons tendance à penser qu’elle donnerait davantage lieu à des prises de décision, mais cela mérite d’être vérifié de manière plus objective. En effet, cette sous-représentation des interventions en milieux privés et restreints demande à réaliser d’autres recherches pour connaître ce qui freine le déclenchement d’intervention ainsi que les éléments favorables à la conduite d’un processus décisionnel.

Du côté de la mesure de l’efficacité du dispositif, nous n’avons principalement pu recueillir que des données issues des perceptions des acteurs institutionnels, organisationnels et des agents concernés qui ont ou pas eu recours au dispositif. Ce problème peut mettre en doute la mesure objective de cette efficacité. Celle-ci a porté sur la lecture critique de bilans d’activité du dispositif et la passation d’outils quantitatifs et qualitatifs capables de recueillir des perceptions et des degrés d’adhésion. De plus, on peut s’interroger sur le caractère peu orthodoxe de faire évaluer un dispositif par l’organisme qui a conseillé au départ les actions. D’une part, nous n’avons pas pris part à l’élaboration de ces conseils au départ puisque notre recherche n’avait pas débuté. D’autre part, nous nous sommes efforcée de garantir une évaluation objective, qui venait d’ailleurs parfois remettre en question les premiers conseils de VTE. Ensuite, on peut critiquer la faible quantité de personnes interrogées sur le recours et le non-recours au dispositif. Nous nous sommes néanmoins attachée à identifier les logiques de recours chez les personnes en difficulté au cours des précédentes interventions de niveau primaire (terrains C et D). De plus, les interroger sur un ou plusieurs recours passés et non en train de se produire nous amène à mesurer un degré de satisfaction ou d’insatisfaction par rapport à l’issue trouvée ou pas au problème. Mais l’avantage est de voir finalement comment la situation a évolué, positivement ou négativement, et comment la personne l’explique.

Enfin, nous regrettons que les interventions menées n’aient pas suffisamment permis d’obtenir et de discuter des régulations, questions centrales de notre partie théorique, non que nous l’avions mise de côté le temps de l’action, mais parce que manifestement, ce problème pose la question de l’absence ou d’un manque de correspondance entre la problématique des processus de construction de la santé psychique au travail et la problématique de l’intervention de niveau primaire en prévention, basée sur l’identification de risques et la recherche de moyens pour les maîtriser. Ainsi, nous proposons d’ouvrir notre discussion sur cette question d’une correspondance possible. Ce sera l’objet d’une des interrogations nouvelles que projette notre thèse.