IV-14.2. Entre prévention et construction de la santé au travail : des nuances oubliées

IV-14.2.1. La part oubliée de la santé au travail

Malgré les apports des connaissances théoriques, la question de la construction de la santé au travail a été suplantée par celle de la précarisation du lien à l’emploi. Des luttes sociales ont permis la conquête de droits sociaux pour les salariés tout au long de l’histoire. La parution d’ouvrages venant dénoncer des situations perverses dans le cadre du travail a soulevé des questionnements puis suscité des réactions politiques. Le surgissement répété de suicides pour lesquels un lien était supposé avec le travail a réveillé les consciences. Enfin, l’épidémiologie a fortement participer à rendre visible socialement les liens santé-travail. Mais, en se centrant sur les problèmes d’altération de la santé par le travail, elle n’a pas véritablement interrogée la contribution du travail pour la santé (Lhuilier & Litim, 2009). Ainsi, le rôle que pouvait tenir le travail dans le développement du sujet et la construction de la santé a été laissé dans l’ombre. Par conséquent, même si les cadres institutionnels évoluent vers une plus grande prise en compte de cette problématique des liens santé-travail, avec l’apparition d’une nouvelle catégorie de risque, cette évolution témoigne de « la persistance de la réduction du lien santé-travail à celui de l’altération » (Ibid., 2009, p. 88). Debout & al. (2009) déclarent d’ailleurs que si « la santé au travail fait l’objet d’un regain d’intérêt depuis une dizaine d’années » (p. 7), « le lien, pourtant consubstantiel, entre santé et travail constitue pour l’essentiel un point aveugle des organisations politiques comme des nouveaux mouvements sociaux ». Ils ajoutent qu’ « au fond, tout se passe comme si, politiquement, le travail ne faisait plus sens » (p. 12).

La prévention primaire vise à réduire ou éliminer des risques. Cela impose de les connaître. La littérature donne pour cela quelques pistes mais il nécessaire d’évaluer leur mise en œuvre spécifique dans l’organisation en question. Mais la prévention primaire ne vise pas la construction de la santé au travail en cela que le changement va se définir par rapport à ces risques et non par rapport à ce qui soutient les processus de construction de la santé au travail. L’identification des risques ne doit pas faire oublier celle des ressources développées pour réguler au mieux les liens santé-travail. Et, la mise en place de changements visant à réduire ces risques ne doit pas menacer ces processus de régulation parfois instaurés depuis longtemps dans le collectif de travail. L’efficacité revendiquée de la prévention primaire s’avérerait alors contre-productive. Nous avons mis l’accent, dans notre partie théorique, sur la mise en visibilité des liens santé-travail mais celle-ci n’est dirigée que vers les processus de dégradation. Une ombre subsiste toujours sur la question de la construction.

Enfin, la préférence qui est donnée à la prévention ou à la construction, voire à la promotion semble déterminée par des usages différenciés. En effet, le manque de correspondance entre les questions de prévention et de construction de la santé au travail semble provenir d’usages différenciés entre les chercheurs et les professionnels. Les premiers s’intéressent davantage à ce qui soutient la construction de la santé psychique, les seconds construisent des modes d’intervention axés sur la prévention des risques de dégradation. Il semble qu’il existe deux points de vue sur la santé psychique au travail et que ce point de vue détermine considérablement l’usage construit dans le rapport entre l’objet et l’étude, ou entre l’objet et l’action. Ainsi, nous pouvons compléter l’interrogation qui est donnée à l’insuffisance des travaux réalisés sur l’évaluation des interventions.