Annexe 4.3.5.1.2. Nathalie : une femme, rédactrice

Je suis journaliste à la locale. Je suis à la locale depuis une dizaine d’années, et avant j’étais au SR. SR de nuit. Et je m’occupais des faits divers.

Et aujourd’hui ?

Justice. J’écris justice faits divers.

Ça vous plaît ?

Oui. Ça fait un petit moment maintenant y a des moments je me dis je pourrais pas faire ça tout le temps, mais d’un autre côté y a rien d’autre.

Ici ?

Oui oui ici. Ici mais y a pas d’autres boulot qui m’intéressent. Donc j’aimerais pas revenir au SR, j’aimerais surtout pas aller en agence. Donc voilà. Surtout pas devenir chef. Donc voilà quoi.

Vous avez eu l’expérience de l’agence ?

A l’agence de ville, mais c’est pas vraiment un agence. On est quand même proche du site. En plus j’étais à mi-temps à l’époque. Je faisais mi-temps SR nuit et Mi-temps locale. (…).

Pouvez-vous me parlez de votre travail ?

Alors au niveau du travail proprement dit, bon ben, moi je l’aime ce métier. J’aime ce métier. On peut pas dire que je m’en sois lassé. Mais ce qui me plaît c’est le terrain. Aller rencontrer des gens ou assister à des procès. Au niveau des collègues, tout va bien ? ça se passe bien. Y a pas de tensions entre nous, en tout cas dans mon service. On s’entend bien. Je dirai que ça supporter le reste.

Le reste ?

C’est les chefs. Donc c’est là-dessus. Si on peut pas parler des problèmes qu’on rencontre aujourd’hui par rapport à ce qu’on vivait avant. Bon alors les obligations qu’on a, qu’on n’avait pas ou des longueurs, bon ça on s’y est fait, je trouve que ça c’était judicieux donc bon ben. Le carcan, c’est un carcan. Ah oui ben là y a le problème. Mais le problème il vient tout du haut c’est-à-dire que. Qu’on nous impose des longueurs c’est une chose, mais que on nous impose une façon de rédiger un angle alors qu’eux ils y connaissent rien, ils sont pas sur le terrain. Et ça ça devient catastrophique. Parce qu’ils nous font partir sur des trucs, surdimensionner des sujets qui ne le valent pas, alors que nous on connait le terrain, on sait exactement. On sait quand on revient, on sait pas quand on part ce qu’on va trouver. Mais eux veulent avant qu’on soit revenus, qu’ils aient rempli leurs petites cases. Ils cherchent à imposer alors qu’ils n’y connaissent rien. Ils ne peuvent pas savoir ce qu’on va trouver parce que de toute façon ils y sont pas. Et après, voilà. Ou alors ils nous font faire des sujets complètement débiles, qui ne, qui n’ont aucune raison d’être. Du coup c’est des sujets qui sont bidonnés, complètement, parce qu’on n’a pas trouvé sur place des choses intéressantes à ramenées.

Il faut les rendre intéressantes ?

Oui mais si on n’a pas. Si on n’a pas la matière, on n’a pas la matière. Et il faut faire des remplissages parfois, alors que l’on pourrait tout à fait proposer d’autres sujets qui sont bien plus, bien plus intéressants. Alors soit disant pour le lecteur, alors que le lecteur ils savent pas qui sait. Donc, voilà quoi. Je crois qu’on peut plus, on n’arrive plus à faire notre métier, honnêtement. Et tout ça à cause de, à cause d’une hiérarchie qui impose sa loi et ses diktats.

Ça vous pose un problème éthique ?

Parfois oui. Parce que parfois j’ai honte d’une dimension qui a été donnée à la une, à un sujet qui ne valait rien. Un sentiment de honte oui quelque part la honte de voir des sujets complètement surdimensionnés, en me disant mais ça ne valait rien. Et sous prétexte qu’ils avaient eu une idée de sujets euh. Parce qu’ils sont quelque part payés pour avoir des idées, mais le problème c’est que comme ils sont pas sur le terrain, les idées ils les ont pas.

J’avais dans l’idée qu’un chef info son travail c’était organiser répartir les tâches

Si parce qu’ils sont aussi là pour. Non parce que répartir les tâches oui, mais aussi pour remplir le journal, ce qui ce conçoit mais. Et puis le gros problème c’est que, ils sont trop trois la plupart du temps, ils se bagnoudent dans les couloirs et, voilà quoi. Et en plus c’est ordre contrordre. Y en a un par exemple le mardi qui va arriver, qui va vous dire ben fait moi tel sujet. Trois jours après c’est plus lui, on rend le sujet et celui qui n’est pas au courant, il va dire, ah bon mais fallait pas le faire comme ça. Il n’y a aucune cohérence, aucune communication, entre. On a l’impression qu’ils sont incapables de parler ensemble. Donc du coup ben nous on ramasse les pressions de tous les côtés. La façon dont ils se gèrent, c’est pas mon problème mais mon problème c’est les répercussions. Parfois on va être trois, de l’autre côté, et euh ils sont trois à donner des ordres. Eux aussi ils doivent avoir une pression. Bien sûr eux aussi ils ont une pression, qui vient d’en-dessus. Sauf que, bon c’est des bons soldats, et en bons soldats ils répercutent la pression qu’ils ont, ils nous la répercutent sur nous. Mais c’est pas forcément judicieux parce que nous. Alors ils ont l’impression qu’on est des feignasses, et qu’on traîne les pieds, et ça ça ressort hein. (Sonnerie de portable).

Avant le journaliste était plus libre pour choisir son angle ?

Oui, ben totalement libre. C’est-à-dire quelque part avant. Alors je dis pas que c’était pas, enfin pour nous c’était mieux, je dis pas que c’était. Mais d’abord on était plus nombreux. On avait plus de temps pour creuser les sujets. On n’avait pas de longueurs imposées, donc que quelque part, on pouvait, on pouvait se lâcher. Et puis surtout nous le gros problème aujourd’hui, c’est que pour coller à leur fameuse charte débile qu’on n’a toujours pas comprise. Une charte mais enfin, leur charte. C’est pas leur charte en plus, c’est leur petit cadre, leur, cinq col, trois col. Donc il faut rentrer ou dans cette colonne ou dans celle-ci ou dans celle-ci, ne pas s’en écarter. Le papier de tête, il faut qu’il fasse tant de signes avec une photo, trois col. Après y a un papier de deux mille signes. Après y en a un autre de tant. Si par exemple le sujet mérite vraiment mais qu’il n’y a pas possibilité de l’illustrer, ils vont aller chercher n’importe qu’elle photo. Par exemple, voilà, pour pouvoir coller à la forme, parce que maintenant ce qui prévaut c’est la forme, c’est pas le fond. Avant, moi j’ai travaillé longtemps au SR, on n’avait Alors on le disait en rigolant, on disait ben voilà le fumier qui arrive, c’est-à-dire qu’on avait un fumier de copies de voilà, par à peu près, qu’on classait par page et tout. Et puis on créait la page en fonction des articles qu’on avait.

C’était logique

Oui mais, c’est la logique, seulement la logique maintenant elle n’est plus du tout là. Donc c’est une révolution complète parce que. Voilà c’est-à-dire qu’on dit en arrivant bon, aujourd’hui, j’ai pas de place. Ton papier il vaut deux mille cinq, ben moi je peux te donner que huit cents. Donc là bon ben. C’est un peu décourageant parce que parfois on peut arriver avec un sujet qui est intéressant mais comme ils ont plus que la place pour huit cents signes, et ben, on fait huit cents signes. Et c’est bien dommage.

Tout à l’heure vous avez dit on s’y est fait

Non je parlais des longueurs. Parce que avant on arrivait à. Non c’est pas à ça qu’on s’est sait. C’est aux longueurs des papiers. C’est-à-dire qu’avant je pouvais faire quatre mille signes, maintenant je sais que je dois en faire deux mille cinq cents. A la limite je peux faire un encadré à côté. Donc ça on s’y est fait. Et puis c’est pas plus mal parce que les articles très longs on sait qu’ils sont pas lus. Donc ça c’est bon. Ça c’est une bonne chose. Mais après faut pas que ce soit un carcan. Et que sous prétexte on doit rentrer dans cette case-là, et que la case à côté est remplie, on nous oblige à réduire une information ou la surdimensionner parce qu’il faut rentrer dans cette case qu’il reste. Vous voyez ce que je veux dire.

Tout à fait

Voilà, donc c’est ça le problème. Ça c’est le problème essentiel (…). Ce surdimensionnement qu’on nous impose (…).

Aujourd’hui, ce carcan-là, il est pas négocié

Et nan il n’est pas négociable. Non.

Avez-vous des espaces de négociation ?

Non. Et puis surtout y a pas. L’affrontement qu’on voit régulièrement, c’est qu’y a pas de discussion possible. Ça dépend avec qui, mais en règle générale, ils imposent leurs, leurs logiques. C’est un peu imposé, c’est pas concerté. Alors que bon, on est dans un métier où il y a énormément besoin de communication, de concertation, de débat. Moi je. En plus bon ben moi quand j’arrive d’un sujet, j’ai la tête à mon truc, j’ai pas envie de discuter pendant trois heures de l’angle, ou. Moi je l’ai mon angle. Donc si ils sont pas contents ben tant pis. Le papier ils le prennent. S’ils le veulent pas et ben. C’est pour ça que moi je, là là après je suis plus souple du tout.

Si le journaliste n’accepte pas ce qu’on lui impose, il peut prendre cette liberté d’écrire ce qu’il veut ?Est-ce qu’il y en a qui sont un peu résistants j’allais dire, par rapport à cette logique

Oui oui. Y en a qui sont plus résistants que d’autres (…). Mais bon d’un autre côté. Ça passe pas. C’est ce qui passe le moins parce que. Je pense que la hiérarchie faut la respecter. Que quelque part, et ben, c’est pas le cas. Mais d’un autre côté c’est des postes aussi qui ont été offerts à des journalistes, confirmés, qui à mon avis eux auraient été bien, mais qui n’ont pas voulu de ce poste. Parce que ce n’est pas des postes qui sont très intéressants. Les postes de chefs d’info c’est pas des postes très intéressant. Y a pas de terrains, y a pas d’écriture. C’est pas des postes. Donc ils essaient d’imposer des trucs mais en même temps. Ça nous fait, ça nous fait parfois sourire mais ça nous énerve beaucoup surtout (…). Parce qu’une hiérarchie pour qu’elle soit comprise il faut qu’elle soit respectée. Sinon on ne peut pas avancer. Je pense qu’un journaliste de toute façon ça ne se dirige pas, ça s’anime. Et c’est là on ils ont faux. Parce que c’est pas en tapant sur les doigts que ça peut faire avancer (…). Mais je vois pas comment ça pourrait changer. En plus on a vraiment l’impression. Moi y a des moments je me demande parce que. Par exemple y e a un qui est arrivé. On l’attendait à boulet rouge. Parce qu’on le connaissait d’avant.

Un directeur ?

Un des chefs d’info. Le premier chef d’info qui est arrivé ici. On l’attendait à boulet rouge. On se disait oh non d’un chien, celui-là, on l’attend au tournant, bon. Bon, ça s’est pas très bien passé au départ, mais enfin, pas trop mal. Y en a un second qui est arrivé. Alors là. Il a tout de suite joué les méchants. Et l’autre a, du coup, joué les plus gentils. Après y en a une troisième qui est arrivée. Et donc l’autre est redevenu plus gentil. Mais, non mais. On a l’impression des flics. On a l’impression de, comme si ils avaient été coachés. On le dit souvent, devant les filles, on voit les flics ; y en a un qui joue le gentil, l’autre qui joue le méchant. Et ça permet comme ça de. Mais y a des moments où je me pose la question. Je me dit est-ce qu’ils n’ont pas été coachés de façon à ce que, quoiqu’il arrive, y en a un qui joue le tampon et puis l’autre qui frappe. Et puis bon, après va y en avoir un autre qui va débouler. Donc voilà. Ben c’est lui qui fera le méchant. Ça permettra à l’autre. Ou alors peut-être qu’ils ont un jeu de rôle. Et ben tiens, un moi c’est toi, un mois c’est moi. Enfin. On a vraiment cette impression. Alors en plus, y en a un qui est là, pour gérer le quotidien. Le journal du lendemain si vous voulez. Et puis y en a un qui est sur les grands projets, les machins je sais pas trop. Et le troisième, qui est là pour programmer les grands sujets, mais pour la semaine, voilà. Alors parfois, on les a. Y en a un qui arrive, puis deux, puis trois. Et c’est ingérable. Parce que y en a un qui vient : bon tu pourras me faire ça, tiens tu pourras me faire ça, tiens tu me feras ça. Moi je ne suis à l’aise que quand je suis au tribunal, loin d’ici. Et toujours, avec ce sentiment de. D’être ou une feignasse, ou une diva. Parce que ça c’est des trucs qui reviennent souvent. Là je vous parle des localiers. De ceux qui écrivent, pour les pages départementales. Et, qu’est-ce que je voulais dire ? Ah oui. Et en fait, les postes qu’on a nous, c’est pour ça qu’on est par contre les plus privilégiés. Ça par contre. Je veux dire, par rapport aux agences, et par rapport aux SR, on est vraiment privilégié.

Les rédacteurs

Les rédacteurs départementaux. Parce qu’en agence ils ont un boulot phénoménal. Et ils sont pas nombreux. Et ils ont tout à gérer. Les pages. Tout. C’est un enfer en agence. Je pense qu’ils vivent vraiment un calvaire. Alors que nous, il faut reconnaître, on arrive le matin, on a des papiers à faire, on n’a pas à s’occuper des pages, on n’a pas à s’occuper des photos même, puisqu’on a des reporters. Donc que. Je veux dire moi je me plains si vous voulez de, de cette hiérarchie, parce que nous elle est pesante. Mais à côté des SR et des agences, on est privilégié.

C’est par rapport à l’activité, vous avez un plus grand confort dans

Un confort dans le travail et dans les tâches qu’on a à faire. Nous on a qu’une chose à faire, c’est aller sur le terrain et écrire. Alors que le SR. Le SR a un confort de vie et d’horaires, qui sont beaucoup plus fixes. C’est le seul avantage du SR (…). Je ne sais pas si vous avez rencontré des gens d’agence mais c’est.

Oui. Nous avons rencontré quelques personnes. Ce que j’en ai compris, en agence, il y a une très importante charge de travail

Oui oui

Leur effectif réduit. Mais par contre, de ce que j’ai pu entendre, une plus forte autonomie

Oui. Parce qu’ils ressentent moins la hiérarchie. Ils sont un peu plus libres (…). Donc quelque part, on est sans doute les moins à plaindre. Mais d’un autre côté.

C’est pour cela divas ?

Voilà. On est un peu les divas. Ceux qui font que des trucs intéressant. Alors que les autres font de la merde. Plus valorisé. On est plus. Disons que notre métier, notre métier est plus valorisant. Mais on n’est pas pour autant plus valorisés. Par les chefs. Ils estiment qu’on en fait pas, qu’on en fait jamais assez.

C’est pour cela feignasse ?

Voilà. Feignasse ou diva (rire). Feignasse et divas. C’est le fait d’être perçu comme feignasse par les chefs d’infos, et comme une diva par les chefs d’infos aussi. Je pense qu’aux agences comme aux SR ils nous envient. Parce que là il n’y a pas beaucoup de turn over. Parce que ceux qui arrivent là, ils ont pas envie de repartir ailleurs. Ils ont pas envie de partir en agence ou aux SR. Donc les drames c’est quand il y a quelqu’un qu’on doit donc, comme par exemple. Je pense. Y a une personne qui était à la culture. Et quand. Et qu’on a expulsé aux SR. Et ça, bon si vous voulez, c’est des choses, ça vous casse quelqu’un. Pourquoi moi ? Pourquoi pas ? bon. Mais il fallait bien, sortir quelqu’un, de la locale pour le mettre aux SR. Comme là, il va y avoir. Donc nous on est un petit peu aussi sur la sellette parce que. C’est très angoissant parce que là on sait que dans les mois à venir, dans les semaines à venir et ça aussi ça traîne énormément, et ben il va y avoir quelqu’un d’autre de la locale qui va être, ou muté en agence, ou muté aux SR. Chacun se regarde en se disant qui ça va être.

Vous vous sentez menacée vous ?

Ben pourquoi pas. Qui me dit que ce sera pas moi. Donc là c’est un gros point. Et en plus, ils traînent énormément, ils prennent leur temps. Alors que, si ça avait été géré. Ça alimente l’inquiétude. On sait pas qui. Bon par exemple, il va y avoir aussi quelqu’un qui va partir de l’agence de la ville. C’est qui ? Pour où ? Donc chacun se regarde en se disant est-ce que ça va être moi, est-ce que ça va être moi ? Et ça on l’a vu, on l’a vu y a quelques mois quand il a donc fallu recentraliser le SR. Ça a été des drames. Ça a été des drames, humains. Parce qua y a plusieurs qui se sont retrouvées. Y avait eu des appels d’offre, personne n’y avait répondu. Et ben voilà. Et puis y avait d’autres personnes. Y en avait qui étaient en agence qui se sont retrouvés à faire du SR. Quelqu’un de la culture qu’on a mis. Et ça c’est un drame parce que en plus, il aurait fallu à un moment donné le faire, si vous voulez, il aurait fallu finalement faire la révolution pour, tant qu’à faire tout de suite plutôt que de traîner, d’attendre, de. Du coup les gens ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés. Et ça c’est dramatique. C’est dramatique. Et puis voilà. Donc ça crée d’énormes tensions. Parce que je vous dis on s’entend bien entre nous mais quand on va apprendre que bientôt que y a quelqu’un d’autre qui va être muté, voilà. Bon ben. Après bon. En tant que, moi je suis déléguée du personnel mais en tant que, ben là on ne peut pas intervenir.

Et vous personnellement comment vous vous sentez dans votre travail ?

Ça dépend des moments. Ça dépend des moments. C’est comme tous le monde hein (…). J’aime le métier. J’aime. Donc. Mais c’est l’évolution, l’évolution qui me. Par rapport à out ce que je vous ai expliqué, ces carcans, cette charte, ces machins, donc l’évolution ne me (…), ne me convient pas, et voilà quoi. Je trouve que bon ben. Pour moi ils font fausse route, parce que ils mettent l’accent sur les locales en plus. Alors que les locales c’est essentiellement. Je parle pas des premières pages mais après. Les galettes des rois, les machins et cetera, tout ce qu’on nous reproche partout. Alors ça fait peut-être vendre le journal pour les vieux, mais si on continue à alimenter les vieux, bon, ils meurent les vieux (rire). Ils meurent les vieux. Et les jeunes n’achètent pas le journal. Donc moi je pense qu’il vaudrait mieux des sujets plus forts (…).

Est-ce que vous pensez que c’est un sentiment assez partagé avec vos collègues ? Est-ce qu’il y en a qui s’y retrouvent quand même ?

Non je pense pas. Je pense pas. A voir mais je ne pense pas. (…).

Sur quoi reposent les moments de plaisir que vous vivez dans votre travail ?

Les moments que je passe sur le terrain. (…). Oui. (…).

Les SR, de toute façon, je pense que tout autant que, enfin peut-être pas tous mais une bonne partie. C’est vécu comme une punition le SR. Ça a toujours été vécu comme une punition. En général, c’est une facette du métier qui est toujours vécue comme une punition. Ou alors, une. Parce que, moi j’ai adoré le métier de SR hein, tel qu’il était à l’époque. C’est vraiment un métier que j’ai adoré. Que je ne pourrais plus faire parce que je n’aurais plus aucune liberté. Moi je. Pour moi ce serait vraiment une catastrophe si un jour on me disait ben t’es mutée au SR. Ce serait une catastrophe si on me disait t’es mutée en agence. Voilà donc pour moi ce serait vraiment une catastrophe. Mais. Parce qu’on en a fait un métier qui n’est plus ce qu’il était. Et puis avant c’était aussi la possibilité, on était CDD longtemps au SR et après on était embauché, donc. (…). Souvent bon ben les jeunes, CDD, ils restaient CDD longtemps, moi j’ai été très longtemps CDD. Et voilà quoi. Et on faisait nos places, avec des anciens qui en plus eux étaient vraiment des grands pros de SR, et qui donnaient donc une image et qui se laissaient pas, qui se laissaient pas influencer par la hiérarchie. (…). Et puis je crois que de toute façon les jeunes. Je crois qu’il y a aussi ce truc c’est-à-dire qu’en fait on est quand même un noyau de gens qui ont, on va dire entre. Enfin le plus gros de la troupe ils ont entre une cinquantaine d’années quoi. Après il y a les quarante cinq cinquante il y en a très peu. Et puis après ça passe aux jeunes, trente cinq, trente, trente cinq. Et donc je crois qu’ils ont pas la même notion du boulot. Nous on avait la notion du (…). Du cœur quoi. De l’âme. L’âme du Journal. On a ça quoi. Et les jeunes n’ont pas. Donc eux, ils foutent, ils partent, ils refont pas le monde, comme nous on peut, on a pu et on peut encore refaire le monde. C’est pour ça peut-être qu’aussi on n’arrive pas à s’adapter, à ce qu’on nous demande. (…). Nous encore aujourd’hui on peut passer des soirées entières à refaire le monde, à parler, à parler de. Mais c’est vrai que les jeunes (…).

Quel est votre rapport par rapport à l’avenir, comment vous l’attendez cet avenir ?

J’espère que je garderais mon boulot (rire). Je crois que c’est surtout ça. L’avenir de toute façon je le vois pas très rose. Donc je pense que l’avenir il est sombre. Qu’il va falloir, serrer les fesses pour le garder.

L’avenir professionnel

Professionnel oui. Ça va pas aller en s’arrangeant. Je pense qu’on va nous demander de plus en plus de choses, et avec de moins en moins de personnes. Il y aura de plus en plus d’exigences et de moins en moins de personnel. C’est déjà le cas hein. (…). Faut serrer les dents. Mais jusqu’où ça va s’arrêter. Y a aussi le fait, dans cette entreprise, pppf, la reconnaissance y en a pas (…).

Un problème de reconnaissance ?

Ben de la part de la hiérarchie. Je veux dire c’est très très rare quand on vient vous dire ben ton article il était bien. Entre collègues oui. Puis alors moi c’est vrai que j’ai toujours eu, j’ai la chance d’avoir mon chef de service. Mon chef de service, chef de service faits divers hein. Qui lui par contre est très, lui il est, il est de l’ancienne école. Il me relit tous mes papiers. Voilà donc euh. Moi j’ai pas. Et puis c’est surtout le fait de pouvoir échanger. Voilà, on échange. Mais même lui il va me faire lire ses sujets. On a tendance à se faire relire par. Et euh bon. C’est vrai que dans notre poule c’est souvent tiens dis-moi ce que tu en penses. Donc voilà quoi.

Lorsque vous vivez des moments difficiles, vous vous sentez principalement soutenue par ces collègues, de votre service ?

Ah oui oui. Oui et puis. Faut dire que moi j’ai mon mari en plus dans l’entreprise (rire). C’est la supérette Casino (rire). Il est chef de l’économie lui. Il était au sport et il est passé à l’économie. (…).

Vous pensez qu’avec notre étude on peut proposer des choses pertinentes ? Est-ce que vous avez des attentes ?

(…). Ben oui mais des attentes, il faudrait changer les gens quoi, donc que. Moi les attentes c’est plus de communication. Et plus de concertation. Bon. Et puis voilà, qu’ils arrêtent d’imposer des choses et. Qu’ils nous laissent travailler, en paix, qu’on puisse proposer nous. Nous qui sommes sur le terrain nous savons, voilà. Nous on sait. Donc eux ils devraient uniquement là pour organiser les pages en fonction de ce qu’on leur propose. Parce que quelque part ils peuvent pas. Qu’ils aient des idées oui. Mais à nous après d’en faire ce qu’on veut de leurs idées, et de les réaliser si ça nous paraît réalisable, si ça nous paraît intéressant. Mais bon, ça, un chef, il vous dira de toute façon il est là pour vous dire ce qu’il faut faire quoi. Mais je crois que dans notre métier c’est pas possible. Ça c’est vraiment un truc.

Vous pensez que vous n’avez pas la possibilité de négocier ? Il n’y a pas d’espace de négociation ?

Mais y en a mais il faut se battre. Mais bon, on n’a pas envie de se battre pour imposer des évidences. Moi je. Y a des moments où bon. Bon ah ben tu veux huit cents signes, bon je vais te faire huit cents, moi à la limite je rentrerai plus tôt chez moi hein. Enfin c’est même pas ça. Non c’est même pas ça. Non mais on se sent aussi parfois. Je vois par exemple par rapport à la rubrique que j’ai. Des fois bon, on arrive au tribunal, on ne sait pas par rapport aux assises où on sait exactement ce qu’on va avoir. On peut arriver à une heure de l’après-midi, repartir à huit heures du soir et revenir avec rien du tout, parce qu’on ne sait pas ce qu’on va avoir à l’avance. Ça peut être très intéressant comme ça peut ne pas être intéressant. On le sait pas avant. On peut pas. On peut pas savoir la veille. Nous on a un truc c’est marqué « violence volontaire », bon. Après ça peut être intéressant ou ça peut ne pas l’être. Et parfois, on a l’impression que quand on rentre à sept ou huit heure du soir et puis qu’on dit « bon ben voilà j’ai pu faire que huit signes », « ah bon ? », l’air de dire et ben mon vieux, c’était pas la peine d’y passer sept heures si c’est pour ramener huit cent signes. Et d’autres fois où on rentre « ah ben non, y a pas de place ».

Et le nombre de signes vous l’avez avant de partir ?

Non, ben non. Ça dépend. Nous c’est possible. Enfin moi, enfin si. Par exemple là j’ai dit à Maryline, la semaine je suis en assise tu auras 2500 signes par jour et puis point barre.

D’accord. Bien. Je vous pose une dernière question. Vous répondez si vous en êtes d’accord. Est-ce que ce ressenti, que vous avez exprimé, a des conséquences sur votre vie en dehors du travail ou sur votre santé ? Est-ce que vous pensez que ça a un impact ?

(…). Moi c’est un peu particulier parce que, comme on y travaille tous les deux. Donc à la limite bon. A la fois le problème c’est qu’il y a pas vraiment de coupure. Et à la fois bon, je rentre pas à la maison raconter des trucs à quelqu’un qui n’en a rien à foutre. Parce que quelque part il sait de quoi je lui parle. Mais par exemple nos enfants, le journal euh. Parce que quand, je veux dire à un repas bon, on commence à discuter et tout. Allez ça y est c’est reparti ils reparlent du journal. Alors voilà donc que.

Et vous en parlez plus qu’il y a, je ne sais pas depuis combien de temps vous êtes mariée

Ben depuis 20 ans je suis mariée. On s’est toujours, on s’est connu ici donc.

Est-ce que le sujet du journal il prend plus de place à la maison aujourd’hui qu’avant ?

Alors il en prend plus dans le sens où comme y a beaucoup plus de tensions, on s’engueule plus facilement. Même si on est d’accord. Y a plus de tensions à la maison, à cause du journal. Parce que, comme ça se passe moins bien bon, même si on. Et puis bon moi y a des moments je dis bon allez, bon faut relativiser, arrête de ma parler de ça. Y a des fois bon on en a marre, on n’est pas toujours d’accord, bon voilà c’est pas. Donc moi mon cas est un peu particulier. Enfin, encore que vous avez pas mal de couples. Oui. Le chef des sports est mariée la chef d’info. Et Marine et Cyril P. Oui y en a.

Ma dernière question. Par rapport à ce que vous avez exprimé. Quel est le mot qui définirait vraiment ce que vous ressentez ?

Angoisse. Pour moi comme pour les autres.

Angoisse parce que incertitude, l’avenir

Incertitude. L’impression de ne jamais faire, non l’impression de ne jamais en faire assez. L’impression de ne pas être considéré, les pressions, la pression surtout. La pression. (…). L’angoisse de la peur de la mutation.

Bien. En tout cas, on observe une solidarité entre les personnes. C’est vraiment ce que j’ai ressenti

Oui, elle existe. Et elle a toujours été. Enfin dans ce département. Mais quand même ici oui. Mais de moins en moins du fait de ces fameuses mutations. Parce que chacun étant menacé, chacun regarde l’autre en se disant pourvu que ce soit pas moi. Donc forcément quand c’est pas soi, quand c’est soi on doit se dire ah le salaud, et oui.

Bien. Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter ?

Ben non. Je crois que j’ai fait le tour (rire).

Je vous remercie.