Annexe 8. Les causes du recours ou de non-recours au dispositif de la mairie

Sept entretiens ont été réalisés auprès d’agents « concernés » : quatre d’entre eux avaient sollicité le dispositif et trois ne l’avaient pas fait. Parmi les agents qui ont sollicité le dispositif, nous comptions deux femmes et deux hommes. Nous présentons, de manière résumée, chacune des situations propres aux agents qui ont fait appel au dispositif, en définissant tout d’abord la nature de la situation en question, ensuite les causes évoquées par l’agent, puis les différentes tentatives de recours qu’il a mobilisé, dont le dispositif. Des éléments concernant la manière dont l’agent a vécu le processus sont ensuite soulignés ainsi que les points qui paraissent être des atouts ou des limites pour l’agent qui en a eu l’expérience. Enfin, nous indiquons l’état de sa situation actuelle afin de comprendre ce qui a été déterminant dans la résolution du problème ou ce qui n’a pas permis cette résolution.

La première situation est celle d’une femme, agent de la police municipale, qui a déclaré avoir vécu un conflit avec son supérieur hiérarchique. Elle a précisé, qu’au départ, ce conflit concernait l’ensemble du collectif de travail et qu’il avait progressivement basculé dans un conflit interpersonnel. Elle a évoqué la personnalité du responsable comme cause de ce conflit : « Il avait une emprise sur nous. On n’avait pas le droit de téléphoner. On n’avait pas le droit de bavarder. Il avait besoin d’un contrôle absolu ». Elle explique avoir tenté de différentes manières d’obtenir une intervention dans son service. Tout d’abord, accompagnée de ses collègues, elle avait sollicité la direction du service. Celle-ci ne prenant pas la mesure du problème « a laissé la situation s’envenimer ». A partir de là, et dans mesure où ses collègues pensaient que personne ne les croirait, elle est allée seule solliciter une organisation syndicale qui l’a orientée vers le dispositif. La multiplication des recours est liée au fait que sa direction n’a pas pris en compte dès le départ la situation, dès que celle-ci a été dénoncée. Elle déclare à ce propos : « Je me suis retrouvée toute seule à demander de l’aide. Mes autres collègues avaient peur des conséquences. Mais moi aussi j’avais peur. J’avais tout le temps une boule au ventre ». Elle a indiqué qu’une période de congé pour maternité lui avait procuré un soulagement momentané mais qu’à son retour, la situation n’avait pas changé. Pour cette raison, elle avait décidé de « demander de l’aide, cette fois au-delà de la direction. Car c’était du harcèlement », a-telle ajouté. On comprend ensuite, à partir de ces explications, que son expérience du dispositif n’a pas été positive. Elle nous a, en effet, signalé combien ses collègues avaient été en colère contre elle lorsqu’ils avaient appris qu’elle avait sollicité le dispositif. A partir de ce moment, elle explique qu’elle était devenue « le vilain petit canard du service […]. Le responsable demandait à mes collègues, fallait me laisser dans mon coin ». Ainsi, elle a demeuré isolée. Ses collègues, comme son responsable, étaient désormais contre elle. Elle estimait donc que ce recours avait empiré sa souffrance : « Et ça a été pire quand j’ai demandé de l’aide parce qu’il l’a su». Elle a également exprimé le sentiment de ne pas avoir été actrice dans le processus ainsi que son sentiment d’insécurité : « La DRH a refusé […]. La direction a été avertie de la procédure. La DRH a annoncé qu’elle voulait convoquer tout le monde. On n’avait pas le choix ». Elle a ensuite expliqué avoir longtemps attendu avant d’avoir un retour « négatif en plus », ce qui l’avait amené à transmettre un courrier à la DRH ainsi qu’à l’élu. Et seulement là, elle a pu être entendue. La proposition de la DRH était l’organisation d’ « un entretien-confrontation entre les agents du service et le responsable »,mais celui a émis un refus, ce qui a généré un profond regret pour cette femme (« On aurait pu mettre tout sur la table. Mais lui il vivait ça comme son procès. Moi je mon côté j’avais beaucoup préparé l’entretien ») mais en même temps une première victoire (« Et comme il a refusé, je me suis dis je marque un point »). Elle a également indiqué qu’on lui avait proposé un soutien psychologique assuré par un professionnel en interne. Mais lors du dernier rendez-vous, elle avait appris que ce n’était plus ce professionnel qui « allait s’occuper [d’elle] » mais le service d’accompagnement des parcours professionnels de la DRH. Ce qui laissait supposer une future mutation. Par conséquent, les actions proposées n’ont pas réellement été déclenchées à partir du dispositif mais bien de l’interpellation de l’élu politique. Enfin, elle nous a révélé que la situation n’avait pas évolué « jusqu’à ce [que son responsable] parte en novembre 2008 ». Ainsi, « au bout du compte », son responsable était parti. Elle a vécu ce départ comme un soulagement. L’amélioration de son état de santé résultait uniquement de ce changement. Le suivi de la DRH pouvait prendre fin, et éloigner le risque d’être mutée. Même après cela, elle souligne que ses collègues ont continué pendant un temps de lui en vouloir d’avoir fait appel au dispositif, mais qu’ensuite ils avaient reconnu l’utilité de son action et la manipulation dont ils avaient fait l’objet. Pour conclure, cette femme nous indiquait qu’elle avait été rassurée de pouvoir se confier à un professionnel psychologue en interne, au moment où elle traversait ce problème (car sa situation « existait quelque part »), mais qu’en même temps l’enquête qui avait été faite sans son accord l’avait plongée dans l’insécurité. Elle considérait n’avoir eu aucune maîtrise du processus, et que l’action se fait contre sa volonté, qu’elle avait été « mise devant le fait accompli ». Selon elle, elle avait peu de chance que l’organisation « s’attaque » à son responsable. Elle a finalement déclaré : « Finalement, on a reconnu ce que je vivais, ça valait le coup ». Elle nous a également indiqué avoir eu recours à son médecin traitant puisque qu’elle perdait confiance en elle et qu’elle connaissait « des nuits horribles » et qu’elle pensait qu’elle n’en sortirait jamais. Enfin, elle nous a appris, qu’au moment du déclenchement du recours, elle avait eu « peur se [s’en] servir tout seule » et ne pas avoir su comment s’y orienter.

La deuxième situation est celle d’une femme qui évoquait tout d’abord « la souffrance d’un collectif ». Cette souffrance, expliquait-elle, était liée au mode de fonctionnement du service dans lequel elle travaillait. Pour essayer de sortir de cette souffrance, elle avait engagé différentes tentatives de résolution : tout d’abord, l’interpellation de la direction ; ensuite celle du médecin du travail ; et enfin, le dispositif par la sollicitation d’un écoutant membre du groupe de confiance. Mais elle a précisé que l’origine du recours était liée à un événement survenu dans le service et qui avait concerné un collègue de travail. Celui-ci, qui par ailleurs exerçait le même métier qu’elle, avait été confronté à une charge de travail qu’il ne pouvait pas assumer. Alors, au cours de l’activité, il avait « craqué », plongeant ses autres collègues, dont elle, en état de choc. Elle a indiqué que ce collègue, qui avait été pris en charge très vite après l’accident, avait « fait au moins 15 jours de cure de sommeil, en psychiatrie ». Et cela semblait avoir renforcé l’état de choc des autres, notamment lorsqu’ils se sont rendus compte « qu’il n’y avait aucune remise en cause du mode de fonctionnement, et que la réponse de [la] hiérarchie directe était que, de toute façon, il [avait] des problèmes personnels ». Elle expliquait alors que, suite à ce choc, avec deux de ses collègues, elles avaient déclenché divers recours : ses collègues étaient toutes les deux allées voir un écoutant différent du dispositif et l’une d’elles avait également fait appel à la direction du service ; quant à elle, elle avait sollicité le médecin du travail, membre du dispositif. Elles avaient décidé de multiplier les recours « non pas dans le but de mener une action personnelle » mais à dénoncer un mode de fonctionnement, «avec une surcharge de travail, une absence de reconnaissance », qui portait atteinte à la santé. Elle a ensuite précisé : « Donc l’objectif de cette démarche c’était de dire venez voir ce qu’il se passe chez nous ». Concernant le vécu lié au dispositif, la personne précise qu’elle a ressenti de l’insécurité et qu’elle avait le sentiment que celui-ci n’était pas adapté à la situation, puisqu’elle et ses collègues ne voulaient « se plaindre d’un harcèlement » et ainsi être à l’origine du licenciement de leur responsable. Nous avons par la suite compris que ce qui les avaient en fait bloquées dans leur recours et dans la mise en place d’une action qui porte plus loin était que le dispositif leur demandait de faire part de témoignages écrits sur la situation en question.Elle dit avoir apprécié la qualité de l’écoute qui lui était alors destinée, toutefois, elle regrette l’exigence de la procédure de réaliser ces témoignages concernant des « faits », ce qu’elles n’étaient pas prêtes de faire. Elle exprimait que cette procédure alimentait une insécurité qui a donc interrompu le recours : « Ça nous mettait en danger ». La responsable aurait eu connaissance du recours. C’est parce qu’elles craignaient d’être « dans le collimateur » de la responsable et de se faire «  enfoncer », que cette idée les a «  vraiment confortées dans le fait de se dire on ne peut pas faire ça ». Elle expliquera par la suite que c’est indirectement la démarche entreprise d’avoir fait appel au directeur du service, qui avait participé à fragiliser son collègue. Suite à cela, la responsable a été convoquée et elle s’est ensuite convaincue que c’était le collègue en question qui l’avait mise en cause (« Suite à ça, c’était la chasse aux sorcières. Qui a parlé ? Et elle s’est mis dans la tête que c’était mon collègue qui a parlé. Et depuis ça a été la bête noire ». La tentative de recours au dispositif était également une tentative de soigner leur culpabilité. On s’aperçoit que son discours manquait de logique dans la mesure où elle avait dit au départ que c’était l’événement survenu pour son collègue qui était à l’origine du recours, alors qu’un recours avait déjà été initié pour dénoncer la situation du service et qui avait ainsi mis en cause à tort ce collègue. Elle indiquait avoir également eu recours à son médecin traitant, comme nombre de ses collègues, et a déclaré à ce sujet : « J’ai été obligée d’aller voir mon médecin qui m’a prescrit des anxiolytiques. Je crois que la moitié du service consomme, somnifères, anxiolytiques, anti-dépresseurs ». Elle expliquait que la situation était actuellement toujours la même, que « rien n’[avait] changé », et qu’elle consommait de nouveau des anxiolytiques depuis un mois. Elle exprimait le désir de partir mais pensait qu’elle ne trouverait pas de poste ailleurs. Enfin, à la fin de l’entretien, elle a évoqué une autre situation d’un collègue qui a vécu pendant des années le harcèlement de son supérieur, qu’elle assimilait à « un malade mental ». Au moment de notre entretien, ce collègue engageait une procédure judiciaire et elle-même lui apportait son soutien en témoignant pour lui. Nous avons rencontré ce collègue, qui a par ailleurs avait sollicité le dispositif parmi une multitude d’autres recours. Nous reprenons les résultats de cet entretien ci-dessous.

La troisième situation était celle d’un agent qui déclarait vivre et avoir vécu des conflits avec deux de ses responsables. Il qualifiait sa situation de « harcèlement ». Ce fonctionnement relationnel prenait, selon lui, sa source à la fois dans la définition ambiguë de la mission qui devait être la sienne au départ, la personnalité d’un des responsables et l’alliance de ce dernier avec un autre responsable. Il développait, de manière très détaillée, l’historique de sa situation et de sa souffrance et précisait les différentes tentatives de résolution qu’il avait mobilisées : le directeur de l’établissement, le directeur de son service et le directeur adjoint, le médecin du travail, le CRH, le dispositif, son médecin traitant, un syndicat, le procureur de la république et enfin la Justice. Il est venu à l’entretien accompagné d’un dossier complet attestant de la véracité de ses propos. La compréhension de sa situation s’est avérée assez complexe et emmêlée, sans doute parce que le processus s’était étalé sur plusieurs années et que les recours s’étaient multipliés et chevauchés. Il soulignait que le fait de solliciter le dispositif avait représenté pour lui un soulagement mais seulement à court terme. En effet, suite à cela, une réunion avait été organisée avec le responsable pour redéfinir sa mission. Néanmoins, il dit avoir éprouvé les sentiments de ne pas avoir été écouté, de ne pas avoir été présent dans le processus et finalement le sentiment qu’on lui repprochait d’être le problème. Il met l’accent sur trois points positifs liés au dispositif et à sa situation : le soutien psychologique dont il a bénéficié, le soutien et la première solution apportée par la DRH, mais qui n’a malheureusement pas suffi. Il souligne en revanche le manque de réactivité des professionnels de l’organisation et le fait qu’il lui semblait que la seule proposition qu’il pouvait lui faire était d’être muté, solution qu’il n’acceptait pas considérant qu’elle le rendait responsable de la situation. De plus, il estimait que le manque de suivi qui avait été donné à sa situation, malgré le fait qu’elle était connue de tous, avait participé à son aggravation. En effet, il expliquait que lors de l’intervention de la DRH au commencement, il aurait fallu assurer un suivi de sa situation et un contrôle de l’évolution du conflit afin que l’effet bénéfique induit puisse perdurer. Finalement, il nous précisait qu’il était en train d’engager une procédure judiciaire et qu’il était en attente d’une réponse de la Justice. Il ajoutait qu’une enquête interne était également en cours. Ce recours à la Justice semblait lui redonner de l’espoir et surtout le sentiment d’être un acteur entendu. L’anticipation qu’il faisait des conséquences de ce recours activait une reprise de contrôle de sa situation professionnelle et sociale. La Justice allait finalement trancher, intervenir franchement contrairement à l’organisation, et mettre un point final à son histoire.

La quatrième personne était un homme qui définissait sa situation comme un conflit qu’il avait vécu avec son responsable. Comme dans la première situation, ce conflit impliquait au départ un collectif puis s’était avéré être un conflit entre ce responsable et lui-même. Il expliquait ce conflit par la restructuration et le changement qui avait eu lieu alors dans son service. Il déclarait avoir d’abord fait appel aux syndicats puis au dispositif. Cet homme décrivait le vécu qu’il avait eu du dispositif par des « rapports de force », notamment entre la « DRH qui voulait protéger le responsable et les syndicats qui étaient de [son] côté ». Ce vécu était également marqué par la déception et la frustration puisque « les attentes étaient fortes et les réponses faibles ». Il soulignait néanmoins la qualité et la neutralité de l’écoute mais regrettait le « parti pris » des professionnels de la DRH, ainsi que les délais de retour et finalement l’échec du traitement. Il évoquait enfin que son service était encore en attente d’une réponse de traitement.

Ensuite, nous avons interrogé trois agents qui n’ont pas eu recours au dispositif pour régler leur problème, soit pas méconnaissance de la procédure, soit comme un choix volontaire. Nous parlerons de non-recours au dispositif, ce qui ne signifie pas que les personnes n’ont déclenché aucun recours par ailleurs.

La première situation de non-recours au dispositif concerne un agent qui déclarait avoir été en conflit avec l’un de ses collègues. Il s’agit d’une femme qui travaillait à la mairie depuis 1978 et dans sa fonction actuelle, le gardiennage, depuis 20 ans. Elle attribuait ce conflit à « la personnalité pathologique » de ce collègue. Elle a sollicité l’aide de quatre acteurs pour parvenir à une intervention ou une aide : tout d’abord son responsable, ensuite le médecin du travail, puis le psychologue et enfin la DRH. Ce conflit s’était particulièrement révélé un jour où son agresseur l’avait menacée en levant la main sur elle comme s’il allait s’apprêter à la battre. De ce geste elle a gardé un souvenir de peur intense. Ces propos nous évoque qu’elle a vécu à ce moment un traumatisme : « Je me souviens de son geste. Comme ça, avec la main sur moi. Je vois un couteau au bout de sa main 134 , comme s’il voulait me tuer ». Cette scène l’a confrontée à l’image de sa propre mort et se révèle traumatisante pour elle. Mais, pour elle, se qui a véritablement alimenté ce traumatisme a été qu’elle a dû continuer à vivre et travailler pendant une certaine période avec son agresseur dans la mesure où la direction n’agissait pas. Elle nous avouera lors de l’entretien que sa présence la hante encore et qu’elle ressent encore la peur qu’il survienne : « J’ai l’impression qu’il est encore là ». Cette confrontation à la violence et à la menace d’être tuée par un homme qu’elle dépeint comme un homme musulman qui ne supportait pas de l’avoir comme responsable, l’a paradoxalement plongée par la suite dans un univers morbide mais rassurant : « J’ai pensé au suicide […]. J’allais au cimetière voir mon père. C’est tranquille là-bas. J’y allais toujours. Je me sens en sécurité comme ça, protégée. Les gens me prenaient pour une folle ». Elle décrit cet événement comme le plus dur de sa vie. Elle a également déclaré que cette situation avait eu des conséquences fortes sur sa relation conjugale : « Je ressassais. Tous les jours alors. Et donc ça a eu des effets sur la relation avec mon mari […]. Je hais les hommes à cause de lui ». Elle dira enfin avoir perdu confiance en tout : « J’évite les gens. Même quand on m’invite, vous savez dans ces réunions Tuperware, ou chez des amies. J’évite de rentrer en relation avec les gens. Parfois je ne les écoute même plus quand ils me parlent. Même ma fille […]. Aussi j’ai peur de gêner […]. Je me dévalorise. Je me dis que je vais les ennuyer, que je ne peux pas les intéresser […]. J’aime plus les gens ». Manifestement, elle ne semblait pas avoir refait surface. D’autres blessures pouvaient y concourir. Elle a ajouté ainsi près de la fin de l’entretien : « Je n’arrive pas à vivre dans cette nouvelle vie. Je trouve pas ma place. Moi je voudrais vivre dans le monde d’avant, avec mon père, où tout était simple […]. J’y arrive pas à vivre dans ce monde ». Par ailleurs, au sujet de la manière dont elle avait vécu le processus de recours, elle soulignait qu’elle n’avait disposé d’aucun soutien de ses supérieurs hiérarchiques, malgré le fait qu’elle les ait sollicités. L’inaction de l’administration face à ce conflit « grave » avait eu des conséquences sur sa sécurité psychologique. Elle disait avoir éprouvé une grande solitude et un sentiment d’injustice face à une direction qui ne la protégeait pas mais la tenait responsable du conflit puisqu’elle refusait de prendre parti. Elle mettait en revanche l’accent sur l’aide procurée par le psychologue interne à l’organisation bien qu’elle ait indiqué avoir « mis longtemps pour lui parler », ainsi que sur l’action que la DRH a finalement entreprise. Elle dit s’être fait arrêtée pendant un moment par son médecin traitant mais craignait de se retrouvée en maladie et non en accident du travail car elle aurait été moins indemnisée. Concernant le dispositif, elle expliquait qu’elle ne l’avait pas sollicité car elle ne le connaissait pas. Elle précisait enfin que sa situation s’était améliorée depuis le départ de ce collègue, muté dans un autre service. Elle dit garder une vive rancune à l’égard de l’institution et de sa direction et nous racontait combien cet événement avait changé sa vie, son rapport au travail et aux autres. Elle déclarait ne pas se sentir bien dans le travail aujourd’hui. Elle ne parvenait à tenir que pour un collègue qui avait pris sa défense et qui avait par la suite été agressé par le même auteur. Cette récidive a permis la reconnaissance de la première agression : « Son agression, comme c’était la deuxième alors là, on m’a cru ». Elle a déclaré attendre la retraite, comme un repère fixe dans l’avenir auquel elle se raccrochait, mais elle a ensuite avoué baisser les bras : « Je n’attends plus rien. Je fais le nécessaire sans parler à personne […]. Je ne veux plus rien avoir affaire avec la Mairie ». Elle reviendra à la fin de l’entretien sur le sujet de la mort, de la sienne propre : « J’ai pas peur de mourir […]. Si certains ont peur de mourir, moi pas. J’ai 58 ans, comme mon père et mon oncle quand ils sont morts. Donc peut-être que moi aussi ».

La deuxième situation est celle d’un homme qui travaille depuis 5 ans à la Mairie à la direction des sports. Il confie avoir été en conflit avec son responsable suite à une restructuration du service qui a largement participé à la dégradation de l’ambiance, à la mise à l’écart d’un collègue et qui a progressivement alimenté ce conflit interpersonnel. L’agent parlait d’une « violence réciproque ». Elle exprimait ce qu’il ressentait alors : « Je venais à la boule au ventre. Je me mettais en retard inconsciemment. J’arrivais pas à me lever parce que la nuit ça me tracassait ». Il dit avoir rencontré sept acteurs différents pour résoudre son problème : les deux responsables hiérarchiques au-dessus de celui avait lequel il était en conflit, le médecin du travail, le psychologue interne et les syndicats. Il ajoute avoir également rédigé et transmis un courrier aux élus pour les avertir de la situation et leur demander une intervention. Il a déclaré à ce sujet : « Mon courrier a fait pas mal de bruit. Après j’ai été reçu en présence du directeur et de l’adjoint. Et puis j’ai eu des promesses. […]. Je leur ai dit qu’il fallait faire quelque chose sinon y aurait bientôt du sang, que ça allait aller de pire en pire ». En réalité, il n’a pas recouru au dispositif mais les professionnels du dispositif l’avaient activé sans son accord et sans l’avertir aucunement. Concernant le processus de traitement, il nous a confié qu’il avait le sentiment que l’on protégeait le responsable, qu’il y avait un parti pris et que par conséquent, aucun traitement n’était possible en sa faveur. Il déplorait également l’attente liée à la mise en œuvre du processus de traitement. Il comprenait qu’aucune mise en cause de l’organisation n’était possible lorsqu’il s’agit de violences internes. Il a néanmoins souligné l’aide positive apportée par l’écoute des professionnels de santé. Par ailleurs, il a donné trois raisons au fait de ne pas avoir recouru au dispositif : un problème de confiance dans la mesure où sa responsable faisait partie du groupe de confiance au premier niveau ; un problème d’efficacité et crédibilité (« J’étais plus déterminée. Je voulais une action efficace. Et donc je prenais contact avec des acteurs concernés. Et puis je pensais que ce dispositif servait d’alibi »). Il pensait que le dispositif n’était pas adapté à sa situation, qu’il ne permettrait pas de confrontation. Il a déclaré au cours de l’entretien vivre un nouveau conflit avec une autre personne depuis le changement intervenu au niveau de la composition des équipes de travail (en faisant en sorte notamment que les deux personnes ni ne travaillent ensemble ni ne se croisent). Et alors que nous lui demandions s’il envisageait de faire appel au dispositif pour ce nouveau conflit, il a estimé que ce recours représenterait pour lui un risque dans la mesure où il serait perçu comme un « récidiviste » donc coupable. Il nous a indiqué que : « faire appel au dispositif ce serait trop dangereux pour [lui]. Si ça s’est déjà passé avant donc ils vont penser que c’est moi. Alors soit j’irais au placard, soit on me mute ». Faire appel à la procédure revenait à le responsabiliser dans ce nouveau conflit. Contrairement à son premier conflit, qu’il dépeint comme « jeu d’échec », fait d’attaques et de contre-attaques, il ne voyait cette fois aucune issue possible.

La troisième situation est un conflit qui a duré trois ans. Il opposait une femme de 52 ans au moment de l’entretien et qui travaillait dans un service dédié à l’aide des personnes âgées, et une autre collègue de travail. Elle avait été mutée dans ce service à la suite d’un problème santé qui avait conduit à son reclassement. Elle a expliqué son absence de recours et de sollicitations diverses par la culpabilité qu’elle ressentait : « Avec cette culpabilité, de toute façon j’aurais rien dit ». Cette personne a tenté de résoudre son problème avec le soutien de ses collègues, le médecin du travail, la DRH et enfin le psychologue. Elle dit avoir vécu ce processus dans la solitude et la culpabilité. Elle a déclaré à ce sujet : « T’as la tête dans l’eau et t’as personne pour t’aider […]. Tout le monde m’a bien laissée m’enfoncer ». Elle a évoqué le « laisser faire » du responsable de son service comme facteur aggravant de la violence relationnelle et de sa souffrance. Elle a exprimé sa gratitude toutefois au psychologue et au soutien dont elle a pu bénéficier. Elle dit avoir été orientée par la DRH en parallèle pour une mutation qui n’a pas aboutie, du fait de son précédent problème de santé. Elle a déclaré avoir eu recours à un traitement anxiolytique car elle éprouvait des problèmes de sommeil. De plus, elle nous a renseignés sur les différentes raisons pour lesquelles elle n’a pas sollicité le dispositif : la croyance en un manque d’efficacité, aux manques de sécurité perçue, de confidentialité et de légitimité des membres du groupe de confiance. D’après elle, le dispositif n’était pas adapté à sa situation : « On m’a écoutée, mais j’avais besoin qu’on me dise qu’on allait me sortir de là ». Elle a également souligné qu’elle aurait éventuellement pu envisager de faire appel au second niveau du dispositif, à condition que sa situation ne soit pas exposée à un collectif de professionnel : « J’avais pas eu envie de dire tout ça à la Mairie ».Elle a précisé que « les gens ont du mal à aller s’expliquer » et que souvent, cela ne « sert à rien », et que c’est d’autant plus quand la violence en question n’est pas de nature physique. Elle a terminé son récit en expliquant qu’actuellement sa situation était incertaine, qu’elle était en arrêt, qu’elle espérait ne plus travailler dans le même service que sa collègue et qu’elle était en attente d’une mutation. Elle a enfin avoué qu’elle ignorait ce qu’elle allait devenir. Elle avait visiblement besoin de se sentir sécurisée, ou qu’elle soit et a ainsi déclaré : « Mon avenir ? Je l’envisage pas. Tout ce qu’ils me proposeront j’accepterai, car faut travailler. Mais non pour l’ancienne direction ».

Notes
134.

Alors qu’il n’y avait aucun couteau.