2.1.2. Les intentions des enseignants ou la manière dont le discours enseignant reproduit le discours politique

L’enseignant de l’école primaire voulant mettre en œuvre un projet d’éducation artistique dans sa classe semble être face à un monde éclaté proposant des œuvres et des pratiques artistiques éclectiques.

L’enseignant d’aujourd’hui semble responsable du choix qu’il fait parmi ce foisonnement de pratiques proposées. Nous allons essayer de déterminer les principes de justification qu’un acteur peut tenir dans ses propos et dans sa pratique lorsqu’il est amené à parler de son choix, afin de mieux comprendre l’entrée des arts à l’école. Nous allons pour cela nous appuyer sur la sociologie des acteurs pour comprendre les différentes justifications que les individus peuvent formuler.

Dans la théorie de la justification de Boltanski, le classement de valeurs et de principes se retrouve également sous la dénomination de “grandeurs”, où tout acteur, afin de justifier son choix, mobilise une grandeur qu’il considère plus importante que d’autres.

Nous partons du postulat que lorsque l’enseignant est amené à parler de son choix de pratique, il se justifie dans ses propos. Nous supposons que pour se justifier, il fait appel à des principes pour expliquer sa pratique à ses collègues ou à d’autres personnes. En effet, un projet artistique à l’école implique une multiplicité d’acteurs au sein de l’école (enseignants, artistes, politiques, experts pédagogues, parents) et, par conséquent, multiplie les justifications de l’enseignant face à ces divers “mondes”.

Ce cadre théorique ainsi construit sera nécessaire pour analyser les supports écrits (discours, entretiens transcrits) pour mieux comprendre l’entrée des arts à l’école et le choix artistique des acteurs.

L’ouvrage faisant explicitement référence aux acteurs et à leurs argumentations est une recherche intitulée De la justification, menée par Luc Boltanski et Laurent Thévenot, en 1991. Les auteurs considèrent les acteurs comme ayant un état alternant entre celui d’êtres humains et celui de “choses”. C’est la relation entre ces états-personnes et ces états-choses qui forme une “situation”, comme la situation en projet éducatif artistique dans les écoles, où enseignants, élèves et artistes se rencontrent.

Le cadre théorique de la justification des acteurs s’impose dans notre recherche, pour la raison que toute personne se justifie dans son choix quand elle est amenée à en parler.

Ces principes nécessitent au préalable un rappel concernant les fondements de la théorie de la justification et son inscription dans notre champ de recherche.

Nous savons que les pôles de justification, au nombre de cinq, sont définis dans l’ouvrage cité ci-dessus. De plus, dans une autre recherche publiée en 1999 et intitulée Le nouvel esprit du capitalisme, Boltanski et Ève Chiapello reviennent sur ces pôles, les complètent par une nouvelle cité, et étayent leur réflexion par deux paradigmes : la critique sociale et la critique artiste. Cette dernière acception, en lien avec l’art, constitue le fondement du sixième pôle de justification.

Parmi les six “cités” quatre semblent dans leur nature même, au premier abord, proches de la question de l’art, les deux autres (regroupant trois mondes) en paraissent plus éloignées. C’est à partir de ce cadre que peuvent être dégagés les principes théoriques de justification des acteurs catégorisés dans plusieurs “mondes” ou “cités” en fonction de leurs principes et de leurs références.