3. 2. 2. 2. La formation de la cité par projets

Tous les dispositifs issus du deuxième esprit du capitalisme ont été infléchis et/ou supprimés et/ou remplacés, ce qui a impliqué de se doter d'une nouvelle représentation générale du monde économique.

Le terme “réseau 134 est celui qui est le plus utilisé pour relier tous les éléments de l'économie capitaliste. Dans le monde des réseaux, la vie sociale est faite de la multiplication des rencontres et des connexions à des groupes divers dans le temps et dans l'espace.

Le projet est l'occasion, le prétexte à la connexion (relations naturelles entre les êtres). Il peut ainsi se définir comme un amas de connexions actives propres à faire exister, même temporairement, des objets et des sujets. Il est une poche d'accumulation temporaire, créatrice de valeur, sans laquelle il n'y aurait que des flux sans fin.

Jean-Louis Derouet parle au sujet de l’école de “réseau de connexions gigantesque construit autour de l’idéal d’égalité des chances 135 ” unissant des catégories cognitives, des sentiments, des objets, des organisations.

Il se constitue donc un nouveau système de valeurs sur lequel les personnes pourront prendre appui pour porter des jugements, discriminer des comportements, légitimer les pouvoirs et sélectionner ceux qui en ont les qualités.

Ce nouvel appareil justificatif correspond à la cité par projets, dont la dénomination est calquée sur celle de l'organisation par projets.

Le “principe supérieur commun”, selon lequel sont jugés les actes et les personnes, est l'activité. Mais l'activité est comprise ici en tant qu'aptitude à générer des projets ou à s'intégrer dans des projets. La vie est conçue comme une succession de projets. La qualification des projets (artistiques, éducatifs, politiques…) et leur distinction (loisir, travail…) importent peu ; ce qui importe, c'est de développer des activités, de s'engager dans des projets (dans un choix volontaire), donc d'avoir la capacité de s'insérer dans des réseaux, de les explorer afin de se mettre dans des conditions d'engendrer des projets.

La connexion devient un état naturel entre les êtres. Le “grand 136 ” est donc celui qui répond le mieux aux grandeurs universelles de la nouvelle cité : se connecter, communiquer, se coordonner, s'ajuster aux autres, faire confiance. Dans la sphère artistique et éducative, l'artiste et l’enseignant sont ainsi des grands de la cité par projets, puisque leurs compétences sont faites d'expériences et de connaissances personnelles accumulées.

La déchéance de la cité par projets arrive lorsque le réseau ne s'étend plus, se referme sur lui-même car sa fonction est d'absorber et de distribuer l'information. Privilèges, copinage définissent cette déchéance en créant des inégalités entre individus.

L'ordre établi de cette cité doit en effet être orienté vers le bien commun et se soumettre à des contraintes, qui tiennent dans l'observation du rapport de grandeur et des obligations définies des “grands” envers les autres.

La cité par projets ne constitue pas, pour Luc Boltanski et Ève Chiappello, un compromis transitoire entre les cités déjà existantes, mais une forme spécifique à part entière.

Notes
134.

Le nouvel esprit du capitalisme, Ibid. p. 155.

135.

École et justice, Ibid., p. 30.

136.

Le nouvel esprit du capitalisme, Ibid. p. 168.