1.1. Projet Danse contemporaine et musique traditionnelles

1.1.1. Présentation du projet

Ce projet a pour thématique la danse et s’inscrit dans le dispositif de la « semaine de la danse ». Il s’intitule précisément « A la rencontre des danses traditionnelles et contemporaines ». L’école, classée REP (réseau d’éducation prioritaire), est située dans la banlieue lyonnaise. Elle comporte dix classes dont une CLIS. La majorité des enfants n’a pas l’occasion d’assister à des spectacles en dehors des heures scolaires. La classe concerne vingt-cinq élèves de CP. Cette classe est la seule de l’école présentant un projet artistique et culturel. L’enseignant a pris contact et est en partenariat avec une compagnie de danse renommée de Lyon. Cette compagnie lui a présenté une danseuse chorégraphe en danse contemporaine qui sera présente tout au long du projet. Le budget prévu pour ce projet est de 1000 euros. Les dépenses prévues concernent les achats et fournitures (petit matériel : foulards, rubans, cd de musique : 50 euros, les vacations horaires de la danseuse s’élevant à 600 euros soit 12 heures à 50 euros ttc/heure, les places de spectacle et le déplacement en car : 350euros). Pour financer cela, l’enseignant compte sur une participation auprès des parents (200 euros), une subvention demandée à la commune (200 euros), une subvention demandée à l’Education Nationale d’un montant de 600 euros.

D’après le projet écrit de l’enseignant « une ouverture sur la culture et les arts a été entreprise depuis plusieurs années, dans le cadre du projet d’école, et porte ses fruits dans le domaine de l’expression. Notre action s’inscrit donc dans un véritable parcours culturel mis en place dès la maternelle . De plus, c’est l’occasion de proposer de vraies situations d’écriture qui vont renforcer les acquisitions fondamentales en lecture et en écriture de la classe de CP 181  ». Pour autant, les indicateurs d’évaluation du projet écrit sont très flous : « participation qualitative et quantitative à l’activité qui peut s’apprécier à partir de grilles d’observation pour les spectateurs, les danseurs. Projet conduit à son terme. Nombre et qualité des productions 182  ».

Comme nous venons de le signaler en soulignant les termes utilisés, une polarité conflictuelle est en place dès la formulation du projet : il s’agit d’emblée de faire tenir ensemble un principe d’efficacité relevant tout à la fois de la cité civique et de la cité industrielle – « renforcer les acquisitions fondamentales » - et la promotion d’une valeur, l’authenticité, exigeant de « vraies situations ». Une tension latente est d’emblée perceptible : comment peut-on concilier une vraie situation et des acquisitions fondamentales ? L’authenticité vécue relève du monde de l’inspiration alors que l’apprentissage regarde plutôt du côté de la forme scolaire.

Le projet s’est construit autour du thème des danses traditionnelles comme point de départ vers et pour une création contemporaine. C’est la première classe à PAC de l’enseignant. Celui-ci considère que, au vu de son expérience antérieure en cycle danse avec ses précédents élèves, il en ressort une pratique « très porteuse au niveau moteur 183  », productive au niveau des apprentissages, et où les élèves de CP ne sont pas encore dans le rejet et dans l’amalgame que« la danse est pour les filles », c’est pourquoi il a été motivé pour construire ce projet.

Le point de départ du projet a été « les envies » de chacun (de l’enseignant et de l’artiste), puis de l’expérience de la danseuse (ses réalisations antérieures), « pour ensuite voir au niveau des instructions officielles si on était complètement à côté de la plaque 184  ». Qu’est-ce qu’un projet qui part des envies de chacun ? On n’est plus seulement dans la sphère éducative au sens où elle gouvernée par des objectifs, des finalités. On se place dans une posture subjective individualiste : l’artiste, l’enseignant, donnent cours à leurs envies. Ce n’est pas tant la subjectivation qui fait ici question, que le recours aux subjectivités comme légitimation explicite. La tension entre un pôle objectif et un pôle subjectif est bien introduite au principe même du projet.

L’enseignant est très attaché aux musiques traditionnelles, c’est pourquoi il « s’est mis d’accord un peu avec la danseuse 185  » pour « partir du répertoire traditionnel en danse et en musique afin de nourrir une création plus contemporaine 186  ». Son attente principale relève de l’entrée dans le domaine du sensible en lien avec des musiques et d’exprimer des émotions avec son corps. La surprise pour l’enseignant est que cette année, il a une classe d’élèves assez difficiles (« ils sont très peu attentifs et concentrés 187  »). C’est pourquoi il espère, au travers de ce projet, travailler sur « des compétences transversales, au niveau de la concentration 188 ». La situation pédagogique concrète conduit alors à un déplacement, voire à un détournement des objectifs initiaux ; à moins qu’elle fasse passer au premier plan ce qui était déjà là sous la forme de ce que Bernstein désigne comme « curriculum caché ». Quoi qu’il en soit, le conflit potentiel entre le pôle objectif et le pôle subjectif, entre le principe d’efficacité et les valeurs d’authenticité, entre le monde de l’école – la forme scolaire – et le monde de l’art, ne peut que s’actualiser et se déplacer sur les différents registres de la vie de la classe. Est-ce que l’on peut à la fois vouloir que les enfants expriment leurs émotions et s’étonner que les enfants soient peu attentifs et concentrés ? Est-ce que les attentes ne sont pas, dans ce cas présent, en elles-mêmes paradoxales ?

Cette difficulté perdure dans le temps, tout au long de l’année scolaire. Lors de l’observation de séance, (vers la moitié de la séance) l’enseignant vient me voir et se justifie de l’excitation des enfants : « je me rends compte que l’on est très dépendant du gymnase et que cette période de l’après-midi après le repas entre 13h30 et 14h30 est propice à l’excitation 189 . ». En fin de séance, les enfants sont très excités, ils n’écoutent plus les nouvelles consignes. L’artiste crie à voix très haute ces consignes. Celles-ci ne sont pas très claires : « les bleus (un groupe d’élèves), vous sortez là » (sans explications, avec un geste vague), «  les jaunes, vous sortez là », etc. Un enfant ouvre la porte du gymnase et se sauve, le professeur lui court après.

Les élèves commencent à grimper sur les poutres. L’enseignant les rappelle à l’ordre, la séance est terminée, « Mettez vos chaussures, ne montez pas sur les poutres, c’est dangereux… Chut 190  ».

Ce premier entretien de contact, de début de projet, à été réalisé au début du mois de décembre. L’entretien de suivi de projet, placé avant l’observation de séance a été réalisé à la mi-mai. Dans cet entretien, on apprend le détail des travaux et activités que les élèves ont déjà réalisé (écoute musicale, en arts plastiques : un travail sur les mouvements, les personnages, élaboration d’un répertoire oral et d’un répertoire moteur (avec prise de photos par l’enseignant), un travail écrit : « un cahier du danseur où il y a deux élèves à chaque fois qui retranscrivent ce qu’ils ont fait à chaque séance 191 »).

L’enseignant semble déçu concernant les effets comportementaux du projet sur les élèves. Il s’attendait à des choses qui ne se réalisent pas : « Au niveau des effets comportementaux, je dirai qu’ils ne sont pas très positifs parce que, je vous en avais déjà parlé, j’ai une classe assez agitée, et je m’attendais peut-être à un travail… bon on a refait, on a retravaillé un peu le… dans le cadre de la danse les règles de vie, je pensais aussi que ça allait leur apporter des choses au niveau moteur, au niveau du corps, et j’avoue quand même que c’est assez difficile chaque semaine, quand on a danse, ça ne se déroule pas comme moi je l’ai projeté, alors peut-être que j’ai aussi des attentes qui sont peut-être un peu démesurées par rapport à se que l’on peut demander à des CP, à côté de ça je trouve que quand même dans l’ensemble ils manquent de concentration, ils ne sont pas assez concentrés, et moi je n’ai pas trouvé de… y’a peut-être des petits effets mais, ça reste pour moi, pour ma part, je trouve que ça reste trop minime par rapport à mes attentes192»

Les modifications par rapport au projet écrit validé sont nombreuses, il y a une révision à la baisse concernant les attentes et la quantité de travail à fournir : « On a été obligé d’adapter finalement nos…, notre pédagogie finalement qu’on avait, on s’était projeté dans une pédagogie et là on a été obligé de revoir. Même au niveau du projet je pense que on a revu à la baisse un peu les attentes qu’on avait par rapport au spectacle et puis même par rapport à ce que nous on avait projeté en début, dans le projet vraiment tout au départ, quand je l’ai relu là, j’ai fait un petit point, là on la relu ensemble : on s’aperçoit que finalement y’a pas mal de choses qu’on n’a pas travaillé… 193 ». C’est pourquoi l’enseignant se fait du souci, et a proposé à la danseuse de rajouter des séances, car il se préoccupe du public lors de la représentation : « on en a parlé encore avec les conseillers pédagogiques, ils sont venus nous voir également, c’est quand même un projet où les classes sont bien préparées, et je veux quand même que, que la classe soit préparée, qu’on propose quelque chose de bien pour les spectateurs quoi  194 ». Le principe d’efficacité dès lors omniprésent paraît bien faire passer la cité civique au second plan – il ne s’agit plus d’efficacité dans les apprentissages qui sont la mission de l’école – au profit de la cité de l’opinion : le jugement final sera celui des « spectateurs ».

Un élément frappant en commun avec la plupart des projets étudiés est la montée en puissance progressive du souci de l’objet terminal, de sa forme achevée (le spectacle, la représentation…), où l’enseignant devient une sorte d’entrepreneur, d’aide à la mise en scène ou à la réalisation du spectacle.

Notes
181.

Dossier validé de classe à PAC, page 3.

182.

Dossier validé de classe à PAC, page 4.

183.

Entretien 1 de contact, page 1.

184.

Ibid. p. 5.

185.

Ibidem.

186.

Ibidem.

187.

Ibid., p. 2.

188.

Ibidem.

189.

Observation p. 3.

190.

Observation p. 4.

191.

Entretien 2 de suivi et de pré observation de séance.

192.

Ibid., p. 2.

193.

Ibid., p. 3.

194.

Ibid., p. 3.